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L'ALGERIE PROFONDE

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

L'arbre à dires. Essai Mohammed Dib. Hibr Editions, Alger 2015 (Editions Albin Michel S.A, Paris 1998), 210 pages, 700 dinars

Profonde plongée philosophique et recherche de multiples interrogations... naturelles, humaines, universelles.

-Le nom, cet agent verbal qui nous "introduit" dans l'univers du langage.

-La traversée de culture à culture, une aventure passionnante qui, en réalité, n'est aucunement une "aventure" surhumaine.

- Le (s) "malentendu(s)", faute de communication et de compréhension.

- L'étranger et les autres... Mais, qui est donc l'étranger de l'autre ou le plus étranger ou le moins étranger.

- Le désert et le signe... qui semblent avoir conclu un pacte.

- La langue, le langage et la communication.

- La langue maternelle et la langue adoptive.

- L'exil (une "mort").

- Réflexion autour d'un dialogue sur les saisons avec sa "Lyyli Belle" : seulement quatre ? ou huit ? ou plus... pourquoi pas et sur "notre pauvre terre", pourtant encore si belle.

Un essai philosophique ? Pas totalement. Un roman ? Pas tellement. Des nouvelles ? Pas vraiment. Un peu de tout, de tout un peu. Un recueil de textes empruntant à tous les genres et en en créant même de nouveaux. L'auteur lui-même le reconnaît : "En fait, je me rends compte que je n'ai jamais eu le sentiment de m'être mis à écrire un livre et puis, ce livre achevé, d'avoir tiré un trait pour en commencer un autre. Dès le départ, j'ai su que j'écrirais quelque chose d'ininterrompu, peu importe le nom qu'on lui donne, quelque chose au sein de quoi j'évolue et avec quoi je me bats encore après cinquante ans d'écriture..." . Les génies ont tous les droits, ils font ce qu'ils veulent, non !

L'Auteur : Mohammed Dib (21 juillet 1920- 2 mai 2003) auteur de romans, de nouvelles, de pièces de théâtre, de contes pour enfants, et de poésie

De 1938 à 1940, Mohammed Dib est instituteur.

Il publie en 1946 un premier poème dans la revue Les Lettres, publiée à Genève, sous le nom de Diabi. Syndicaliste agricole, il effectue un premier voyage en France. De 1950 à 1952, Mohammed Dib travaille, en même temps que Kateb Yacine, au journal Alger Républicain. Il y publie des reportages, des textes engagés et des chroniques sur le théâtre en arabe parlé. Il écrit également dans Liberté, journal du Parti communiste algérien.

Après avoir quitté en 1952 Alger Républicain, Mohammed Dib séjourne à nouveau en France alors que paraît aux Editions du Seuil "La Grande Maison", premier volet de sa trilogie Algérie, inspirée par sa ville natale, qui décrit l'atmosphère de l'Algérie rurale. Dans une "écriture de constat", "réaliste", il y témoigne tel un "écrivain public", à partir de faits authentiques, de la misère des villes et des campagnes, des grèves des ouvriers agricoles, des revendications nationalistes naissantes. La presse coloniale critique le roman, ainsi que des membres du Parti communiste algérien qui auraient souhaité y rencontrer un "héros positif" ; Louis Aragon le défend. Les deux autres volets de la trilogie, "L'Incendie" et "Le Métier à tisser", paraissent en 1954, l'année même du déclenchement de la guerre, et en 1957.

Tandis qu'il aborde plus explicitement la guerre d'indépendance dans "Un été africain", Mohammed Dib est expulsé d'Algérie par la police coloniale en raison de ses activités militantes.

En 1964, Mohammed Dib s'installe dans la région parisienne, à Meudon, puis en 1967 à la Celle Saint-Cloud, près de Versailles. Dans "Cours sur la rive sauvage" et "La Danse du roi " publiés en 1964 et en 1968, il poursuit une quête plus introspective autour des thèmes de la condition humaine, de la féminité et de la mort. En 1970, Mohammed Dib souhaite s'engager dans une nouvelle trilogie "sur l'Algérie d'aujourd'hui", dont "Dieu en Barbarie" et "Le Maître de chasse" (1973) constituent les deux premiers volets.

