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Heureux, ceux qui, le soir venu, regardent un film sur la plage

par Farouk Zahi

Notre pensée va à ces " damnés de la terre " que sont les habitants du Sud qui, sous la fournaise diurne et la moiteur suffocante nocturne, sont hantés par le bruit sec d'un disjoncteur qui saute ou celui, plus angoissant, d'un climatiseur qui crame.

Même les venelles ombragées, sont en surchauffe par l'effet de l'exhalaison fiévreuse des splits. La vie dite moderne a transformé en enfer, ces oasis, jadis, rieuses. Le parpaing rugueux et la brique céramique ont eu raison de ce bien être que procurait la brique de terre séchée appelée " Toub ". La rustique poutrelle de tronc de palmier ou de genévrier, ne renvoyait pas la chaleur torride des terrasses brulées par un soleil de plomb. La chape, faite d'une première couche de tuf, était recouverte d'une épaisse couche de mortier blanchi à la chaux. Cette technologie ancestrale, car c'en est une, luttait efficacement contre l'ensoleillement profus. L'orientation sud- est des bâtisses participait du génie édificateur de ces populations qu'on disait incultes, pour n'avoir pas toujours fréquenté les bancs de l'école publique. Les étroites ouvertures, tournées immuablement vers le sud-est ou le nord, ne laissaient passer que quelques rayons lumineux fugaces.

En dehors du bâti, la palmeraie et ses eaux vivent rendaient la vie oasienne supportable en saison torride ; malheureusement, la déperdition dans laquelle se trouvent ces anciens havres d'ombrage n'incite plus à ce recours. Les mythiques seguias et autres chutes d'eau, englouties par les eaux putrides des déversoirs du tout à l'égout, font regretter les rudimentaires fosses d'aisance et dont le produit servait à l'épandage des champs agricoles. L'on nous dira à juste raison, tout çà c'est du passé. Oui, certainement, mais il nous faut accepter de payer la contre valeur de la précipitation. L'évolution urbaine effrénée induite par les différents programmes de développement, n'a pas apporté que de la modernité. Les aléas de celle-ci, sont de plusieurs ordres, notamment, celui de l'affolement de l'écosystème. Ces bouleversements ne sont pas étrangers à la recrudescence des accidents, souvent fâcheux, de l'envenimation scorpionique et de la prolifération des moustiques. L'homme, dans sa quête de nouveaux territoires, a empiété sur ceux des arachnides et des reptiles qui, hôtes naturels des lieux, sont devenus para-domestiques et cohabitent avec l'homme. Lors des soirées torrides et faute de lumière, le scorpion qui sort pour la prédation fait des victimes sur son chemin. Chaque été, les familles du Sud, payent un lourd tribut aux scorpions et aux vipères.

Maintenant que l'immersion est faite pour ceux et celles qui ne connaissent le Sud que par ses belles dunes ondulantes, ses palmeraies chatoyantes et ses graciles gazelles à travers les documentaires filmés, passons au sujet que nous soumettons à débat aujourd'hui. Il s'agit de cette propension nationale à doter plus les nantis au détriment des démunis dont la voix est constamment inaudible jusqu'à ce qu'à survenue de l'irréparable. Ceci est visible à travers la seule lecture des programmes récréatifs estivaux publiés par la presse. Notre vénérable Office national de la culture et de l'information (ONCI), à part quelques festivals épisodiques çà et là, se confine crânement dans ce qu'on pourrait qualifier de triangle des Bermudes culturel compris entre Alger, Boumerdès et Tipasa ou comme on dit pour les horaires des prières " El Djazair ou dhaouahiha ".

Avec la récente ouverture de l'Opéra d'Alger, l'attractivité du centre sera plus prégnante. Sans intention délibérée de vouloir diminuer de son rôle dans l'acte culturel, cet office, comme son nom ne l'indique, est de fait régional eu égard à son territoire d'évolution. Les mêmes lieux reviennent dans les productions artistiques, quelles soient nationales ou extranationales. Si ce n'est pas Riadh El Feth, c'est le théâtre de verdure, sinon le Casif ou le centre culturel de Tipasa. A quand Tignenif, Ain Sefra, Bou Saada, Ain Beida et El Ménia ? Ces agglomérations secondaires, à l'inverse de leurs chefs lieux respectifs, ne disposant pas de Maison de la culture, végètent dans un marasme culturel plus privatif que leur marasme économique. Pauvres en équipements culturels certes, accordons leur, la clémence du temps comme chance pour des spectacles à ciel ouvert. Même les stades, peuvent remplir cet office au cours de la trêve footballistique. La culture, c'est beaucoup d'art, mais un peu de folie, sinon c'est de l'administration.

