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Qui va mener les réformes ?

par El Yazid Dib

Consultations politiques à mener par Bensalah, une commission chargée de réviser la constitution, telle est en substance la logistique des reformes. Ceci est l'organe, il reste la fonction, le fond, la teneur et les acteurs.

Les réformes annoncées tardent à venir. Confiées, dans leur volet d'échange d'avis et de tractations politiques à un partisan, président du sénat, l'on ne s'attend pas à grand-chose. Artisan lui aussi du régime qui est appelé à connaitre des reformes, la tache n'est pas tout aussi aisée de vouloir bien couper la branche ou le perchoir, sur lequel l'on n'est que bien assis. Il ne sert, par ailleurs à rien de changer le périphérique d'un ordinateur ou d'une institution, ou le fil de la souris ou ses membres extérieurs, si l'on ne tripote pas dans la cavité du disque dur et des différentes «puces » qui semblent l'animer. Le logiciel. L'unité «centrale».

 Que va-t-il changer ? Convaincu préalablement de l'état des choses qui se perpétue depuis longtemps, l'homme, quoique secondé par deux autres personnages issus du même régime ; n'ira pas dans la profondeur que recommande une telle urgence. L'on verra certainement se voir et se revoir rabâchés les slogans squelettiques d'un nationalisme qui a perdu tout ses repères idéologiques. L'indivisibilité territoriale, l'unité nationale et autre trilogie du genre. Certains principes liés à l'homme de par le monde ou à la nature humaine, comme ceux inscrits dans la déclaration des droits de l'homme sont intronisés sous un label à définir davantage et martelé comme «constantes nationales» Quel pays voudrait voir son intégrité territoriale se dissiper et se volatiliser au gré d'une humeur politique ? Quel est ce peuple qui aurait sans coup férir le plaisir d'admettre la supplantation par une autre langue, sa langue maternelle ? Quelle est la créature humaine qui s'empêche d'avoir la nostalgie du sol natal ou de se languir sur les origines lointaines de son être ? Ainsi «les constantes» n'ont nullement besoin d'idéologie ou de charte référendaire. Elles sont et demeurent intimement rattachées à l'ego et greffées à jamais dans les parois de chaque âme. Innées, elles s'auto-insèrent et s'épanouissent à mesure que grandissent l'amour de soi et la passion de la patrie.

L'interpellation sera de taille quand vous avez cette intime conviction que c'est le gouvernement hué et conspué, étant la cause apparente à cette quête de changement qui va piloter la batterie de mesures énoncées pour l'élan des reformes à mener. C'est inouï, si c'est Benbouzid qui va encore penser et réfléchir pour pondre une reforme scolaire. Un Ould Abbes omnipotent, rébarbatif, cachant mal ses maladresses politiques et médicales. Ceci n'est que pour l'exemple le plus terrifiant qui d'ailleurs reste applicable à tous les membres du gouvernement. Si l'on dit qu'il n'y a pas de mauvais soldats, il n'y a que de mauvais généraux, l'adage en politique devient une anagramme. En face d'un bon premier ministre, il ne peut y a voir que de bons ministres. A l'image aussi de l'équipe nationale. Nous avons de très bons joueurs, pas d'équipe nationale.

L'échec scolaire, la misère populaire, les grèves générales, les marches, les sit-in, les scandales, autoroutier, métropolitain, pétrolier, l'inégalité sociale, l'injustice et autres malheurs ne suffisent-ils pas à faire rompre l'inertie habituelle et enfanter la décision hautement décisive de tout changer ? Pourquoi ne procède-t-on pas calmement à un changement radical du gouvernement ? C'est à un nouveau personnel politique qu'échoit la mission du changement et non à ceux contre qui elle est censée s'opérer. Le gain ne se positive que grâce à une application de certains théorèmes. Comptables et arithmétiques. Comme dans la science des affaires, la politique est une opération d'addition, de soustraction et surtout de division. Sans vouloir compartimenter la conscience des gens, toute méthode tendant à l'obtention de résultats probants demeure physiquement voire chimiquement astreinte aux aléas de la théorie de la table rase. Ceci concernera en premier chef, pour le Chef, le souci de se débarrasser d'abord des guenilles, loques et reliques humaines qui fragmentent ses étages pour qu'ensuite, s'attarder à la pesée du changement. Le mouvement, même des personnels est une dynamique tellement classique qu'elle cause des nausées modernistes. Un remaniement ministériel est utile dans la démarche d'ensemble.

Un peu loin dans l'histoire récente, il y a quelques années, à l'entame de son premier mandat, Bouteflika, avait-il bien fait, quand d'un seul coup ; il avait balayé plus de 20 wali tout en ramassant ; hélas les os poliomyélites d'autres momies et compresses préfectorales? Pourtant cette histoire, voilà une décennie a retenu qu'il s'est leurré parfois lourdement sur le cas de certains. Mohamed Cherif Djebbari, wali à Batna alors, n'a fait en fait que les frais de son adversité avec Benflis. Cette trompe de wali se raréfie, lorsque l'on installe, ou l'on maintient des walis d'humeur ou amoureux des lots marginaux. A ce niveau de la gestion des collectivités locales, les charognards goinfres et en permanence affamés existent non loin du cercle des gros mangeurs terriens. Terre battue, en jachère, rouge ou noire, l'appétit n'aurait d'égal que le goût enivrant procuré par la sensation doucereuse qui assaille allégrement tout propriétaire foncier. Des collaborateurs généraux dans le temps devenus walis entre temps ont eu tout leur temps de se procurer des morceaux balnéaires urbainement bônois monnayés à de tiers. Ils continuent, osent-ils à parler de reformes quand la reforme leur est pénalement prescrite. Heureusement, par contre qu'il existe des walis, peu soit-il, qui font de leur fonction un challenge vers la production du bonheur social pour leurs administrés. Les uns faisant l'apologie de Sarkozy, les autres méditent le discours de Georges Washington.

