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Réforme hospitalière : Un arrêté ministériel qui n'a jamais été appliqué

par Ghania Oukazi

Les responsables du CHU Mustapha ont organisé hier une réception en l'honneur des professeurs chefs de services qui viennent d'être mis à la retraite.

Ils ont entre 70 et un peu plus de 80 ans. Ils ont été chefs de services au Centre hospitalo-universitaire Mustapha-Bacha d'Alger pendant 40 ans et plus. Aujourd'hui, ils quittent leurs postes pour aller à la retraite. Jusque-là, rien d'étonnant ni d'extraordinaire. Mais c'est peut-être nouveau parce que la mise à la retraite de responsables aussi anciens dans les établissements de la santé n'était pas jusque-là chose évidente. Pourtant, leurs collègues jugent «incorrecte» la manière avec laquelle ils viennent de l'être. «Comme s'ils n'ont pas servi le secteur, ils sont restés aussi longtemps mais en quelques minutes, ils ont appris qu'ils devaient partir de suite à la retraite, ils ont été pris de court,» disent ceux qui contestent cette décision-surprise. L'essentiel à souligner est que sur 80 professeurs chefs de services répartis sur l'ensemble des CHU du pays, 13 l'étaient à Mustapha pendant de longues années «mais quittent aujourd'hui la table. » L'on ne sait pas s'ils vont être sollicités pour encadrer leurs remplaçants mais ce qui est sûr c'est que leurs postes respectifs vont être pourvus, selon nos sources, dans un délai d'un mois par des intérimaires jusqu'à l'organisation du concours prévu à cet effet. (Art. 1er de l'arrêté interministériel du 11 décembre 2011 fixant les modalités de désignation en qualité de chef de service hospitalo-universitaire par intérim).

Et « tout est dans cette relève qui n'est pas forcément prête ou surtout bien préparée, » disent les professionnels du secteur. Ils rappellent d'ailleurs, que le secteur de la santé n'a jamais donné à cette question une importance particulière alors qu'elle doit constituer l'épine dorsale de la gestion de ses services aux fins d'assurer la qualité nécessaire à l'acte médical. L'on apprend au passage que les responsables du secteur n'arrivent pas à procéder aux changements qu'ils ont pourtant prévus par voie de textes réglementaires. Ceci, « en raison de pesanteurs, ou de pressions ou d'interférences -ou des trois à la fois- qui ont la peau dure et pèsent de manière sournoise dans le pourvoi des postes de responsabilités au niveau des différents services », affirme-t-on.

PROCES VERBAL CONTRE ARRETE INTERMINISTERIEL

Il est noté à cet effet, qu'à ce jour, le ministère de la Santé n'a pas réussi à appliquer l'article 2 de l'arrêté cité plus haut qui réglemente l'inscription sur les listes d'aptitude de candidats à la chefferie d'unité. Cet article stipule : «peuvent être candidats(?), les professeurs hospitalo-universitaires, les maîtres de conférences hospitalo-universitaires de classe A et B, les maîtres-assistants hospitalo-universitaires justifiant deux années de service effectif en cette qualité. » L'article 3 de cet arrêté de 2011 précise en outre, que « les candidats cités à l'art.2 adressent leur demande d'inscription sur les listes d'aptitude au directeur de l'établissement de santé qui les soumet pour avis du Conseil scientifique de la faculté de médecine concernée ». C'est ce qui a été fait il y a près d'une année au CHU Mustapha, où une liste de noms répondant à ces critères, donc éligibles à ce poste a été établie, et adressée au ministère de la Santé. « Mais à ce jour, aucune suite n'a été donnée à cet effet », soutient-on.

 Plus de 700 chefs d'unités exercent dans les hôpitaux du pays mais, nous disent des responsables au ministère de tutelle, «nombreux d'entre eux ne sont que des maîtres-assistants et ne répondent pas ainsi aux critères exigés par l'arrêté qui a pourtant, force de loi». Il est précisé du côté de l'administration que « ces chefs d'unités ont été payés jusqu'en décembre 2011, et depuis cette date, ils travaillent sans compensation financière ». Pourvu, disent nos sources « qu'ils gardent les postes en main».

