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Le coup de phare

par Mohammed Beghdad

C'est un vrai calvaire auquel vous êtes confrontés lorsque vous conduisez durant une seule heure sur nos routes. C'est comme si on allait faire une course d'automobiles ou participer à un rallye sans casques et sans mesures de sécurité. À chaque fois que vous prenez la route, vous sentez que vous allez défier la mort avec ces fous du volant.

Faîtes surtout votre prière avant de monter à bord tellement le risque est gros. À la fin de la course-poursuite, si vous arrivez à sauvegarder votre vie ou éviter un accident, vous êtes totalement usés, épuisés mentalement et physiquement, lassés par ces comportements de terrorisme routier qui tue plus que tout autre chose en ces temps-ci. Nos chauffards, ces boucaniers de la route, ne vous laissent aucun moment de répit. Les duels et les défis sont légendaires. Attention à celui qui ose. Ils dégainent tels des éclairs. Vous êtes harcelés de partout surtout dans un rond-point où ils sortent de son intérieur perpendiculairement à sa conférence pour vous couper instantanément la route. C'est un nouveau code si vous n'êtes pas habitué. Il faut s'attendre à toutes les surprises. Il va falloir s'acclimater à cette ambiance cahin-caha

Vous êtes même pressés par derrière pour griller un feu rouge comme si de rien n'était. Les klaxons commencent à fuser si vous hésitez un seul instant à respecter la couleur rouge. Ceux de derrière vont voir rouge. Vous devenez irrémédiablement aux yeux des autres, le fautif désigné alors que vous ne faites qu'appliquer ce que vous avez appris du code de la route. Un passant peut même vous dire que le feu, malgré qu'il soit en marche, qu'on se fie plus. C'est ce qui m'est arrivé au croisement du tramway à Es-sénia.

Dans les pays européens, cela vaut la perte de la moitié des points de votre permis de conduire. Mais là, le code perd toute son universalité. Il n'est valable qu'en mode local. Le mode international sonne aux abonnés absents. Il n'a plus de valeur à force de l'hypothéquer à chaque virage dangereux, en dépassant la file se trouvant devant vous avec à la clé la ligne continue à inscrire sur votre tableau de chasse. Si vous laissez entre vous et l'engin qui vous précède, un moindre petit espace d'intervalle et voilà venir de derrière vous un bolide à toute vitesse, sans le signalement d'aucun clignotant, pour vous doubler et venir s'incruster de force comme une sangsue dans ce trou de souris avec tous les dangers que cela supposent pour sa sécurité et celle des autres.

Vous êtes toujours en alerte, sur le qui-vive, les nerfs à point en train de vociférer. Vous êtes dans un état second. Vous n'en revenez pas devant ces irrégularités permanentes. Vous ne sentez aucune tranquillité dans cette chasse au défi, à rechercher à être l'as de la route.

Le danger peut surgir à tout instant et de toutes parts. Il faut tout le temps être sur ses gardes. Attention à celui qui croit rouler pour la collectivité. Ici chacun roule pour soi, pour sauver uniquement sa peau si son gage est concluant. Peu importe l'autre. Il peut crever. Il s'en fout même éperdument du reste. Ici la de jungle trouve toute la signification de sa loi. C'est chacun pour soi et la tombe les autres.

Lorsque par votre malheur, vous vous trouvez au milieu d'un cortège de mariage ou d'un convoi de poids-lourds, le risque se multiplie en fonction du manquement des lois de la physique. Il vaudrait mieux s'éloigner de la meute si vous tenez à votre peau et à la vie de vos passagers. Ils perdent tout le sens, toute leur réflexion. L'instinct primaire est vite retrouvé. On oublie la raison, l'école, les bonnes valeurs, la famille, le pays. On est transposé dans un autre monde, dans des rodéos des temps nouveaux.

Je me pose la question comment l'Algérie n'a pas vu émerger des champions de formule 3 ou 1 à force d'entraînements quotidiens sur nos routes et à grandeur nature au milieu de ces excités qui ne reculent devant rien. Des pilotes en herbe existent, il suffit de les détecter. Ils commencent leurs carrières très jeunes. Une fois le permis en poche, ils sont aussitôt lancés dans le bain grâce aux quatre roues acquises des mamelles de l'Ansej et de l'argent de la facilité. Au bout de quelques mois, ils acquièrent de l'expérience qui leur permettent de slalomer dans un bouchon de voitures quitte à monter sur le trottoir ou rouler sur la bande en terre brute laissant des brouillards de poussière à vous faire regretter de n'avoir pas pris votre retraite de conducteur.

Il arrive que parfois, subitement, tout le monde ralentisse par miracle à un rythme insolite. Les conducteurs deviennent soudainement tous gentils. Pour connaître la cause, il faut regarder à gauche en face dans l'autre voie et les incessants coups de phare des automobilistes venant en sens inverse. L'interdiction est à plus de 80 km/h mais certains freinent leur allure et commencent à rouler même à moins de 60, tellement ils y tiennent à leurs poches et à leurs papiers. Après quelques centaines de mètres de trajet à la vitesse de l'escargot, vous apercevez le barrage de la gendarmerie où rares sont ceux qui sont pris au piège. On connait bien le système. Ce n'est que partie remise, le guet-apens est remis à une autre fois. Une fois le barrage dépassé et après une vingtaine de mètres, la partie reprend de plus belle. Ils retrouvent toutes leurs sensations. Ces parties de cache-cache qui n'en finissent pas. Vous avez envie de les dénoncer aux barrages suivants si vous arrivez à les identifier. Mais peine perdue. Ils se sont déjà envolés.

Pourquoi doit-on devenir réglo qu'à la vue du gendarme ou du policier en faction ? Pourquoi doit-on devenir civique qu'à la vue de l'autorité ? Pourquoi nous ne le sommes pas tout simplement par notre éducation, par une école performante comme dans les pays civilisés ? Le fait que les incessants coups de phare incessants soient nombreux, pose un problème de conscience, un problème de civisme. C'est-à-dire que nous sommes pour l'illégalité, pour le piétinement des lois sans que certains trouvent ce geste anormal.

Il faudrait que les sociologues, les psychiatres ou les politologues puissent nous l'analyser. Pourquoi les citoyens des pays développés voient une dénonciation du non-respect du code de la route comme un comportement civique alors que chez nous, il est considéré par la majorité comme une délation ? Ce qui explique sans doute une des causes de notre actuel retard.