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Vacances pour les uns?«travail» pour les autres: L'été n'est pas le même pour tous les enfants

par J. Boukraa

Le phénomène du travail des enfants ne cesse de prendre de l'ampleur. Il se banalise dans la société et fait référence à tout travail ou activité qui les prive de leur enfance. En cette période de vacances, nombreux sont les enfants qui n'en profitent pas. Pire encore, ils sont plongés dans le monde de travail malgré leur jeune âge. On les trouve partout, sur les plages, au bord des routes express et autoroutes. Beignets, galettes, m'hadjeb, cigarettes, sandwichs, thé, eau minérale, jouets, en passant par les objets de décoration fabriqués à base de coquillages, tout est proposé aux estivants par des dizaines d'enfants qui passent leurs vacances à travailler pour aider leurs familles et gagner quelques sous pour affronter les dépenses de la rentrée scolaire. Ils n'ont pas droit aux vacances, à la plage, à l'insouciance et pas même à l'enfance. Les enfants sont entrés dans le monde des adultes avant même de vivre leur enfance. La plupart de ces enfants sont issus de familles très démunies. Ils se trouvent devant l'obligation de quitter l'école dès leur jeune âge pour affronter un monde totalement différent et plein de dangers. Ainsi, ils subissent inexorablement la pression d'un univers nouveau dans lequel ils sont plongés sans y être préparés. Rencontré à la plage des Andalouses, le visage brûlé par le soleil, Adel, 12 ans. Il fait des allées et venues sur le rivage pour vendre les beignets préparés par sa mère. Un plateau qu'il tient à longueur de journée difficilement sur ses bras. Adel est, en effet, parmi ces enfants qui sont beaucoup moins attentifs aux chants des vagues. Pour eux, les vacances sont le cadet de leurs soucis. Eux, ce sont les vendeurs de gâteaux, de beignets et des fameux m'hadjeb qui sillonnent quotidiennement le rivage pour espérer gagner un peu d'argent afin de subvenir tant bien que mal aux besoins de leurs familles. Sous un soleil de plomb, ce jeune garçon ne porte même pas de casquette sur la tête. Il tente d'attirer l'attention des estivants pour vendre le contenu de son couffin, allant carrément vers eux pour leur proposer ses beignets. A cette plage très fréquenté ont trouve même des fillettes qui proposent des gâteaux et des m'hadjeb. C'est le cas de Soumia. « J'ai 13 ans, j'habite à El Ançor. Je vends des M'hadjeb pour aider ma famille. Mon père travaille comme journalier et ne gagne pas beaucoup d'argent». Comme tous les enfants, l'été est la saison tant attendue, mais certainement pas pour les mêmes raisons car, pour elle, il ne s'agit pas de détente ni de vacances, mais plutôt de doubler ses gains. «La saison estivale est la période propice pour récolter une bonne somme d'argent, pour pouvoir acheter les affaires scolaires et les vêtements pour mes frères pour la prochaine rentrée». Soumia est plus chanceuse que Adel, parce qu'elle n'a pas quitté l'école.

Le moins que l'on puisse dire est que ces enfants qui sacrifient les plus belles saisons de leur vie pour subvenir aux besoins de leurs familles méritent respect et admiration de tout un chacun. «Le fait de faire travailler un enfant à un âge aussi précoce où il devrait être en train de jouer et de s'épanouir risque de lui porter tort et qu'il lui répugne à vouloir un jour un diplôme. C'est une responsabilité bien trop lourde pour des enfants. Elle est aussi dangereuse et pour leur santé et pour leur personne», souligne un psychologue.

