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De Benboulaïd à Saïdani

par El Yazid Dib

Au début il y avait de l'euphorie, de l'inédit, et les grandes amours. Maintenant c'est l'usuel, le réchauffé et les grandes dépossessions.

Chacun d'eux est venu dans une époque donnée. Chacun d'eux à une spécificité particulière. Les conditions de l'un ne sont plus celles de l'autre. L'un est un idéal national pérenne, l'autre est une conjoncture actuelle. Personne ne disait mauvais mot sur Mostefa, sur l'autre l'on dit des mots, des mots et des maux. Enfin la comparaison n'est pas individuelle, elle ne peut se faire car elle se veut juste à un plan organique.

A la veille de novembre 1954 l'utilité d'un rassemblement de toutes les forces vives de la nation était plus que nécessaire pour un front unique apte à pouvoir réaliser la volonté populaire pour une indépendance, tant prônée et restée hélas assujettie au leadership et l'ego personnel. La témérité des uns ou l'opiniâtreté des autres faisait que le salut national ne pouvait avoir l'entièreté de son recouvrement que par l'engagement collectif de tous pour un idéal commun. Toutes les grandes, du moins sérieuses dissensions se sont tues, des concessions se sont faites et la liberté du pays restait l'unique but imposable impérativement à tous. C'est dans ces convictions irrésistibles de grande union populaire qu'est né le FLN. Il a vu le jour dans les bras accueillants de tous les enfants du pays. Il était tel un ingrédient, dans tous les foyers, hameaux, bourgs et bourgades. Il n'avait pas de page facebook, ni un site mais tout le tissu territorial en faisait lieu. Un immense sentiment de fierté et d'identité retrouvée commençait à gagner les plus indécis quant à l'issue affichée. Ce sigle symbolisait déjà une lueur incontestable de liberté d'où émanaient des espérances, des attentes et aussi d'innombrables illusions. Comme il symbolisait aussi un éveil actif et énergique suite à une sombre et trop longue nuit coloniale. Benboulaid, ses compagnons et tous les leaders de la révolution n'y voyaient là qu'un outil politique d'unification à même de faire taire l'interminable brouille qui a emmaillé les luttes locales, les révoltes rurales et les insurrections sporadiques. L'heure n'était qu'à la fermeté de décision. C'est en l'espace de 7 ans mus par la cruauté vécue et le martyre consenti que l'objectif fût atteint. De 1954 à 1962 le FLN a gagné l'une des guerres les plus meurtrières où l'inégalité des moyens ne fléchissait personne. De 1962 à 2013, avec beaucoup de moyens, lui, autrement reconstitué et les autres ont été incapables de construire un Etat où l'égalité sociale devait en être le socle primaire.

Une fois le pays libre, ce Front allait vers d'autres combats plus attrayants. Les grandes taches de l'édification nationale. C'était un temps où l'engagement politique ne variait nullement de l'ardeur à pouvoir continuer la révolution autrement et sur d'autres fronts. L'école, la campagne, la rue, l'usine et tout espace de la vie active ne pouvait être extrait à un militantisme qui ne cesse de déborder jusqu'aux fins de tous les rouages institutionnels. L'enrichissement n'était qu'un esprit de petite bourgeoisie à combattre mais qui commençait déjà ses moisissures dans les faits tout étant éloigné des parois du discours officiel. Tout le monde, l'affiliait-on aux classes laborieuses au moment où un autre petit monde entamait ses balbutiements vers une classe qui sera supérieure, nantie avec beaucoup d'investissements et de prêts bancaires.

Les quelques relents de mythe liés au culte de la personnalité, à la guéguerre des sièges, au desideratum de commandement vont vite le transformer, après une mise ne quarantaine, au profit de la baïonnette en un appareil usuel de propagande. Il commençait à se faire sortir de l'option politique qui devrait tendre à réunir davantage les potentialités managériales et gestionnaires. Il faisait plus dans l'inquisition que dans la persuasion politique. L'Etat se confondait dans la rigueur qu'exerçait par fonction non élective le commissaire du parti. Il était l'émanation philosophique et l'expression officielle du pouvoir. Un verbe d'Etat au plein mode impératif. L'administration ne trouvait issue que dans l'application de résolutions, d'authentiques textes d'application sans nulle réserve. L'idéologie remplaçait toute stratégie.

Un regain salutaire pointait pourtant son doigt dans un climat de haute morosité en octobre 1988. Le FLN semblait à l'évidence être sommé de faire sa mue à peine de disparaître. Octobre permettait ainsi la résurrection d'un FLN criant au rajeunissement et au ressourcement. Les ténors hués campaient en silence sur la bande d'arrêt d'urgence. Sur le guet, ils attendaient l'heure d'un probable retour. Certains ont su depuis ce temps garder leur rang et leurs privilèges jusqu'à ce jour. Un Mouhafedh des années 1970 est toujours et à ce jour dans la cour des grands, sous l'appellation de Monsieur le sénateur. Record d'obstination politique ou sacre séculaire ?

