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Wantoutrisme, heureux, malheureux

par Kamel Daoud

Hier ce n'est pas aujourd'hui. On laissera le résultat de côté. On retiendra le principal phénomène du moment. Le wantoutrisme triomphant. Courant de fond de l'époque algérienne, gouvernée par des vieux et offerte en dos-d'âne pour les plus jeunes. Selon la légende, «One, Two, Three» est un slogan dérivé du cri du décolonisateur, à l'époque de la gloire «we want to be free». On veut être libre. Devenu «Want to free». Devenu le «One, Two, Free». Lui-même esprit premier du wantoutrisme. Qu'est-ce aujourd'hui? Un triomphe, une émotion, une arnaque aussi. On interdit aux Algériens de marcher à Alger, de déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de Boudiaf, de parler autrement ou seulement dans le vide, d'avoir une activité politique dissidente ou de faire du militantisme, mais on leur ouvre grandes les portes du wantoutrisme.

La raison est évidente : le wantoutrisme est un populisme plus bref mais plus intense. Il mêle la joie mais vous vend l'immobilité. Il est heureux, mais bêtement et brièvement. Il exalte mais ne change pas le monde qui nous entoure. Il peut déborder dans la rue mais ne menace pas le Pouvoir. C'est une mixture entre le patriotisme réduit à des sursauts, de la joie, du bonheur, de la religiosité bigote, du chauvinisme et de l'exploitation de l'homme par les hommes en dessus. Le courant fait sourire, béat, Bouteflika car il est un moment de sa gloire, surtout. Une apogée à la romaine. D'ailleurs, le wantoutrisme est un parent très, très lointain du Colisée des gladiateurs romains. L'empereur offrait des jeux sanglants pour s'allier les faveurs de la plèbe contre le Sénat et les classes moyennes. Ainsi Rome reposait sur un jeu de menaces et d'équilibres que l'on sauve par le spectacle et le jeu. Le wantoutrisme algérien est aussi un produit de la rente pétrolière, de la monarchie et du populisme ambiant. Dans les pays pauvres aux régimes autoritaires et fermés, le populisme sportif est une aubaine.

Et aujourd'hui ? Selon le résultat. Le wantoutrisme va durer encore deux semaines ou va être mis en sursis en attendant la coupe d'Afrique. Il servira toujours. Il est facile dans sa mécanique et a son peuple et sa logique: moment de sur-investissement émotionnel à défaut d'autres joies. On n'a rien d'autres que nous-mêmes à voir et à soutenir. L'EN est l'unique représentante des Algériens, comme a dit une internaute. Rien d'autre ne les représentante: ni le FLN, ni le réel, ni le corps électoral, ni l'histoire, ni Cheikh Chemssou. L'unanimité y est gloire mais aussi cécité. La joie y est unique mais arnaque. Le mouvement d'ensemble est admirable mais à vide. L'élan y est pur, mais très dégradable. On aime s'y fondre, mais cela ne résout rien ou seulement pour quelques heures.