Mohammed Dib enseigne de 1976 à 1977 à l'UCLA, à Los Angeles, en Californie ; ville qui lui inspirera son roman en vers "L.A. Trip" (2003). À partir de 1975, il se rend régulièrement en Finlande où il collabore, avec Guillevic, à des traductions d'écrivains finlandais. De ses séjours naîtront sa "trilogie nordique" publiée à partir de 1989 : "Les Terrasses d'Orsol", "Neiges de marbre", "Le Sommeil d'Ève". Parallèlement à son travail de romancier, ses recueils de poèmes, "Omneros" en 1975, "Feu beau feu" en 1979, sont des célébrations de l'amour et de l'érotisme. Sa pièce de théâtre, "Mille hourras pour une gueuse", présentée à Avignon en 1977 et publiée en 1980, met en scène les personnages de La Danse du roi. De 1983 à 1986, Mohammed Dib est "professeur associé" au Centre international d'études francophones de la Sorbonne. Dans ses derniers livres, "Simorgh", puis "Laëzza" terminé quelques jours avant sa mort, il revient, sous la forme d'un puzzle littéraire, sur ses souvenirs de jeunesse. Il meurt le 2 mai 2003 à l'âge de 82 ans, à La Celle Saint-Cloud, où il est enterré.

Mohammed Dib a reçu de nombreux prix. En 2003, de nombreuses rumeurs faisaient état de la possibilité de l'attribution à Mohammed Dib du prix Nobel de littérature (Larges extraits de Wikipédia).

Extraits : "Bism' illah (au nom d'Allah), on ne saurait y être assez attentif : cette invocation qu'immanquablement on a au bout de la langue et au déboulé de tout fait et geste et qui, toutes références religieuses évacuées, mises de côté, se change dans la pratique ordinaire du langage en un banal équivalent de allons-y.." (p 11), "La réalité et la vérité de l'Autre (de l'Hôte) s'appréhendent, comme il en va de notre propre réalité, notre propre vérité, dans un perpétuel glissement de sens" (p 30).

Avis : A mon avis, une œuvre philosophique complète qui reflète parfaitement le niveau intellectuel et l'état philosophique de M. Dib à un moment T de sa vie. Un immense "visuel", un grand "œil ouvert" sur le monde et sur la vie. Un arbre à dires (et non de simples "palabres") aux branches multiples mais à l'équilibre parfait et aux fruits si utiles.

Citations : "On n'entre pas de plain-pied, et encore moins par effraction, dans le génie d'un autre peuple" (p 27), "L'exil, c'est être aveugle, non des yeux, mais de la voix, c'est ne savoir comment demander son chemin" (p 27), "L'Algérien porte le désert en lui et avec lui. Il est ce désert où non seulement tout indice de remembrance s'évanouit, mais où de surcroît tout nouvel élément propre à composer une mémoire échoue à s'implanter "(p 38), "Parler des choses qui s'effacent les empêche de s'effacer. Et quiconque les aide à résister travaille à rendre le monde toujours plus fort" (p 83), "La photographie capte l'instant et le fixe pour l'éternité. Là est le drame : elle assèche le temps, qui est expression de vie" (p 107).

Aussi loin iras-tu. Roman de Junion Lys. Apic Editions, Alger 2016, 128 pages, 500 dinars

Une histoire qui se déroule comme un conte. Un conte qui puise ses sources dans une certaine réalité sociologique aisément rencontrée encore en Grand Kabylie : les pesanteurs d'une société certes ouverte sur le monde, mais seulement géographiquement, centrée toujours autour des traditions, du poids de l'homme, de l'honneur, de la descendance mâle, du rôle moteur - et parfois pas négatif - de la matriarche, du rôle dévastateur de la rumeur, de la femme devant toujours être au foyer...