Octobre 1988 et ses conséquences constitutionnelles sur le renouveau politique dans la nouvelle configuration n'était autrement qu'une invitation d'astreindre le FLN aux soupirs languissants de l'agonie organique en tant qu'entité politique omniprésente et monopolistique. Le multipartisme venant finir le temps des grosses tartes allait lui permettre en fin de cheminement quand bien même un certain « rejaillissement ». Bien ou mal opéré ; ce nouveau processus dynamique aurait réussi totalement si l'entêtement farouche de l'ancienne garde n'avait pas montré ses crocs. Manœuvrant à domicile ou à distance, les hiérarques fonctionnarisés n'allaient pas aussi facilement lâcher les rennes qui les ont surélevés aux zéphyrs de la gloire dans le tout jeune Etat.

Dans ce contexte de la nouvelle loi sur les partis, le FLN n'est plus un Front mais un parti. Le PFLN. Feu Khaled Benboulaid, fils du chahid Mostefa Benboulaid le percutant sur son appartenance politique, me disait un jour, « je suis avec le Front et non le Parti». Ses trois autres frères, me disent toujours que leur « parti c'est l'Algérie». Aucun d'eux, pourtant tous universitaires et retraités n'ont eu à être proposés comme sénateurs présidentiels. C'est en eux, malgré tout qu'on y retrouve la fibre algérienne d'origine, l'impartisanat et le propre sang Benboulaid. Leur défunt père ne les avait pas envoyé faire leurs classes à l'étranger, ni lui-même faire panser ses blessures ailleurs que dans les grottes inaseptisées de Kimel ou Lahmar Kheddou, ces montagnes qui s'élèvent encore comme des stèles infusibles.

Ce parti ; on va l'apercevoir au fur et à mesure de l'effilement de toutes les élections que les batailles n'ont jamais pris l'allure de courants idéologiques contradictoires. Les conflits opposaient les personnes, les clans et les familles et non les idées ou la nature de projets sociaux. La désignation du secrétaire général, la composition du bureau politique récent, la diversion du comité central sont autant de facteurs de scission que d'appels au resserrement de rangs dans une situation difficile. Dans le temps, il n'y avait pas de coup d'état scientifique, ni encore de justice nocturne ou d'intervention extra-partisane. L'alternance se faisait au nom d'un rêve, d'une envie de liberté pas plus. Les conclaves ne se tenaient pas à l'hôtel l'Aurassi, mais sur les cimes des Aurès. Dans le feu et le sang et non pas autour d'un thé à la menthe et des suaves produits de la pêcherie algéroise. Il n'y avait pas un député à qui l'on facturait le prix de la galette à l'orge pétrie gracieusement par ces mains rurales et enthousiastes. La pauvreté dans ce temps là ; était une simple fatalité infligée et la richesse, loin des avantages fiscaux et de la générosité des banques publiques était parfois une rareté soupçonnée. Benboulaid était pourtant fortuné mais mettait cette fortune au service de son idéal. Son poste de chef, déclencheur ne lui offrait aucune indemnité, ni prime sauf celle qu'il attendait le plus, tomber au champ d'honneur. Son passeport n'était pas un document diplomatique, mais juste un visage et une arme de poing. Son salon d'honneur et les égards du VIP qu'il ne semblait pas trop en quémander n'étaient autres que les chemins scabreux et boueux et les risques meurtrissants qu'il prenait pour que vive l'Algérie. Même les résolutions d'envergure se prenaient au scrutin démocratique et engageaient tout le peuple car elles étaient justes et appropriées. Prises en confiance évidente, sans huissier de justice, sans enregistrement vidéo, elles ne tendaient jamais à satisfaire le narcissisme de l'un ou hisser davantage le nombrilisme de l'autre. L'homme, chef ou subalterne soit-il moudjahid ou zaim ne valait rien sans ses états de services, ses exploits, sa vision ou l'alter-ego et l'élan adhésif qu'on lui prêtait unanimement et adéquatement. D'où cette sentence prophétique et qui commence à se dissoudre « un seul héros ; le peuple ! » L'on ne personnalisait pas les bilans, ni individualiser les batailles. Que reste-il par conséquent, quand la révolution se dissipe, à ce slogan affiché sur tous les frontons que les réalisations sont faites par le peuple et pour le peuple ? Évacué inconsciemment, vidé de sa substance, l'on a tendance à le rendre caduc et inapproprié.

Il reste édifiant encore de pouvoir constater avec lassitude que même avec la survenance, d'ailleurs salutaire d'autres associations politiques, le PFLN tient à contrario du discours à imposer une caste au nom d'une légitimité, non plus historique mais mercantile et friquée. L'opportunisme est confectionné grâce à l'octroi d'une carte précaire ou le renouvellement d'une autre périmée. La lutte n'apparaît qu'autour de l'échéance de vote qui fera, croit-on toujours savoir, des hommes publics pour ceux qui ne sont que de quelconques noms communs. Que de personnes célèbrement inconnues n'ont-elles été rendues grandiloquentes et parfois indispensables ?

