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Netanyahou Et Les Enjeux Gaziers De La Méditerranée Orientale

par Reghis Rabah*

Il faut peut-être préciser d'emblée et avant d'aller plus loin que ce tapage médiatique qui tente de présenter la Méditerranée orientale comme un futur corridor gazier naissant est un peu boosté pour des raisons géopolitiques. Des analystes avertis, certainement pour le compte des lobbies sionistes aux Etats-Unis et en Europe vont plus loin en justifiant le carnage génocidaire contre la population de Gaza comme un prétexte pour s'emparer de son gaz au large de sa bande. D'autres pays de la périphérie même ont suivi intentionnellement ce raisonnement en impliquant même les Etats-Unis comme étant l'instigateur pour partager ce gaz d'où son veto au Conseil de sécurité pour un cessez-le-feu temporaire pour un pont humanitaire dans la zone de Gaza où la population vit un calvaire quotidien. D'abord, les Etats-Unis tirent bien leur compte en Europe pour finir l'année 2023 avec une exportation de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) record de près de 91,2 millions de tonnes, soit près de 97 milliards de m3 pour le compte de l'Europe. Quinze mois après le sabotage de Nord Stream 1 et 2 qui passaient par la mer Baltique pour rejoindre l'Allemagne, ce pays avec le Qatar ont multiplié les investissements pour accroître la capacité de production et de liquéfaction. L'année 2023 et les premiers mois de 2024, la performance à l'exportation record a été celle des Etats-Unis qui sont devenus tout simplement le premier exportateur mondial du GNL, dépassant pour la première fois le Qatar et l'Australie. Comment alors peut-on « gober » ces analyses qui mettent ce pays comme intéressé par des quantités insignifiantes que nous donnerons plus loin à titre d'illustration. Il est certain que les Etats-Unis soutiennent fermement le « balayage » humain de la bande de Gaza pour la vider des Palestiniens et que ce plan est sorti sans aucun doute de la Maison Blanche mais pas du tout pour une histoire de gaz. Il s'agit de l'existence même de l'Etat hébreux dont les Etats-Unis ne veulent pas entendre parler de sa disparition face à la résistance et les attaques répétées de Hamas.

La population juive commence à faire pression sur le gouvernement Netanyahou pour la sortir de cette peur quotidienne des obus qu'elle reçoit tous les jours. Cette évacuation humaine était une vieille idée de l'administration Trump qui avait proposée 50 milliards de dollars aux Palestiniens pour renoncer à l'Etat indépendant (01). Un conflit vieux de 70 ans, le gendre de Trump qui le représente à Bahreïn le règle par l'argent d'un revers de la main. Et où avait-il dit cela ? Dans les pays qui ne réagissent pas face à cette proposition ridicule et qui ont rejoint le Forum de Néguev le 28 juin 2022 pour une normalisation avec « l'entité » sioniste à savoir le Maroc, les Etats-Unis, les Emirats arabes unis, Israël et l'Egypte. Depuis, de nombreux pays ont été contactés pour les rejoindre au Moyen-Orient et en Afrique mais la deuxième réunion qui devait se tenir au Maroc en mars 2023 a été reportée sine die. Tous ces pays jouissent d'une maîtrise totale de leur population pour n'exprimer aucune manifestation en faveur des Palestiniens. Dans ce cadre justement, L'Union européenne vient de sceller un accord avec l'Egypte d'Abdel Fatah Sissi d'un montant de 7,4 milliards d'euros pour rejoindre la Turquie, le Maroc, la Tunisie ou encore la Mauritanie avec un principe « davantage de coopération et d'argent européen contre un renforcement des frontières ». Sous-entendu d'aider l'entité sioniste à l'évacuation des Gazaouis de leur terre. (02).

1- Revenons aux chiffres de ces fameuses découvertes de gaz

Que ce soit dans son bassin Levantin ou celui maritime, la Méditerranée orientale n'est pas l'Eldorado gazier comme on tente de le faire croire. L'Egypte, Israël, Chypre, et la Palestine à travers la bande de Gaza depuis 1999 avec une activité d'exploration renforcée en 2010 par des forages de délinéation pour estimer les réserves en place gazières découvertes à près de 2.000 milliards de m3 dont la majorité de ces découvertes se trouvent dans les eaux territoriales de l'entité israélienne. Il fallait attendre 2015 pour que l'Egypte tombe au champ de Zohr d'un méga projet de plus 600 milliards de m³. C'est à cette date que commencent les recompositions politiques régionales par une compétition et des liens parfois au détriment des principes des uns et des autres. Ces découvertes ont donné l'occasion de renforcer davantage les relations entre les nouveaux alliés qui n'approuvaient pas la démarche de l'entité sioniste sur la Palestine, d'une part, et gérer les tensions avec les populations régionales, d'autre part. Il faut dire que ces réserves telles qu'elles sont estimées par les sociétés opératrices ne vont pas chambouler le paysage énergétique mondial puisqu'elles ne représentent que 1% des réserves mondiales.

