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Un général très efficace

par Abed Charef

A chaque crise, son dialogue. Et à chaque dialogue, ses spécialistes.

On le pensait parti. Ou à la retraite. Il coulait des jours heureux après une longue carrière militaire et une intrusion tout aussi réussie dans la politique. D'une manière ou d'une autre, il devait être loin, très loin, à savourer des moments de bonheur qu'offre le sentiment du devoir accompli. N'a-t-il pas participé à toutes les épopées de l'Algérie moderne, de la libération à la construction de l'Etat, avant de couronner le tout par une participation active à la guerre ultime menée pour préserver l'Etat algérien ?

On l'imaginait donc plein de cette sagesse qu'acquièrent les anciens guerriers, ceux qui ont passé toute leur énergie à combattre des ennemis de tous genres, et connaissent donc la valeur de la vie aussi bien que sa futilité. Il devait suivre la vie politique de manière distraite, pensait-on, et s'amuser de l'agitation de ces nouveaux hommes politiques sans envergure qui pensent changer le monde. Quant aux ambitions, il savait ce qu'elles valent : peu de chose, particulièrement quand on est au crépuscule de la vie, ayant atteint les soixante dix ans.

C'est un âge où on fait le bilan d'une vie, et on écrit ses mémoires. Pour laisser une image à la postérité, après une vie si bien remplie. Et la vie de cet homme a été bien remplie, dit-on. Il a fait le coup de feu contre la France, servi sous Ben Bella puis sous Boumediène, avant de prendre du grade et de l'épaisseur sous Chadli. L'apothéose, avec la fortune, est venue plus tard, avec un compagnon de longue date, Khaled Nezzar, qui lui a donné l'occasion d'exprimer pleinement son talent. Pendant que Nezzar menait les troupes au combat, lui se chargeait de donner les fondements théoriques de cette nouvelle politique. Il a, dit-on, doté l'armée d'une doctrine solide, contribuant à donner un sens à des choix politiques qui semblaient, jusque-là, hasardeux. Enfin, il a participé, comme acteur principal au sauvetage du pays, en organisant un dialogue national qui a amené Liamine Zeroual au pouvoir en 1994.

Il faut pourtant bien admettre, aujourd'hui, que le général Mohamed Touati a encore du ressort. Non seulement il n'est pas parti, non seulement il n'a pas quitté la scène, mais le voici de nouveau remis en selle, pour participer à l'organisation du dialogue national annoncé par le président Abdelaziz Bouteflika. Avec son compère Abdelkader Bensalah, il est chargé d'organiser des consultations qui devraient déboucher sur de profondes réformes politiques, avec notamment une nouvelle constitution, et de nouvelles lois sur la presse, les partis et, peut-être, sur la vie.

Les deux hommes avaient si bien réussi le dialogue de 1993 que le pouvoir (le pouvoir, pas M. Bouteflika) les a naturellement rappelés pour mener de manière tout aussi efficace le dialogue version 2011. Le pays ne pouvait tout de même se passer de telles compétences, ni occulter le savoir-faire et l'expertise de ces spécialistes du dialogue, qui ont déjà fait leurs preuves.

 Avec de tels experts, le pouvoir se donne une solide garantie de résultat. A travers M. Bensalah et le général Touati, il va dialoguer avec lui-même, consulter ses clients, et prendre l'avis de sa société civile. Il va recevoir les propositions éclairées de Bouguerra Soltani et celles, toutes en nuances, de Abdelaziz Belkhadem, calmer la controverse entre le RND et le FLN sur la nécessité de soutenir le président Bouteflika, et, cerise sur le gâteau, écouter Abderrahmane Belayat expliquer les vertus du parlementarisme. Il va organiser des tables rondes, certaines télévisées, d'autres pas, sur les avantages et les inconvénients du bicaméralisme, multiplier les réunions de conciliation pour aplanir les points de divergence et, au bout du parcours, adopter une nouvelle constitution.

 Laquelle ? Celle dont le texte est déjà prêt. Ou qui n'existe pas encore, peu importe. Une constitution qui consacre les libertés, reconnait aux partis le droit d'exister, consacre la liberté de pensée ou d'expression, comme elle va consacrer l'islam religion d'Etat et le tamazight langue nationale. Une copie du texte sera distribuée à tout le monde, avec une dédicace du général Touati. Et chacun rentrera chez soi, avec le sens du devoir accompli.

Et c'est avec la nouvelle constitution que le pouvoir nommera le nouveau président, en 2014, ou avant. Preuve ultime que le dialogue aura réussi et que le général Touati aura, une nouvelle fois, réussi sa mission.