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« Effet Wallenda » et résilience

par Bouchan Hadj-Chikh

L'optimisme, pour commencer. Il est un pays où, dès sa naissance, l'enfant est convaincu, parce que cela fait partie de son éducation, qu'il parviendra, un jour, à assumer de lourdes responsabilités. Etre à la tête de l'Etat. Pas moins. L'un de ces enfants y est parvenu alors que tout le système, en apparence, le condamnait à un autre destin. Le jour de sa consécration, on eut droit, en gros plan, aux larmes versées par le révérend Jesse Jackson. C'était un mardi 5 novembre 2008.

Quelques années plus tôt, le révérend Jesse Jackson, candidat à la Maison Blanche, avait osé pulvérisé le mur racial et faire valoir son droit, faire que le « I have a dream » devienne réalité. Il recueillit un nombre considérable de voix, assez pour s'imposer dans une primaire ? une première pour un candidat afro-américain - et dans le paysage politique américain. Il fut, par trois fois , en 1984, 1988 et 2004 candidat à l'investiture.

Sans pourtant conclure.

Cette tentative ne fut pas inutile pour autant.

Ce 5 Novembre 2008 le prouva.

Certes, on ne parvient pas à la dernière marche du pouvoir si on n'a pas été, au préalable, formaté par le système. M. Barak Obama le fut avant de parvenir au sommet de la pyramide électorale américaine. Il ne sortait pas du néant. Sénateur de l'état de l'Illinois puis de l'Union, il avait fait ses classes. Ceux qui attendaient des miracles de sa part en eurent pour leur frais. L'armée américaine ne se prépare pas au retrait d'Afghanistan et d'Irak sans y avoir été poussée. On ne remballe pas ses armes quand on projetait de s'incruster dans une région avec vue imprenable sur tout le flanc sud de la Russie et un regard permanent sur l'Océan indien, d'une part, et sur les principales ressources pétrolières dans le monde avec une éventuelle prise directe sur l'Iran. Et pourtant. Même si, il ne faut pas être naïf, Washington laissera, derrière elle, de bons et loyaux serviteurs.

Mais mon propos n'est pas orienté sur la manifestation inéluctable de l'égalité dans les rapports entre les êtres humains.

J'imagine très bien un jeune homme, sinon un homme jeune, un troisième homme, pour le succès duquel, un jour, des larmes de bonheur seront versées. Quelqu'un avec un projet clair qui se lèvera pour dire, convaincre et arracher une victoire que certains politiques ? même s'ils s'agitent beaucoup ? croient hors de portée. Quelqu'un ? moi aussi j'ai un rêve ? qui nous annoncera que l'ordre imposé n'est pas celui qui répond au XXIème siècle.

Qu'est-ce qui le différenciera des prétendants d'aujourd'hui ?

Quelle sera sa nourriture ?

L'échec de ses ainés.

« L'effet Wallenda ».

Le 22 mars 1978, à l'âge de 73, Karl Wallenda tenta de franchir, en marchant sur un câble, un balancier entre les mains, les deux tours de 10 étages du Condado Plaza Hotel de San Juan, Puerto Rico. Le câble était tendue à 37 mètres au-dessus de la terre ferme. A mi-chemin, le vent atteignit 48 kilomètres/heure. Il perdit l'équilibre. On le vit tenter vainement de se rattraper au câble de ses mains avant de lâcher prise et, après des secondes qui durèrent une éternité, aller s'écraser au pied de l'hôtel.

A la suite de ce terrible accident, qui fut filmé par des télévisions, la première réaction fut d'accuser de négligence coupable ceux qui avaient fixé le câble principal et les câbles annexes de soutien.

Sa femme, elle, ne fut pas de cet avis. Selon elle, les jours précédents son exhibition, Karl Wallenda était anxieux, anxieux comme elle ne l'avait jamais connu, vérifiant et revérifiant tous les points de supports, la qualité et la tension des câbles. Comme si le plus important pour lui, dira-t-elle, était la peur de l'échec, de tomber, au lieu de se concentrer, ainsi qu'il l'avait toujours fait, sur la marche en équilibre proprement dite.