Le président avait choisi à moitié la manière du radicalisme sécateur, soit éplucher en effeuillant jusqu'au fond l'écorce et le fruit, il aurait eu le mérite, en le faisant, de rendre, par l'effet de la régénération ; le sourire à ceux qui l'on jamais eu. A une échelle moins réduite, la théorie de la table rase doit exercer son génie. Elle s'étendra avec la foudre tranquille d'une révolution d'enfants. Elle ébranlera, sans avertir ; telle une douce coudée de sabre silencieux et analgésique. L'éternité du poste n'est qu'une antinomie professionnelle. Un ministre, comme un directeur passe et repasse, le temps que dure le dépôt d'une paraphe. C'est l'entre-temps des deux paraphes qui est trop long.

Quel que soit le titulaire imposé, positionné ou installé dans la faveur de ce zénith de pouvoir, les ferveurs et les affres du métier feront que cette «promotion» finira par devenir, à la longue, une procédure douce et habituelle de mise en otage volontaire. Au fur et à mesure de la progression de son plan de carrière, le fonctionnaire «promouvable» ira, sans gêne et avec beaucoup d'efforts, vers les actions devant lui permettre de se constituer «prisonnier» dans la geôle du système. Sa vision est dans l'immédiat coulée dans moule que lui font les précepteurs, les cabinards et les chargés de hisser les uns et consommer les autres. Ils sont à l'ombre des tempêtes mais soufflent à toutes les trompettes ! Pour quand cet éveil de l'homme pour que le sursaut rédempteur et juste vienne ; gaillard, brave et courageux raser les pions, les lampions et les loupions ?

Si l'acte de renvoyer le gouvernement est une exigence actuelle, le fait de dépoussiérer les wilayas n'est qu'une une mesure d'accompagnement nécessaire. Les rescapés politiques, la masse exécutive, les personnages confus et disloqué, le retour des âmes suffoquées, la réincarnation des cadavres doivent, au moins, par ultime esprit de chevalerie républicaine se diriger droitement vers les saunas, la thalasso ou les lieux saints. Laisser tranquille le pays, le laisser faire sa mue, comme ailleurs en Tunisie ou en Egypte serait un acte d'honneur quoique résiduel.

Ainsi tout dépendra de la détermination à entreprendre dans le cheminement qui ne peut être que rapide de cette mutation tant attendue. L'ouverture vers la société civile pure et non officielle voire auxiliaire du système et son renforcement doit s'avérer un outil managérial mieux appréhendé à l'effet de garantir la promotion citoyenne. Les constructions étatiques seront ainsi revitalisées par une essence neuve et neutre afin d'être installées assurément au service des objectifs d'impulsion et stimulation démocratique. L'algérien ne doit plus vivre sous un Etat sécuritaire, ni se sentir hors de chez lui.

La peur ne doit plus encore changer de camp, mais disparaitre tout simplement. L'approfondissement des actes démocratiques est le meilleur rempart contre les dérives de toute sorte. Cette façon de se partager l'avis, d'assurer un équilibre tiendra lieu de bouclier contre le dérapage de tout pouvoir ou excès dans son usage. Le rapport de droit s'instaurera à la place du rapport de force.

Si Bensallah est chargé de recueillir les opinions des formations politiques dans un contexte de consultation, l'on ne saura rien des «personnalités nationales» avec lesquelles il aura à s'entretenir. S'il s'agit des mêmes que celles de 1994, à savoir celles agrippées à une légitimité historique en voie de discrédit individuel, l'on ne pense pas que la monture sera bien ménagée pour partir aussi loin. Mais si parmi ces «personnalités nationales», il pouvait s'y faufiler des jeunes, des artistes, des journalistes, la partie serait crédible sur les bords.

Face à ces représentants du régime en fait, il est compté sur les partis notamment ceux dits d'opposition de bien vouloir s'user à la besogne. Eviter de se constituer déjà en partis de façade ou être mis en scène de parodie, ces vieux partis doivent à peine d'interrompre tout le processus garantir le maximum d'ouverture, de liberté et de droits.

Le pire reste néanmoins à craindre. C'est par justement cette prestation oppositionnelle pitoyable, fragmentée et rendue non-crédible, que le régime compte encore perdurer. Tous les partis risquent la déliquescence injectée intentionnellement par le système. Une dose d'inertie et un pactole de somnolence suffiront. Une opposition viable, productive se devrait d'être, loin des alliances de conjonctures ou des coalitions temporaires et précaires. L'on, aurait vu des chefs de partis traités comme des hauts fonctionnaires. Des partis traités comme des institutions étatiques. Cela doit s'arrêter. Le régime n'est pas immortel. Ténacité et persévérance, tout en mettant à profit ce qui se triture conflictuellement au sommet auront en toute évidence un droit de cité dans ces consultations.

Peut-être y verrons-nous rejaillir tant dans la sphère du pouvoir que celle de l'opposition ; la compétence à la brocante, la jeunesse aux momies et le sourire à la morosité. Pour ce qui est de la loi fondamentale, ses limitations de mandat, le régime politique à adopter, les pouvoirs, l'on sait par avance les intentions la dessus de Bensallah, de Ziari, de Belkhadem, de Saadi, de Louisa, de Soltani et autres consort. Ce que l'on ne sait pas, ce sont les avis de ceux que l'on ne connait pas encore. Des visages neufs, de nouvelles lectures, des idées jeunes et avancées, des notions modernistes et universelles. Une démocratie non spécifique. Mais qui va mener tout ca ?