Ces parents qui obligent leurs enfants à ramener de l'argent

Ce n'est pas uniquement en période de vacances que des enfants des familles pauvres travaillent, mais c'est à longueur d'année, notamment ceux qui ont quitté l'école prématurément. Les conditions de vie lamentables et les contraintes sociales les ont poussés jeunes vers le travail. En effet, ce sont des activités qui portent préjudice à la santé physique et mentale des enfants et entravent leur bon développement. Dans certains cas, le travail des enfants nuit aussi à leur dignité et à leur moralité. De surcroît, un enfant qui travaille sera davantage exposé à la maltraitance. Ces enfants sont très souvent victimes de violences physiques, mentales et sexuelles. Le pire des cas, c'est quand les parents eux-mêmes obligent leurs propres enfants à ramener de l'argent, qu'importe le moyen. Les enfants ruraux, généralement, sont encore plus exploités en raison de leur situation difficile et enclavée. Mohamed, un garçon de 14 ans, issu d'une famille défavorisée habitant dans un douar entre Boutlélis et El-Amria, vit cette situation. «Mon père m'oblige à ramener de l'argent chaque jour en me menaçant tout le temps de me tuer», informe-t-il la peur sur le visage. Certains enfants font des travaux qui les exposent à des dangers et ne correspondent pas à leurs capacités physiques. Plusieurs familles forcent leurs enfants à travailler n'importe où malgré leur très jeune âge. Elles comptent sur leur progéniture pour subvenir à leurs besoins. Ces dernières années, on observe malheureusement une augmentation significative du nombre d'enfants travaillant dans un environnement hostile qui peut être nocif pour leur santé. Les enfants qui travaillent sont payés au rabais. Ils sont dans leur majorité exploités dans le bâtiment, l'agriculture, l'artisanat, sans compter les milliers d'enfants qui travaillent dans le commerce informel et qu'on aperçoit quotidiennement dans nos rues : vendeurs de cigarettes ou des chewing-gums, galettes (pains), ou encore gardiens de parking? Beaucoup d'entre eux basculent dans la délinquance et la prostitution. Nombreux sont les enfants qui souffrent de cette situation tragique, qui le font parce qu'ils n'ont pas d'autre choix. Ils sont obligés de quitter l'école très tôt afin d'aider leurs parents à subvenir aux besoins élémentaires. Des études menées par la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREM), révèle que le nombre d'enfants qui exercent une activité économique est évalué à 300.000, un chiffre qui grimpe à 500.000 durant les vacances. Il y a quelques semaine le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, Mohamed El Ghazi, a déclaré à l'occasion de la commémoration de la Journée mondiale contre le travail des enfants qui coïncide avec le 12 juin de chaque année, que les pires formes de travail des enfants n'existent pas en Algérie. Selon lui, une enquête, menée par l'inspection du travail en 2015, indique que sur 15.093 organismes employeurs occupant un effectif de 98.327 travailleurs, on a enregistré l'emploi de 97 enfants en dessous de l'âge légal qui est de 16 ans, soit un pourcentage de 0,09%, contre 0,04% en 2014, alors qu'il avait atteint 0,56% en 2002. Le bilan de contrôle relatif à l'aspect du travail des enfants étant minime, ceci est dû au fait que le phénomène du travail des enfants se situe en dehors des relations de travail qui impliquent directement l'enfant à un employeur. Il s'agit surtout d'enfants qui travaillent pour leur propre compte, ou dans le milieu familial, ce qui implique la responsabilité directe d'autres secteurs, tel la Solidarité nationale, l'Education nationale. L'Algérie a, depuis son indépendance, investi des ressources importantes afin de garantir à toute la population un accès équitable à la scolarisation, aux soins, à la protection sociale et s'est engagé à protéger les enfants contre les situations à risque et la violence. Le pays a engagé des programmes de développement nationaux et régionaux pour améliorer la situation socio-économique des citoyens, en particulier celle des enfants et des femmes et une stratégie nationale pour lutter contre le travail des enfants. L'Algérie a ratifié en 1992 la Convention internationale relative aux droits de l'enfant ainsi que les principales conventions internationales, à savoir la Convention n°138 relative à l'âge minimum d'admission à l'emploi, la Convention n°182 concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants, ainsi que la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Cependant, le travail des enfants est une réalité poignante.