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La peine de mort... l'éternel dilemme

par M'hammedi Bouzina

Aucune question de justice, de morale, d'éthique, de politique ne divise les sociétés des hommes autant que celle relative à la peine de mort.

" ?il pour œil est une loi qui finira par rendre tout le monde aveugle"  (Mahatma Gandhi)

Le terrible drame qui a frappé la famille Mohand à qui un monstre a ravi dans d'horribles circonstances leur petit ange Nihal âgée à peine de quatre ans a provoqué, tout naturellement, un séisme compassionnel dans toute l'Algérie et remis au débat public la question de l'application de la peine de mort. L'effroi provoqué par la nature de l'acte et le visage de sa victime, celui d'un bébé souriant symbole de l'innocence, n'a guère laisser place au jugement des hommes et des femmes que celui de l'exécution du monstre tueur dont certains commentaires sur les réseaux sociaux et même dans la presse en appellent à son exécution publique sur un bûcher comme au temps du Haut Moyen-âge.

Terrible responsabilité du législateur, en premier celle du chef de l'Etat, que de rétablir la loi du talion : œil pour œil, dent pour dent. Le désir instinctif de la vengeance au crime abject est une nature humaine et oh, combien compréhensible dans le cas de la tragédie de Nihal et sa famille.

La question du coût de la vie tant au sens physique que dans ses dimensions morale et sacrée a toujours prêté à des débats vifs, contradictoires et passionnés depuis l'abolition du "droit divin" et son remplacement par celui fait par les hommes, par la justice des hommes. Et contrairement à ce qui est proclamé, ce ne sont pas les pays européens dit démocratiques et "promoteurs" des droits humains qui sont les précurseurs de l'abolition de la peine de mort. Ce sont les pays d'Amérique centrale et latine qui ont précédé, et de loin, les pays européens. Le Venezuela accusé aujourd'hui de pays rétrograde et primaire a aboli la peine de mort en 1863 et la Colombie ( hé , oui) en 1877. L'abolition de la peine de mort n'est donc pas une invention philosophique des occidentaux autant d'ailleurs que celle des "droits humains", lorsqu'on sait que le premier pays à avoir aboli la peine de mort fût la Suède en 1972 alors que la France ne l'a fait qu'en décembre 1981.

C'est dire que la réponse n'est pas aussi simple pour les abolitionnistes que pour les adeptes de la peine de mort. L'examen d'une telle question en Algérie qui, rappelons-le au passage a décrété un moratoire sur la peine de mort en 1993, ne peut être tranchée en raison, combien compréhensible, de l'émoi et la douleur ressentis par les parents de Nihal et par tout le peuple algérien. La difficulté est énorme parce que le législateur ne peut céder à l'appel du seul courant de l'opinion publique favorable et généralement et naturellement majoritaire pour la peine de mort parce que, encore une fois, tuer un être vivant revient à tuer toute la société à laquelle il appartient. Et c'est là où le dilemme devient insupportable quand on sait le poids de la morale et de la religion dans notre pays: l'islam interdit de tuer ( excepté pour se défendre ou en temps de guerre) et autorise la peine de mort pour les meurtriers.

Le christianisme et le judaïsme sont enfermés dans la même contradiction: ils prônent la sacralité de la vie et ordonnent la mort pour les criminels. Question: Comment la société légitime-t-elle par sa loi l'exécution d'un criminel alors qu'elle condamne le crime? Là encore s'affrontent à coups d'arguments sociologiques, éthiques, juridique , philosophiques et politiques les "pour" et les "contre" la peine de mort. La peine de mort réduit les crimes et débarrasse la société de potentiels assassins affirment ses adeptes. Leurs contradicteurs disent le contraire et brandissent les chiffres et statistiques comme soutien à leur thèse abolitionniste.

Les philosophes et intellectuels abolitionnistes vont plus loin: l'application de la peine de mort augmente chez les criminels la pulsion assassine qui les habite comme un défi à un interdit. L'immense écrivain français, Victor Hugo, a fait un plaidoyer pour l'abolition de la peine de mort dans son roman "Le dernier jour d 'un condamné à mort" et a interpellé l'assemblée nationale française en 1868 dans un discours où il clame haut et fort que " la peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie." Il aura fallu plus d'un siècle à la France pour trancher la question en abolissant la peine capitale en décembre 1980.

C'est pour dire la difficulté et l'extrême sensibilité du débat sur la peine de mort. Que faire face au crime abject? Comment y réponde sans écorcher cette humanité à laquelle aspire l'Humanité depuis la nuit des temps? Et interrogation supplémentaire: comment éviter les erreurs judiciaires? L'infaillibilité de la justice n'est pas une vue de l'esprit parce que son histoire regorge d'erreurs judiciaires qui ont été fatales à des innocents. Parce qu'une exécution à mort ne se rattrape pas qu'il n'est pas aisé et simple de dire "oui" au rétablissement de la peine capitale. Parce que lorsqu'on nous ravi un enfant, un proche , un être cher il n'est pas, non plus aisé de ne pas céder à notre instinct primitif et d'appeler à la mort de l'assassin.

Lorsque il s'agit de vie et de mort la raison se heurte au cœur et l'être humain se trouve prisonnier de sa propre condition façonnée par le "Mal" et le "Bien".

Il ne lui reste que ce don, dont il est le seul bénéficiaire de tous les êtres vivants: sa Conscience. L'assassin de Nihal sera face à la sienne pour l'éternité.