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Le dopage est constitutif du système sportif contemporain

par A. Benelhadj

Après les campagnes contre la Russie, l'interdiction de ses athlètes et la menace levée par CIO contre sa participation aux Jeux, voilà de nouvelles contestations qui viennent de la piscine olympique. Le dopage s'invite à nouveau sur les plateaux des JO de Rio 2016.

Après Bernard Amsalem, président de la Fédération française d'athlétisme, c'est au tour du nageur de dos à peine sorti tout mouillé du bassin pour cracher sa déception.

Résultat du 100 m dos.

1.- Ryan Murphy, Etats-Unis, 51.97

2.- Xu Jiayu, Chine, 52.31

3.- David Plummer, Etats-Unis, 52.40.

4.- Mitchell Larkin,

Australie, 03 centièmes plus loin.

5.- Camille Lacourt, France

Quand on est si loin du podium il aurait été plus seyant de faire comme si on n'était pas là et de tenter de passer inaperçu. C. Lacourt a raté une belle occasion de se taire.

La contestation de Lacourt se veut subtile, mais reste transparente : il s'attaque indirectement au Chinois qui l'a battu (Xu Jiayu) en accusant son compatriote Sun Yang titré sur le 200 m.

"Sun Yang, il pisse violet! Quand je vois le podium du 200 m libre, ça me donne envie de vomir", a tonné Lacourt.

Pour trois raisons, il eut mieux valu pour lui de s'abstenir d'intervenir sur ce plan.

1.- C'est aux institutions sportives françaises et internationales de gérer ce dossier.

2.- Discourir sur le dopage, il aurait pu le faire avant le début des jeux, avant le début de la compétition, avant de plonger dans la défaite. Le faire après la déroute, c'est risquer de passer pour un mauvais perdant qui conteste les règles et les adversaires après avoir sombré.

3.- Lacourt a sans doute raison. Des sportifs qui se dopent sont légion. Mais il y a deux problèmes au moins à considérer sur lesquels il ne s'arrête pas.

 Le premier, est qu'il est trop facile d'affirmer sans prouver quand il s'agit d'accuser tel ou tel sportif. Le fait qu'il se soit dopé il y a deux ans n'implique pas qu'il le soit lors des JO en cours. Le second que ne semble pas distinguer le nageur français est que le dopage est constitutif d'un système où l'argent domine et manipule.

D'abord les moyens considérables mobilisés par l'industrie chimique, pharmaceutique, cosmétologique? qui teste ses produits aux limites, comme l'industrie automobile le fait dans les courses de F1. Ensuite, les fabricants de matériels sportif lancés eux aussi dans une lutte à mort sans concession (ex. Nike vs Adidas) amplifiée par le marchandisage.

Enfin, l'industrie publicitaire, les médias et toutes les machines organisées autour de l'information et de la communication. L'audience des gladiateurs des temps d'aujourd'hui, entre les larmes, le pain et le sang, dépasse le cadre des arènes et atteint des millions de foyers où des supporters en charentaises déguisés en sportifs trépignent devant leurs écrans. Par exemple: les finales de natation ont été placées de manière surprenante entre 3h00 et 5h000 du matin. Ce qui correspond au Brésil même à des tranches horaires très tardives, entre 22h00 et minuit, qui ont été adaptés à la disponibilité des téléspectateurs nord-américains.

C'est la chaîne américaine CBS qui a acheté très cher les droits de retransmission de ces épreuves pour les mettre à la disposition de ses clients, en particulier ceux du Middle-west et de Californie. Ce qui lui permettra au passage d'encaisser plus d'un milliard de recettes publicitaires. C. Lacourt a donné la réplique à Michael Phelps qui s'est énervé lundi soir 08 août sur le même sujet: "C'est triste que de nos jours, il y ait des gens contrôlés positifs, même deux fois pour certains, qui ont quand même l'occasion de nager aux jeux Olympiques. ?Ça me fait chier".

Phelps a la mémoire courte et l'indignation sélective. Tout le système sportif US est incompréhensible, inconcevable sans le dopage. De la boxe à l'athlétisme en passant par tous les sports intimement associés à la vie universitaire. Il fait par ailleurs l'impasse sur certains de ses compatriotes qui vont se produire sur les stades et qui accumulent les tests positifs ces dernières années.

Question mineure : pour expliquer la bérézina française dont le nombre de médailles est (au moment où on écrit ce mot) très loin des objectifs fixés par le Comité olympique français. Il faudrait plus qu'une dénonciation du dopage.

Financiarisation, professionnalisation et militarisation ont fait du sport une machine destinée à la guerre. Que ce soit pour le compte d'une entreprise, sous le label d'un sponsor, ou sous un drapeau national, sommés de scander un hymne la main sur le cœur, les sportifs sont mobilisés dans une logique qui les dépasse.

Rien à voir avec des compétitions fair-play ou des joutes pacifiques entre gentleman's. Rien à voir avec la culture ou l'éducation qui a longtemps habité le système sportif français fondé sur l'amateurisme (au bon sens du mot) et le dévouement de très nombreux éducateurs. Une pression terrible est exercée sur des sportifs à peine sortis de l'adolescence sur les épaules desquels sont placés des responsabilités déraisonnables.

Après une carrière d'élites ces femmes et ces hommes découvrent qu'ils n'ont pas eu de jeunesse, qu'ils sont devenus adultes à leur insu, et c'est probablement pourquoi il arrive à certains d'entre eux de "disjoncter", de "péter les plombs".

C'est peut-être ce qui est arrivé à des nageurs, des tennismans ou des escrimeurs français au cours de ces JO. Et peut-être même expliquer la réaction violente de C. Lacourt, incapable d'assumer une défaite dans une compétition ultime pour laquelle il a sacrifié des jours, des mois, des années de sa vie. Chacun aura compris qu'il ne s'agit ici ni de le comprendre, ni de l'excuser, ni de le condamner.