Comparées aux voisins sur terre comme l'Iran et le Qatar à eux seuls détiennent 30% des réserves mondiales. En ce qui concerne l'offshore de Gaza, c'est encore plus insignifiant. Ainsi, ce gisement au large des eaux territoriales palestiniennes appelé Gaza Marine 1 et 2 contiendrait des réserves en place de 30 milliards de m3 qui seront produites sur un plateau de 12 ans à raison de 1,5 milliard de m3 par année. L'Autorité palestinienne qui dirige les négociations avec l'occupant, table sur « un revenu annuel de 700 à 800 millions de dollars » (03). Contrairement à ce qui est dit ici et là, c'est justement les Etats-Unis qui ont fait pression sur le gouvernement Netanyahou pour ne pas attiser les conflits non seulement avec Hamas mais aussi Hezbollah qui soutient quant à lui le Liban qui veut préciser et exploiter le gisement de Karich au large de sa frontière avec l'entité sioniste. Cette pression américaine consiste aux autorisations nécessaires pour permettre à ces deux pays à la reprise des activités d'exploration dans ces gisements. Le 18 juin 2023, le cabinet de Benjamin Netanyahou autorise le développement du gaz naturel offshore de Gaza Marine 1 et 2. (04). Pour ce qui concerne le Liban toujours sur pression des Etats-Unis, un compromis a été trouvé entre le Liban et l'entité sioniste pour une proposition de tracé des frontières pour permettre au premier d'entamer son activité d'exploration (05). Il faut préciser qu'Israël considère la zone où se situe Karich comme une partie commerciale de son territoire. Pour ce qui concerne le champ situé à 36 km à l'Ouest de Gaza dont les travaux de développement ont été estimés à 1,4 milliard de dollars. Historiquement, en 1999, l'Autorité palestinienne (AP) sous l'égide de Mahmoud Abbas a demandé à la société d'énergie British Gas de procéder à une prospection gazière dans la région. Un an plus tard, British Gas a découvert les deux gisements, avant de se retirer du contrat. Le projet a été confié au géant de l'énergie Shell en 2016, qui s'est retiré deux ans plus tard en raison d'objections israéliennes et d'autres conflits. Depuis lors, les Palestiniens sont à la recherche d'investisseurs pour ce projet. (06). Cette autorisation délivrée avant l'attaque du 7 octobre 2023, suppose dans l'esprit de l'entité sioniste une coordination strictement sécuritaire entre l'Egypte voisine et l'AP. Cette vision, bien entendu, n'a certainement pas pris en considération le mouvement Hamas qui a un contrôle total sur la bande de Gaza. Entre-temps, Netanyahou n'a pas perdu de temps pour le placer dans les corridors gaziers vers l'UE, depuis l'Inde à travers les pays du Golfe, l'Arabie Saoudite, la Jordanie, Israël, Chypre. C'est dans ce cadre qu'il justifie son périple en Europe, principalement en Italie pour les rassurer d'un approvisionnement en GNL à partir d'un projet chypriote. En septembre 2023, un mois avant l'attaque de Hamas, il l'a confirmé devant la 78e session de l'Assemblée générale des Nations unies. Les observateurs ont été surpris de cette approbation venant d'un gouvernement extrémiste comme celui de Netanyahou mais ont compris que le Premier ministre était contraint sous une forte pression américaine « d'atténuer le mécontentement américain face à sa décision d'étendre les colonies. Et surtout de calmer la situation politique entre les factions belligérantes notamment Hamas contre Jihad islamique à Gaza. Il se trouve que tous les calculs de Netanyahou se sont effrités un 7 octobre 2023 qui est très mal tombé en pleine préparation des élections américaines.

2- Evolution de ces principaux gisements gaziers en question

Historiquement, les eaux territoriales du Proche- Orient en général n'ont jamais intéressé les pétroliers, eu égard aux grandes ressources du Moyen-Orient. Cette zone, disent des études crédibles, est plus renvoyée au bassin méditerranéen qu'a l'ensemble arabo-persique, riche en hydrocarbures.

Cependant, il y a bien eu quelques recherches en 1947 dans les concessions d'exploration en Palestine qui était sous mandat britannique, obtenues par une filiale de l'Iraq Petroleum Company (IPC). Ces prémices de recherches exploratoires se sont arrêtées suite à l'offensive israélienne sur les terres arabes entre 1947-1949 pour tracer ses frontières et mettre ses voisins devant le fait accompli avant le vote du 29 novembre 1947 de la résolution 181 qui recommande la partition de la Palestine mandataire en deux Etats, l'un arabe et l'autre juif et surtout l'acceptation des pays concernés du statut international de Jérusalem qui restera sous administration des Nations unies. Une fois, l'Entité sioniste bien installée en résistant à plusieurs guerres vers les années 90 pour que les enjeux gaziers commencent à émerger grâce à deux compagnies internationales au large des côtes israéliennes et palestiniennes. : British Gas et le groupe américain Noble Energy.