Un conte qui raconte l'histoire d'une belle jeune fille séparée de sa mère depuis l'âge de quatre ans, élevée à Lorient, en France, par un père, homme d'affaires, toujours en voyage... Sa compagne : une guitare, la seule qui arrive à la consoler de ses malheurs. Une belle jeune fille qui, forcée ("chassée" par la concubine du père), retourne au "bled", dans la maison familiale... et qui, dans un certain "exil", se remet, soudainement, à la recherche de sa mère.

Un vrai parcours labyrinthique (la grand-mère, acariâtre, cause de tous les malheurs, est toujours là, en vie, veillant sur les "intérêts" de son fils) qui finit en cauchemar. La mère et la fille vont se croiser sans s'en apercevoir... ou, peut-être si... en un lieu inattendu, un asile psychiatrique. Une histoire dont on ne connaîtra pas la fin... Chercher à comprendre risque de vous entraîner... en asile psy'.

L'Auteur : Hanane Bouraï, de son vrai nom, est originaire de Boudjima (Tizi Ouzou), née en 1989. Enseignante de langue anglaise à Tigzirt. Premier roman en 2014 ("L'arbre infortuné", Editions El Amel, Tizi Ouzou) .

Extraits : "Un ami est là à n'importe quel moment s'il le peut, pas seulement quand on a besoin de lui. Il trouve du temps pour nous avant d'en laisser un peu pour lui-même, sans rien nous demander en retour, du moment que nous faisons pareil pour lui" (p 68), "La perte d'une mère, la plus grande qui soit au monde : un mal inguérissable, inoubliable. La mère, quand elle disparaît, emporte avec elle des choses qu'elle seule pouvait faire vivre en nous. La maison semble déserte sans elle ; le vide causé par son départ, que nul autre ne peut combler, nous donne un vertige étourdissant" (p 74).

Avis : Roman sensible et captivant... un peu déprimant devant tant de haine humaine pour si peu. Mais, un livre dans lequel l'auteur a voulu mettre bien plus de style (pas mal de fautes) que du récit.

Citations : " La paix se trouve dans la douceur des eaux claires et non dans la raideur des pics rocheux des montagnes sépulcrales" (p 128)

Sociologie de l'Algérie. Essai de Pierre Bourdieu. Tafat Editions, Alger 2016 (Puf, Paris 1958. Revu en 1961). 180 pages, 400 dinars

Vous avez lu Ibn Khaldoun ? Votre compréhension de l'évolution historique, politique et surtout socio-économique de l'Algérie ne peut être complète que si vous (re-) lisez Bourdieu.

Bien sûr, Boukhobza et bien d'autres, comme les chercheurs de l'Aardes, le Cread et le Crasc, ont apporté un plus à la recherche sociologique, mais à la base, il y a Bourdieu (et, aussi, Sayad) qui a mené son travail ethnographique avec passion et assiduité. Il n'avait alors que 26 ans. De la jeunesse et, aussi, une grande curiosité intellectuelle chez l'enfant des Pyrénées Atlantiques (France) et un grand amour pour l'observation et les voyages.

Il a rendu lisible les strates populaires ainsi que le(s) ciment(s) culturel(s) rendant palpable, aux mains des savants, le corpus.

La Kabylie et les Kabyles, le M'zab et les Mozabites, les Aurès et les Chaouias, les Hauts Plateaux et les arabophones. Ne manquait que l'Est algérien, encore que le fonds commun dégagé s'y retrouve largement.

La dernière partie n'est peut-être pas la plus importante, mais, c'est, en tout cas, la plus intéressante. Concernant le processus d'aliénation, il a décortiqué le système colonial... celui qui a déculturé la société algérienne et qui a introduit le virus des rapports de classe dont les traces, il faut le reconnaître, perdurent.

La guerre a aggravé les choses, en raison de "l'expérience catastrophique de chirurgie sociale" faisant table rase d'une civilisation dont "on ne pourra plus parler qu'au passé".

Il avait écrit tout cela en 1958. Il a été un visionnaire... et 60 ans après, on ne cesse de nous parler de "l'âge d'or".

L'Auteur : Né en 1930 en Pyrénées-Atlantiques, décédé en 2002 à Paris, auteur d'une œuvre importante entamée avec cet ouvrage, il a eu une grande influence intellectuelle tant sur les chercheurs étrangers qu'Algériens.