Cet état d'esprit le Dr Warren G. Bennis l'appela « le facteur Wallenda » ou « l'effet Wallanda ». La peur de l'échec. Il l'illustra par cet autre exemple : Il appela un jour, écrit-il, « Ray Meyer, l'entraîneur de l'équipe de basket-ball de l'Université De Paul, dont l'équipe perdit le match sur son terrain après 29 victoires consécutives à domicile. Je l'appelai pour lui demander comment il se sentait. Il me répondit « En pleine forme. Nous pouvons maintenant commencer à nous concentrer sur gagner, pas sur perdre ».

L'« effet Walanda » c'est cela.

Cette peur de ne pas réussir. Cette crainte morbide qui habita les candidats à la dernière présidentielle.

La suite, c'est la résilience.

John Connally, l'ancien gouverneur du Texas. Celui qui se trouvait dans la voiture découverte avec John Kennedy, à Dallas, le jour funeste de l'assassinat du président des Etats-Unis. En 1963, un certain vendredi 22 Novembre. Il fut y blessé.

Quelques années plus tard, ruiné, les huissiers vinrent chez lui pour saisir ses meubles. Tous ses meubles. Il les laissa faire, du haut de ses 70 ans, regrettant seulement, comme il le dit à un reporter, que le fusil Winchester, marqué No 2 dans la série ? la numéro 1 étant, à l'époque, la possession de John Wayne ? fasse partie du lot.

- Que comptez-vous faire ?

demanda le journaliste.

- Reprendre tout à zéro, fut sa surprenante réponse.

A 70 ans !

J'en connais qui auraient mis leur cerveau dans du formol et ne fonctionner plus que par l'usage de leur moelle épinière !

Résilience ?

En physique, il s'agit de la « capacité des matériaux à résister aux chocs ». En psychologie, c'est la capacité « d'un individu à résister psychiquement aux épreuves de la vie ».

Dans les faits, on peut créditer le Président Abdelaziz Bouteflika d'une remarquable capacité de résilience. Tout le temps de sa traversée du désert, il parcourut, inlassablement, les dunes du Golfe, pour sonder les puits, persuadé que l'eau jaillira de l'un d'eux, que son heure viendra. Comme l'entraineur de football, il connut des années de succès. Puis l'échec. Enfin sa reconstruction et sa prise de pouvoir.

Il faut le vouloir. Il l'a voulu.

Belle démonstration. Il faut en convenir.

Mais le pouvoir érode. Et la rouille est visible.

La liste d'ajustements à entreprendre est longue comme le bras. Le « seuil d'incompétence » atteint, on ne se renouvelle plus, on énoncé, en 1969, les canadiens Laurence Peter et Raymond Hull. Selon la théorie appelée « hiérarchologie », il arrive un moment où l'on veut dépasser ses capacités et tout faire pour atteindre le niveau où l'on n'est bon à rien. On patine. Les députés, au cours du dernier débat du programme du gouvernement, ont trouvé à redire sur le programme du gouvernement en séance plénière. Et ce n'est pas peu dire.

Le président Bouteflika a résumé, ce seuil d'incompétence par la formule, heureuse, en ce qui concerne sa génération : « tab jenana ». Une surchauffe qui mène droit à l'implosion.

Alors ? Si l'accord est unanime,

que faire ?

Pour l'opposition c'est se distinguer par un programme refondateur.

Celui qui habillera un homme nouveau. Crédible.

Qui saura rebondir sur les échecs des ainés.

« Tomber sept fois, se relever huit » dit un proverbe chinois qui fait le titre d'un roman de Philippe Labro. Sur la déprime. Celle qui nous prend à la gorge.

El ghouda, dirait-on chez nous.