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L'hérédité

par Notre Bureau De Bruxelles : M'hammedi Bouzina Med

Quand les bruits de couloirs ne sont plus audibles, nous nous faisons un plaisir de vous les faire parvenir. Musique.

L'affaire du désormais ex-directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, révèle un autre trouble de la personnalité politique européenne: la méfiance et le cynisme politique. Avant même que le FMI ne publie la lettre de démission de Strauss-Kahn, une bataille à couteaux tirés a été engagée entre Européens pour occuper le poste à Washington. Chose normale, diriez-vous, tant l'ambition est la conséquence de la compétition en ces temps de concurrence tous azimuts. Sauf que les arguments des uns et des autres n'ont rien à voir avec la compétence et le mérite. «Le poste de directeur général a toujours été occupé par un Européen, depuis la création du FMI au lendemain de la Seconde Guerre mondiale», répètent en chœur les dirigeants européens. L'hérédité, en somme, comme argument de base indiscutable.

 Après la mise hors compétition du reste du monde, la bataille se déplace au sein de la famille européenne. La France estime que ce qui reste du mandat de Dominique Strauss-Kahn, 18 mois environ, lui revient de droit. Strauss-Kahn étant Français, c'est un autre Français ou Française qui terminera le mandat en cours à la tête de l'institution internationale. Le droit de filiation, pas loin de celui de l'hérédité, lui aussi. Madame Christine Lagarde, actuelle ministre des Finances française, est mise, soudain, sur le piédestal du mérite et de la compétence incontestée. Questionnée sur les qualités de la Française, la chancelière allemande a répondu, du bout des lèvres, «elle a des qualités».

Au Royaume-Uni, la dispute est fratricide: l'ex-Premier ministre Tony Blair, qui a été devancé de peu en 2007 par Strauss-Kahn, s'est rappelé au souvenir des Européens. Malheureusement pour lui, c'est l'actuel Premier ministre David Cameron qui s'oppose à sa candidature. Cameron est libéral et Tony Blair est travailliste (socialiste.) Et puis il y a l'Italie. On ne sait pas par qui et comment, dès lundi dernier, au moment où Dominique Strauss-Kahn répondait aux questions des policiers de New York, son nom revenait dans les coulisses de la Commission européenne comme le «nouveau DG du FMI». Les Hollandais, eux, soutiennent la candidature de l'actuel président de la Banque centrale européenne, le Français Jean Claude Trichet.

Devant les interrogations des journalistes, le président de la Commission européenne, Manuel Barroso, s'est rabattu sur l'argument de «l'hérédité»: «C'est toujours un Européen qui dirige le FMI, alors que la présidence de la Banque mondiale revient, depuis toujours, aux Américains», a-t-il justifié. Dans cette campagne de «crieurs de marchés», une seule voix s'est élevée pour rappeler aux Européens le spectacle ridicule qu'ils livrent au public: celle du Premier ministre luxembourgeois et président de l'euro-groupe, Jean Claude Juncker. «C'est indécent !», a-t-il déclaré pour qualifier le débat en cours. Il a en outre condamné les déclarations et propos de l'Allemagne et de la Belgique qui ont évoqué l'argument «héréditaire» au poste de DG du FMI.

 Cette course au poste de DG du FMI engagée entre Européens peut-elle favoriser une candidature hors Europe ? Fort possible, si les Européens n'arrivent pas à s'entendre sur un nom. Mais pas seulement, puisque les pays dits émergents ont décidé de dire leur mot. L'Afrique du Sud, l'Inde, le Brésil et la Russie sont à la manœuvre dans les coulisses à Washington. Le Sud-Africain, Trevor Manuel, ministre de la Planification, a le soutien de la Russie par exemple. De leur côté, les Asiatiques, peu bavards à leur habitude, commencent à pousser leurs pions. Le nom du gouverneur de la Banque centrale sud-coréenne revient en boucle dans les cercles financiers internationaux.

Cette offensive du «reste du monde» inquiète les Européens en ces temps de crise financière internationale. Ils insistent sur le niveau de compétence du futur DG du FMI, comme si seule l'Europe dispose de l'élite mondiale en ce domaine. C'est drôle parce que le hasard est parfois surprenant: jeudi et vendredi passés, soit au moment où les ministres des Finances étaient réunis à Bruxelles, se tenait le Sommet européen des affaires à quelques rues plus loin, avec comme slogan: «le manque de compétences en Europe». Pas moins de neuf commissaires européens, ainsi que les présidents du Conseil et de la Commission et des ambassadeurs du monde entier ont assisté à cette rencontre sur le manque de compétences en Europe dans les domaines de la recherche, des nouvelles technologies, le management, etc.

Le directeur général de «Business - Europe», Philippe de Buck, a ouvert la rencontre par ces propos: «La position de l'Europe dans l'économie mondiale d'aujourd'hui est délicate. Les économies émergentes nous mettent la pression.» Quelle pression ? Celle de l'innovation et de la productivité bien sûr. Faut-il dans ces cas que l'Europe continue à croire qu'elle est, seule, capable de fournir des managers de haut niveau ? Et si possible propres et dignes de la confiance placée en eux.