Trois ouvrages importants sur l'Algérie : "The Algerians" publié à Boston en 1962, "Travail et travailleurs en Algérie" publié à Paris en 1963, "Le déracinement, la crise de l'agriculture traditionnelle en Algérie" (en collaboration avec A. Sayad) publié à Paris en 1964.

Extraits : "Il n'est pas au Maghreb de monde clos et partant, pur et intact ; pas de groupe si isolé, si replié sur soi qui ne se pense ; ne se juge en référence à des modèles étrangers" (p 10. Introduction), "L'intention profonde de cette société est peut-être de consacrer le meilleur de son énergie et de son génie à élaborer des rapports entre l'homme et l'homme quitte à reléguer au second plan la lutte de l'homme contre la nature" (p 13, "Les Kabyles"), "La tribu ne prend conscience d'elle-même comme individualité distincte que dans son opposition à d'autres groupes semblables" (p 111, "Les arabophones"), "Le colonisateur crée un environnement qui lui renvoie son image et qui est la négation de l'univers ancien, un univers où il se sent chez soi, où, par un renversement naturel, le colonisé finit par apparaître comme étranger" (p 161)

Avis : Une œuvre majeure pour découvrir la société algérienne d'hier... et, aussi, hélas, par bien de ses côtés, d'aujourd'hui encore. Une recherche et une démarche encore inimitées... La peur de découvrir, d'écrire et de dire, nos lacunes... et nos tares.

Citations : "Le cimetière, immense ombre portée par la cité vivante, est sans doute, comme plus généralement en Afrique du Nord, le fondement et le symbole de l'attachement irréductible qui unit l'homme à son sol" (p 56) , "Nous sommes en un pays où certains noms sont des chansons de geste" (p 112, "Les arabophones"), "Cette société a longtemps trouvé son idéal dans le passé , le changement, sans être absent, se trouvant comme ralenti ... respect du passé qui, chez le Bédouin, prend forme de culte" (p 119, "Le fonds commun")

PS : Six des quatorze écrivains qui se hissent cette année dans le dernier classement Forbes des auteurs les mieux payés au monde sont des auteurs de littérature jeunesse. Dont J. K Rowling (Harry Potter).

Pourtant, malgré ses 19 millions de dollars de recettes, ce n'est pas l'Anglaise qu'on retrouve sur la première marche du podium. Deux Américains passent devant. Jeff Kinney : Il est à l'origine d'une série illustrée pour enfants intitulée Journal d'un dégonflé (neuf tomes sont déjà parus en France). Elle raconte les pensées intimes d'un gamin de 12 ans, Greg, qui a bien l'intention de devenir riche et célèbre. En avril 2009, Kinney a rejoint le classement Time des personnes les plus influentes au monde. Devant Kinney et Rowling, très loin devant, on trouve le professionnel du thriller James Patterson (Alex Cross, Le Women Murder Club...), qui cumule... 95 millions de dollars de recettes. Un rythme de publication imbattable : cette année, il a lancé pas moins d'une douzaine de livres ! Patterson joue lui aussi régulièrement sur le terrain de la littérature jeunesse avec des romans young adults à succès. Il en publie quatre à six par an.

Les écrivains de ce top 8 sont des habitués : John Grisham (le maître du roman judiciaire), George R. R. Martin (depuis l'adaptation de Game of Thrones en série), E. L. James (qui surfe encore sur le succès de Cinquante Nuances de Grey au cinéma), Dan Brown (qui veut maintenant lancer une version young adults de Da Vinci Code)... En fait, il n'y a qu'une seule nouvelle venue, la Britannique Paula Hawkins.

Autrefois écrivaine de comédies romantiques sous le pseudonyme d'Amy Silver, Hawkins a connu un succès tonitruant en passant au drame psychologique.

Forbes établit son classement en examinant les revenus (pré-impôts) des livres papier, numériques et audio diffusés par le "Nielsen BookScan" et en y ajoutant les estimations de profits issus de la télévision et du cinéma, le tout sur la période allant de juin 2015 à juin 2016.