On nous fait savoir qu'une réunion a eu lieu la semaine dernière au ministère de la Santé pour discuter de cette question de chefferie d'unité. Réunion qui a regroupé les responsables des ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur (signataires conjoints de l'arrêté) et les représentants de la section syndicale locale de la wilaya d'Alger affiliée au Syndicat national des hospitalo-universitaires.

CES INEPTIES QUI BLOQUENT LA MACHINE

Ce qui est curieux c'est que l'arrêté interministériel précise bien que « la nomination des chefs d'unités doit reposer sur une liste d'aptitude répondant aux critères exigés, ayant eu au préalable un avis favorable du chef de service, doit être entérinée par le directeur de l'hôpital et le Conseil scientifique et enfin examinée en dernier ressort, par une commission mixte santé-enseignement supérieur». Nos sources interrogent alors « pourquoi le ministère de la Santé discute-t-il de la question de chefferie d'unités avec les représentants du syndicat alors qu'ils n'ont pas droit au chapitre ? » Contrairement aux responsables de l'enseignement qui, nous souligne-t-on, «tiennent à ce que ces postes doivent être régis conformément aux articles de l'arrêté, le ministère de la Santé ne semble pas soucieux de mettre les formes qu'il faut, c'est pourquoi il en discute avec le syndicat qui n'a rien à voir». Il est constaté par nos sources qu' « à cause de ces tergiversations et ces manquements aux règles en vigueur, l'arrêté pourtant signé en 2011 n'a pas été appliqué à ce jour ». Un retard jugé « insensé, inadmissible et pénalisant pour le secteur ». L'on reproche « aux responsables de la Santé de contribuer au maintien d'un statu quo qui bloque tout un processus de réforme ». Au ministère, l'on nous indique que le syndicat se targue d'avoir arraché sa place «comme partie prenante dans le pourvoi des postes au temps des deux ministres, Ziari de la Santé et Hraoubia de l'Enseignement supérieur, avec lesquels ils on signé des procès verbaux ». De simples PV qui, nous affirment nos sources, « sont brandis par des responsables qui relèguent l'arrêté de 2011, au second plan ». Notons que les contacts que nous avons entrepris auprès des représentants de la section syndicale d'Alger n'ont pas abouti.

Il faut croire que les nouveaux détenteurs des portefeuilles ministériels de la Santé et de l'Enseignement supérieur, n'ont pas encore eu le temps nécessaire pour s'imprégner de la teneur de tels dossiers. « Leurs lenteurs pénalisent grandement le secteur et retardent sa remise en ordre », disent les spécialistes.

C'est ainsi qu'il est reproché aux gestionnaires du secteur d'accepter « une situation de fait accompli où les chefs d'unités en postes ne passent aucun examen et se contentent uniquement d'être chefs -ce qui est une ineptie- alors que les postes en question doivent revenir aux plus gradés de la profession ». S'il y a une définition à donner à la chefferie d'unité, nous dit un spécialiste et cadre au ministère de la Santé « c'est une responsabilité liée à la compétence répondant à des critères bien précis ». Ce qui est loin d'être le cas au niveau de pratiquement l'ensemble des hôpitaux algériens. « Il est inadmissible qu'un maître-assistant commande une unité alors que les professeurs et les maîtres de conférence ou docents sont laissés en rade », estiment des responsables qui avouent « avoir les mains liées pour pouvoir réagir contre ce désordre dont les mauvaises conséquences sur la qualité du service hospitalier sont évidentes ». Parce que, soutiennent-ils, «l'unité qu'il est impératif de pourvoir par des compétences, représente l'unité fonctionnelle de base du service hospitalo-universitaire ». Elle a pour mission « d'assurer une ou plusieurs activités du service dans les domaines de la formation, de la recherche et de la santé, notamment la prévention, les soins, les explorations et la production de moyens de traitement. » (Art.9 -Arrêté de 2011).