Les populations du Nord et en dépit de ce qu'elles peuvent penser de leurs tracas quotidiens, doivent rendre grâce à la nature de les avoir fixées sous de clémentes latitudes. Elles bénéficient de la proximité de la mer, de l'ombrage du couvert végétal et de la brise des montagnes, à ce titre, elles peuvent s'estimer privilégiées par rapport à leurs concitoyens des Hauts Plateaux et du Sud qui encore sur terre, subissent la géhenne du climat. Les gens du Nord,? râleurs, frondeurs et gâtés?sont couvés par les deux institutions nationales que sont l'ONCI et l'AARC (Agence Algérienne pour le rayonnement culturel). Cette honorable agence, a programmé depuis 2015, des séances de cinéma sur les plages. Bonne initiative, s'il en est, mais cette opération louable à plus d'un titre pêche par son ingénuité car c'est méconnaitre l'ardeur juvénile.

Nous voyons mal, de jeunes, exubérant de vie s'affaler pour suivre une relique cinématographique muséale telles que Omar Gatlatou ou Hassen Terro et qui ont pris beaucoup de rides. Et même si c'est le cas, l'effet sera burlesque, car ces jeunes se fonderont la poire à la vue de ces cheveux longs ébouriffés et ces pantalons interminables en pattes-d'éléphant ou encore ces vieilles guimbardes du siècle dernier. L'assistance, sera dans le meilleur des cas, constituée de vieux couples accompagnés de leurs petits enfants. L'adolescent est quant à lui, dans son petit monde appelé Ipad et ce ne sera, ni l'Inspecteur Tahar, ni l'Apprenti qui le feront extrader. A notre sens, cette opération relève du gavage et quand il a gavage il y a tout naturellement rejet. L'autre intention généreuse de l'AARC a été celle de programmer pour l'intérieur du pays la formule " Ciné Madina " ; malheureusement, elle ne couvrait pas l'ensemble des wilayas. Il s'est trouvé que des wilayas côtières ont bénéficié des deux formules. Dans le lot des oubliés, nous trouvons les plus excentrées du pays à savoir : Tindouf, Adrar, et Tamanrasset.

Deux hypothèses viennent à l'esprit, ou ces entités territoriales disposeraient d'équipements capables de rendre le même service ou elles sont carrément shuntées pour un quelconque motif. Le temps nous le dira certainement.

A propos d'équipements similaires à ceux que détient l'AARC et dans l'attente de la réhabilitation des salles de cinéma, ce " Godo qui ne vient pas ", il est envisageable, dans le cadre d'une opération planifiée ou sur fonds propres, d'autoriser les wilayas à en acquérir et se passer ainsi, de cette lourde et lointaine dépendance. Cette décentralisation, permettra sans aucun doute, au cinéma itinérant d'aller dans les coins les plus reculés des circonscriptions administratives et de soustraire ces groupements de population ostracisés à la pénombre socioculturelle. Pour revenir aux festivals, notamment ceux de Timgad et Djemila, ceux-ci se singularisent par la proximité topographique et calendaire ce qui crée une densification d'activités culturelles d'une région par apport aux autres, mais tant mieux dirions nous. Ces hauts lieux archéologiques, contrairement, à celui de Baalbek où ont tonné les voix sublimes de Fairouz et Wadi'Essafi, font dans le cocktail où on peut réunir dans, une même soirée, Kadhem Essaher ou encore Majda Roumi avec un interprète au nom évoquant un mammifère marin ou celui d'un pays asiatique. Ces artistes lyriques qui chantent des textes recherchés dont les noms des auteurs sont passés à la postérité universelle, participent à l'éveil des consciences populaires par le verbe ciselé et la mélodie apaisée, ce qui n'est pas le cas pour cette musique tonitruante et sortie des bouges urbains qui est devenue la nôtre. Son intrusion s'est faite, inconsciemment, à travers l'esplanade de Riadh El Feth des annés 80' ; elle a envahi peu à peu tous les espaces communs pour devenir une musique admise dans les foyers. Aux premiers cités, on pouvait opposer, sans rougir, les textes de Bensahla, de Mostefa Benbrahim, de Benkeriou ou encore ceux de Mostefa Toumi. Dans une ingénue intention de valoriser le patrimoine immatériel du terroir, nous avons " synthétisé " la chanson aurèsienne aérée, " nailiser " le bedouin sahraoui et " rainisé " le bedouin oranais.

Sans risque de nous tromper, cette musique dont on disait être le cri de détresse de la mal vie a, paradoxalement, conquis la propre descendance de la bourgeoisie compradore qui en a fait sa litanie quotidienne. Les salles des fêtes à clientèle exclusivement féminine, vomissent de pleins décibels indécents voire obscènes. Les associations culturelles de musique classique algérienne ayant acquis depuis longtemps une notoriété internationale sont, plus que jamais, à mettre à contribution pour rivaliser avec les chantres du " Tarab el arabi ". Et ce n'est, certainement pas, avec " baraka marnaka " ou " Ainik m'balguine " qu'on pourra se faire une place au soleil à l'instar des pays du Golfe qui ont fait de leur folklore bédouin, un style propre " Khalidji " que se disputent les stars de la chanson arabe. Car, ce que tout le monde semble admettre comme une fatalité, n'est qu'une entreprise savamment orchestrée pour miter le tissu social par, d'abord, le verbe violent conduisant inéluctablement au geste violent et c'est ce que nous constatons actuellement.