Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le mois le plus long

par El-Houari Dilmi

Il sera le plus long depuis trente ans. Le Ramadhan, nous y sommes. Malgré la bonne bouffée d'oxygène que constitue la Coupe du monde, ponctuée par la belle épopée des Verts au temple du ballon rond, les boucheries et souks n'en ont pas moins été pris d'assaut, comme pour signifier que le ventre? passe avant tout, dans un mois théoriquement supposé être celui de l'abstinence. Les dattes, pour ne parler que de cet ingrédient indispensable à la meïda du f'tour, atteignent des sommets inégalés, frôlant les 800 DA le kilo, dans certaines régions du pays. Ceci pour l'anecdote.

Les Algériens à petits revenus vont passer, comme de tradition, au moins une dizaine de jours de quasi-interdiction d'accès au marché. Pour les plus pauvres, les restaurants de la Rahma et les couffins du Ramadhan peuvent toujours leur être utiles. Mais combien sont-ils ? 1,6 million de familles démunies, selon le ministère de la Solidarité. Un chiffre déjà affolant, même s'il est trop « poli » aux entournures. Il est aisé de constater, encore une fois, que les plus pauvres parmi les Algériens ne sont pas visibles, même s'ils sont très nombreux. Et pour cause, puisqu'ils n'ont personne à parler en leur nom. Et ce ne sont pas les plus démunis qui se plaignent le plus dans cette Algérie assise sur un volumineux matelas de devises et qui importe de tout. Y compris ce qui est nuisible à la santé des Algériens...

Dans un pays devenu un gigantesque théâtre des paradoxes à ciel ouvert, comment expliquer qu'un marché jamais aussi bien achalandé soit la proie à ces folles valses des prix, que même les économistes les plus futés ont du mal à justifier. Parce qu'on continue à naviguer aux repères naturels, il n'est donc pas étonnant si nous n'avons pratiquement plus de partis politiques - ils restent inaudibles et au fond c'est tant mieux -, nous avons en face une kyrielle d'organisations patronales qui causent, communiquent, critiquent et soutiennent. Des politologues, s'il en reste dans ce pays, pourraient faire des recherches pour comprendre qui est qui, qui fait quoi et pourquoi...

On aurait une idée des raisons qui font que certains patrons sont mécontents du rétablissement prochain du crédit à la consommation, destiné à encourager à consommer algérien. D'autres, à l'image de la peu contestataire centrale syndicale, le portent au pinacle en y voyant une grande œuvre patriotique. On retiendra comme hypothèse que ces différences d'appréciation sont peut-être liées à des modalités d'accès différentes à la rente. Si les patrons ont beaucoup d'organisations, on peut comprendre qu'ils ont des intérêts divergents, sauf qu'ils sont tous liés à l'Etat. Certains diraient au pouvoir. L'Algérien de la rue n'a pas d'avis sur le rétablissement du crédit à la consommation, ni comment fait l'Etat pour faire ses comptes, et encore moins sur le recours aux sociétés étrangères pour contrôler, préalablement, la camelote et la quincaillerie qui est envoyée au bled.

Chacun de nous connaît dans son entourage, famille et voisins, ces familles dans le besoin le plus urgent. Beaucoup de ces familles, par pudeur et par souci de préserver leur dignité, répugnent à aller solliciter l'aide publique. Veillons à garder nos yeux et nos cœurs braqués sur ces parents et voisins et apportons-leur, dans la discrétion, l'aide et assistance que nous pouvons. Cela ne changera pas le monde. Mais cela pourrait, à l'échelon individuel du moins, redonner au mois de piété sa saveur d'antan et surtout sa signification originelle.