Avec un quasi-personnel ou un esprit généralisé des années du parti unique le PFLN n'ira pas vers le fond pédagogique de la démarche qu'il semble tout le temps préconiser. Il ne subsistera, à peine de révolution intra-muros ; qu'un outil de manœuvre dans les mains de néo-caciques et de groupes corporatistes fort jaloux envers toute innovation. Faisant dans une détermination semblant façadière, sa propension de changement, il n'arbore qu'une démocratie de bavardage dénuée de toute logique propre à un parti où le centralisme démocratique est une règle d'or. La défection collective de militants, les démissions successives de chefs de kasma désavoués par la centrale dans l'établissement de listes électorales locales n'ont cessé de mettre à jour le souci révolutionnaire flniste qui ne dérange plus les opportunistes, les attentistes et les profiteurs sans conscience et dont l'unique but n'est autre que de continuer à se positionner dans un confort matériel singulier. Le PFLN est en phase de décomposition au détriment de tout un peuple. Les protagonistes qui s'entredéchirent à coup de communiqués ou de conférences de presse n'agissent pas pour l'intérêt du parti et clament chacun dans ses tranchées que cet intérêt ne s'arrête pas à une personne. Ils cultivent la division quand l'histoire recommande à tout jamais la convergence dans une diversité d'avis. Quelle position a-t-il pris ce parti, à travers ces deux courants en collision face à l'agression caractérisée qu'avait subit l'emblème national par l'hystérie royale du makhzen ? Cet étendard, dans un temps n'était pas un élément de décor urbain ou un simple pavoisement de meeting populaire ou encore une ordinaire banderole banalisée pour un match de football. Il était en fait une partie de soi. Presque un attribut divin, sacralisé et inviolable. Quelle serait l'attitude de Mostefa Benboulaid, s'il venait à voir les comportements fratricides des deux camps ? Que va-t-il dire en les confondant ; aux deux interprètes de rôle qui n'est apparemment pas le leur ? pour qui en fait roulent-ils ? Que reste-t-il du fondement de la déclaration de novembre ? Que la déclaration.

L'on ne redresse pas une situation que l'on dit déjà redressée. Chacun croit avoir raison alors que le tord est largement partagé. Ces redresseurs bondissent de partout à l'instant même où un dividende quelconque les concernant venait à être visé. Ils vivent selon le coefficient d'utilité fonctionnelle. Les alliances se font et se défont du jour au lendemain selon le même topo. Un redresseur, l'un des pionniers ne s'est-il pas vite éclipsé une fois siégeant à la haute chambre ?

 2013 aurait vu un été houleux. Semblable à quelques différences dimensionnelles à l'été 62. Si les moyens étaient différents, le mobile toujours identique. Le pouvoir, sa conquête ou son maintien. La guéguerre stimulait les appétences et soudoyait toute éthique. Seul comptait le placement des siens. En finalité qu'est ce qui oppose Saidani à Belayat ? La légalité et le respect statutaire ou bien la prise du bâtiment de Hydra et toutes ses dépendances avec armes, hommes et bagages? Ils doivent être renvoyés dos à dos s'ils n'arrivent pas à comprendre que ce parti, hier unique, global et entier n'est plus l'expression de tout un peuple comme l'UGTA n'est pas l'ensemble des travailleurs. Le bureau politique dans un passé récent ressemblait au conseil de la révolution. Une instance suprême et décisive. Mais aujourd'hui que représente-t-il en réalité ? Un badge d'accès à certains centres politiques pas trop entérinants. Une espèce de voyeurisme. Quant au comité central divisé et morcelé, il ne tend pas à réimprimer une idéologie effacée ou récurer une image altérée autant qu'il sert à avaliser à mains levées des propositions de candidatures. Si ses membres de l'époque ; à cette époque influents et contenant chacun une gloire qui l'avaient fait ; Bouteflika le moudjahid aurait tout l'honneur d'être ainsi plébiscité. Mais la teneur fébrile et inconstante des membres fait que l'aval n'avait pas, par principe et histoire de l'homme récipiendaire à faire des insignes de grand honneur. Bien au contraire, ce sont eux qui le courtisent pour essayer de s'estampiller une marque de légitimé historique. Et cette lettre a Ait Ahmed, à quel objectif était-elle expédiée ? Recevoir aussi un cachet d'authenticité par ceux là même qui l'ont fondé ou l'ont vu naitre. Le FLN, de Mostefa Benboulaid, des six à Saidani et Belayat, que de chemin parcouru, que de victoires avachies, que d'auréoles fanées, que d'âmes souffrantes !