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L'administré doit s'approprier la chose publique

par Farouk Zahi

T elle a été la phrase, presque anodine, de M. Tayeb Belaiz ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales lors d'un des nombreux discours développés au cours des protocoles d'installation des nouveaux walis de la République. Dans la bouche même, du plus important ministre du cabinet gouvernemental cela veut dire que la chose publique doit être affaire de tous. Son prédécesseur, M. Ould Kablia parlait de démocratie participative.

Ceci n'est pas nouveau dans les annales dirigeantes du pays, on retrouve dans la défunte Charte d'Alger d'avril 1964, tout un chapitre consacré aux " aspirations des masses populaires " et la " bureaucratie ". Pour cette dernière, il s'agissait d'un fait historique post colonial qu'il fallait inscrire dans le fondement même de la domination impérialiste et combattre.

La Charte nationale de Juin 1976 y revient dans 6 de ses pages, nous ne retiendrons que ce paragraphe de la page 92 : " Cependant, quand les structures administratives font de leur propre existence la finalité de leur action, le phénomène de la bureaucratie se substitue à une véritable gestion et devient pour la production et la marche des affaires, une source de sclérose et d'étouffement ". Donc, cette tare administrative a toujours existé, perduré et fait d'innombrables victimes. Que l'on se méprenne pas sur ces gites, cette hydre ne touche pas que la paperasserie quotidienne, elle s'étend à tous les secteurs dont certains sont vitaux.

La demande de transfert d'un malade d'un lieu vers un autre est précédée d'une demande expresse à l'établissement d'accueil, ce qui peut être admis dans la mesure où celui-ci doit réunir les conditions idoines, malheureusement, la réponse attendue ne vient pas à temps ou pas du tout. On continue à s'adresser directement à l'administration alors que la décision de prise en charge émane du service destinataire lui-même. Ne serait-il pas plus indiqué de mettre à la disposition du public les numéros de télécopie (fax) ou les boites électroniques (email), non pas des services mais d'agents à même de répondre efficacement aux sollicitations. Parler de sites web participerait encore de l'utopie. A ce propos, beaucoup de désagréments seraient évités aux usagers, si les différents intervenants dans la chaine de prise en charge communiquaient entre eux par émail ou téléconférence. Largement utilisés dans la vie privée des particuliers, les multimédias peuvent être d'un grand apport pour le domaine public. Il faut vouloir seulement. Il a suffit au ministre de l'Intérieur et au ministre délégué à la Réforme du service public d'en parler, et avant même l'envoi d'instructions écrites pour que la machine de dégrippe et fasse de miraculeuses performances. A Sétif les documents administratifs délivrés, il y a peu, en pas moins de quelques semaines, seraient délivrés en moins d'une heure. Le domaine sportif a fait, récemment parler de lui dans le registre. La cohue du stade Tchaker à la veille des joutes footballistiques du Mondial, serait due à l'insuffisance de guichets (2) pour écouler les 35.000 billets d'accès. Même les Affaires étrangères, ne sont pas exemptes de la " dérive ". Des citoyens venus parfois de très loin, doivent séjourner plusieurs jours dans la capitale pour se voir délivrer des documents d'état civil d'expatriés. A ce titre, il serait tout à fait envisageable que l'administration concernée prenne ces documents à la source, ce qui éviterait et les errements et l'usage du faux, véritable plaie sociétale. Le nœud gordien de la galère bureaucratique est sans nul doute, la démarche constitutive du dossier administratif. Ce dossier qui était un moyen aussi bien coercitif que dissuasif entre les mains de l'administration coloniale, s'est développé au point où les volontés les plus pugnaces ont déclaré forfait. Passer deux ou trois nuits à l'hôtel et faire des déplacements sur des centaines de kilomètres pour arracher un extrait de naissance S 12 ou parfois un simple 12, relève souvent de la gageure avec tout ce qu'elle implique comme désagrément. Détenir une carte nationale d'identité, un passeport national et se voir exiger un certificat de nationalité, relève plus de l'irrationnel que du communément admis. La nationalité obtenue par la mère, n'est valable que pour le renouvellement de la pièce d'identité originelle. Le certificat de résidence, ce sésame socio professionnel qui peut être une exigence administrative, est établi après présentation d'une quittance de charges ou d'un bail de location. Pourquoi exiger une certification par les services de la commune puisqu'ils ne sont pas la source de l'information. Le certificat médical d'aptitude physique, qui est plutôt une simple formalité devrait plutôt veiller plus à l'intégrité mentale que physique de l'individu. Le volet pneumo-phtisiologique devrait être intelligemment abandonné. En ce qui concerne l'appropriation de la chose publique, il faudrait que le détenteur de la décision veille bien céder une partie des prérogatives que les électeurs lui ont concédée. Le pouvoir à l'instar de l'altitude, fait manquer imparablement d'oxygène et là c'est le tournis. Les privilèges induits, tant matériels que moraux, feront vite oublier au responsable ou à l'élu la mission pour laquelle il a été investi.

Pour certains, c'est à la chance de leur vie qui se présente à eux ; brimés, ils brimeront d'avantage et avec plus de raffinement. Ils fréquenteront dans le cadre de leur mission, les lieux dont le faste n'effleurait même pas leur esprit. Ils deviseront avec des personnalités qu'ils ne voyaient, jadis, qu'à travers la lucarne télévisuelle ou les coupures de presse.

Monsieur ou Madame auront leur place attitrée parmi les convives importants. Ils en oublieront famille et amis. La véritable lutte qu'il faille mener est contre l'égo. Instruit pour recevoir le public une fois par semaine, un wali a déjà délégué à son Secrétaire général cette prérogative. Dans le secteur privé, en dépit du numéraire versé le plus souvent préalablement, l'usager n'est pas mieux servi, il est parfois même bouté violemment. Un fait de société qu'il faut éradiquer à sa racine par la culture du respect d'autrui. Quand l'administration s'évertuera à répondre même par la négative, un long chemin aura été parcouru.