Les géologues israéliens ont mené des études géologiques qui ont révélé plusieurs poches mais de petites tailles au sud de la côte méditerranéenne d'Israël avec bien entendu les régions qu'elle a occupées illégalement. Ces prémices gazières sont restées telles qu'elles étant donné la tension qui y règne entre les voisins. Il fallait attendre le 9 septembre 1993 avec les accords de paix d'Oslo pour que les travaux reprennent cette fois-ci avec le temps qu'il faudrait pour une exploration sérieuse. Quelques années plus tard, au début de l'année 2000, les premières découvertes de gisements de gaz économiquement rentables sont annoncées. En mars, à 25 kilomètres de la ville israélienne d'Ashkelon est ainsi mis au jour le gisement Mari-B par le consortium que forment Delek Energy et Noble Energy. Fort de ses 30 milliards de m3 de gaz, la découverte de Mari-B est un événement historique pour Israël qui peut désormais envisager de produire une partie de son énergie. Rappelons que dans le même temps et toujours sous occupations israélienne fut découvert au large de la bande de Gaza par British Gas les fameux gisements dénommés Gaza Marine décrit en détail plus haut. « Yasser Arafat, alors président de l'Autorité palestinienne, fait un discours, la veille du déclenchement de la seconde Intifada sur le potentiel économique et politique de ce gisement qui ouvrirait ainsi de sérieuses perspectives pour la construction de l'État de Palestine». Très largement supérieure aux besoins de l'économie parétienne, cette découverte, a suscité beaucoup d'espoir à l'entité sioniste. Ces espoirs ont donné de l'appétit à des partis politiques et certaines compagnies de contester la souveraineté palestinienne sur la partie du territoire de Gaza Marine 2.

L'entité sioniste dans son ensemble aiguise cet appétit expansionniste vers d'autres gisements à la frontière israélo-palestinienne comme Nir, Noa et Or. L'occupant qui ne respecte pas les frontières des accords internationaux, notamment celui de Gaza-Jéricho de 1994, veut tout partager avec l'Autorité palestinienne. Il se trouve que le déclenchement de « l'Intifada N°02 » en octobre 2000, devait chambouler la stratégie sioniste. Depuis, cette entité est restée méfiante à ce jour. Aujourd'hui, Israël poursuit sa stratégie expansionniste en occupant plus de terres palestiniennes adoptant une colonie de peuplement. Dans la partie palestinienne y compris Gaza, elle sème la précarité en leur rendant la vie impossible ce qui favorise leur résistance créant ainsi un conflit dont la tension est permanente. Ceci n'empêche pas l'entité sioniste de trouver une main tendue de ses voisins arabes limitrophes qui lui achètent son gaz au détriment de la cause palestinienne. L'Egypte à partir de 2005 dont les accords ont évolué avec l'arrivée d'Abdel Fatah Sissi qui a réussi à anéantir toute contestation des Frères musulmans. La Turquie d'Erdogan est passée à la vitesse supérieure en voulant créer avec Israël un pont gazier vers l'Europe. (07) Ensuite en 2019 vient le tour de la Jordanie dans conditions commerciales qualifiées de « draconiennes ». (08) Les Emirats arabes unis (EAU) vont jusqu'à aider les juifs touchés par les obus de Hamas. Ils déclarent avoir produit 55,57 milliards de m3, ils produisent aussi à l'exportation 7,58 milliards de m3 mais ont consommé 69,49 milliards de m3. On peut se demander d'où ramènent-ils cette différence de gaz. La liste s'étend maintenant aux pays africains en passant par le Maroc.

*Economiste pétrolier

Renvois

(01)-https://www.revolutionpermanente.fr/L-administration-Trump-propose-50-milliards-aux-Palestiniens-pour-renoncer-a-un-Etat-independant

(02)-https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/l-union-europeenne-et-l-egypte-signent-un-accord-de-partenariat-de-74-milliards-d-euros/#:~:text=En%20d%C3%A9placement%20au%20Caire%20dimanche,renforc%C3%A9%20des%20fronti%C3%A8res%20en%20Egypte.

(03)-https://www.courrierinternational.com/article/energie-israel-et-l-autorite-palestinienne-negocient-l-exploitation-d-un-champ-gazier-au-large-de-gaza

(04)-https://www.gov.il/en/departments/news/spoke-gas180623

(05)-https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/gisement-gazier-de-karich-vers-un-compromis-entre-israel-et-le-liban-934983.html

(06)-https://www.revueconflits.com/du-gaz-en-palestine/#:~:text=%5B4%5D%20En%201999%2C%20l,de%20se%20retirer%20du%20contrat.

(07)-https://fr.timesofisrael.com/erdogan-la-turquie-et-israel-pourraient-cooperer-sur-la-livraison-de-gaz-a-leurope/ (08)-https://orientxxi.info/magazine/accord-gazier-la-jordanie-plie-devant-israel,3259