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Le nouveau vieux démon

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Pas possible ! Il est des démons qui, décidemment, n'arriveront jamais à disparaître. On ne parle pas de celui de midi ou de minuit. Ceux-ci ne sont là que pour remuer ou réveiller des sens endormis ou des corps flétris. De bons diables, au fond. Au bon plaisir des chairs qui fusionnent et des âmes qui s'écoutent.

Nos démons sont bien plus turbulents, plus tenaces, plus vindicatifs et, à la moindre contrariété, rageurs et violents? allant jusqu'à ameuter les «masses» - celles-ci, foules solitaires, toujours se suffisant de généralités et ignorantes des détails exacts - pour livrer au lynchage (public de préférence) les cibles à transformer en victimes expiatoires d'on ne sait quels fantasmes ou tabous ou complexes.

Il en est ainsi de l'abominable et innommable instinct de rejet de «l'autre», qui existe bel et bien en beaucoup de nos concitoyens. Et, ce ne sont les déclamations enflammées de fraternité universelle de la société algérienne, arabo-musulmane et tutti quanti, qui nous feront dire ou croire le contraire. La réalité est là? bel et bien là.

En sommeil durant assez longtemps, le «démon» ressurgit à la moindre occasion, bien souvent suscitée par des discours politiciens ( ?) , des écrits de presse ou/et des émissions de télévision (tout ce qui ratisse large, en fait !), produits par des journalistes ( ?) en mal de sensationnalisme et de réussite professionnelle rapide ( sic !).

Bien sûr, ce sont là des comportements bien loin de l'attitude politique officielle et publique, globalement respectueuse des lois internes et des conventions internationales. Bien qu'on relève un certain «laisser faire» ou, bien plutôt, un «laisser aller» ? Peut-être pour ne pas se créer encore bien des inimitiés populaires ou catégorielles, en ces temps d'incertitudes politiques et de «surfing» idéologique.

Les comportements de rejet viennent généralement de citoyens «aisés» et même, dit-on, heureux (mais, dit-on toujours, qui l'ignorent ou, alors, veulent plus que ce qu'ils ont) mais tout de même se disant très inquiets pour leur avenir et celui de leurs enfants à chaque crise réelle ou supposée, une crise en tout cas continuellement «gonflée» par les oiseaux de mauvaise augure. Souvent, sans raison précise ou sérieuse. Bref !

On a eu par exemple, après l'intolérance idéologique des années 60, l'intolérance politique des années 70, l'intolérance culturelle des années 80, puis l'intolérance cultuelle des années 90? et 2000? Une intolérance de musulmans à l'endroit de musulmans? avec deux cent mille morts à la clé, de musulmans à l'endroit de convertis traités d'apostats , de citoyens à la religiosité exacerbée à l'endroit de (jeunes) citoyens vivant simplement leur quotidienneté (seuls, en compagnie d'un quignon de pain durant le Ramadhan ou en couple, se bécotant)? L'intolérance, une constante (presque) nationale ?

Premier cas grave actuel, devenant critique car se passant dans la rue et sous nos yeux: le comportement de certains de nos concitoyens avec, pour l'instant, seulement des remarques désobligeantes, à l'endroit des réfugiés des pays de l'Afrique subsaharienne. .. qui, par on ne sait quels canaux, se sont trouvés largement «éparpillés» à travers le territoire national, dans les endroits les plus reculés du pays. Quelqu'un m'a même cité un village très haut perché sur les hauteurs de la Kabylie. Si les hommes ont facilement trouvé de l'emploi (euh? «au noir» ! excusez le mot), les femmes et les enfants sont livrés à une misère qui ne dit pas son nom, illustrée par une pauvreté voyante et son corollaire immédiat, la mendicité. Cela n'a pas manqué, dit-on, de créer des conflits et des heurts avec les mendiants nationaux jaloux de leurs espaces et n'acceptant pas la concurrence dans un «marché» sauvagement libéral.

Cette situation est loin de celle vécue avec les réfugiés syriens qui avaient l'avantage de passer presqu' inaperçus dans la masse. De plus, ils étaient bien moins nombreux. Elle est loin de celle vécue assez longtemps avec les premiers migrants africains, en «transit» vers l'Europe, et pour certains d'entre-eux, rares, s'étant d'ailleurs rapidement intégrés en pratiquant des travaux rejetés par les Algériens. Et les Chinois se sont très vite fondus dans la masse. Comme des poissons dan l'eau.

Il y a donc le rejet spontané, auquel il faut ajouter les remarques désobligeantes et n'y échappent, pour l'instant, que les (bons?c'est-à-dire marquant beaucoup de buts) joueurs de football? qui sont, c'est à noter, presque toujours les derniers à être payés par leurs employeurs, les présidents de clubs de foot. Mais, il y a, aussi et surtout, l'exploitation clandestine (et assurément indigne) de la main-d'œuvre. Une exploitation non visible dans la rue, mais bien présente dans les chantiers et les jardins des villas cossues, celles dont nul inspecteur du travail n'osera franchir les portails.

Second cas, tout aussi grave : la campagne ignominieuse menée dernièrement par certaines personnes (à travers des titres de presse et des journalistes connus pour leur antisémitisme primaire, car «éduqués» à l'école de la «haine» de l'autre , puis «travaillés» par de vieux gourous qui ne démordent pas ) qui sont allées jusqu'à accuser une ministre de la République d'avoir une ascendance juive? comme si c'était la peste. Oubliant (volontairement, se lançant dans des analyses sémantiques tordues) que le grand parent de la dame (une intellectuelle de haut niveau qui a prouvé sa compétence et sa capabilité dans la gouvernance universitaire) n'est autre qu'un Fondateur - Recteur de la Grand Mosquée de Paris. Son tort (le grand-père) , au yeux des «critiqueurs» , c'est de figurer parmi les «justes» qui ont sauvé de la haine raciste et du feu nazi des centaines de juifs alors persécutés en France , en les accueillant au sein de la Mosquée et en leur fournissant des faux papiers d'identité. L'Islam éclairé et vrai ! Le grand tort de la petite-fille, c'est de vouloir «sortir» l'Ecole algérienne du marasme dans lequel ses prédécesseurs l'y ont enterré. Son tort, c'est, et c'est évident , phénomène bien connu dans notre Administration ,«gelée» dans les habitudes bureaucratiques et les rentes de situation, de vouloir changer les façons de faire pour réussir enfin «l'émergence» , de promouvoir de nouvelles méthodes, d'initier des réformes innovantes, de rajeunir les compétences, de ne plus passer son temps à regarder dans le rétroviseur... bref, de ne plus laisser la fourmilière perdurer dans ses comportements obsolètes et dommageables de prédatrice de la connaissance et de la pensée.

Troisième cas que beaucoup d'analystes abordent encore avec trop de prudence, ne voulant pas «ajouter de l'huile sur le feu» : les conflits ethno-régionalistes?créés il y a de cela très longtemps par le colonialisme («diviser pour régner») mais remis au goût du jour et exacerbés (pour ne pas dire entretenus) suite aux stratégies politiciennes régionalistes successives de décideurs politiques (nationaux) contemporains? facilitant ainsi toutes les manipulations (surtout médiatiques) externes.

Alors, un comportement individuel simple (et localisé) de «rejet» de l'autre ? Pour sûr ! Dès qu'il paraît déranger notre train-train ou déparer notre paysage. Dès que cet autre nous paraît plus et mieux capable que nous? Ou, alors - et c'est là la grande et dramatique question - les germes pourris (ou les fruits amers) d'un racisme honteux qui ne dit pas son nom ?