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Turbulences

par K. Selim

Les nouvelles du Nigéria sont inquiétantes. Alors que la violence est endémique dans le delta du Niger, où des mouvements de rébellion attaquent régulièrement les installations pétrolières, c'est au tour du Nord de connaître de graves turbulences. Les violences auraient fait plus de 150 morts, selon le quotidien nigérian Guardian. Des individus présentés comme des émules des talibans afghans ont attaqué des postes de police dans les provinces de Bauchi, Borno, Kano et Yobe, dans le nord-est du pays. Les heurts, d'une grande violence, qui opposent depuis la fin de la semaine dernière la police à des membres du groupuscule islamiste Boko Haram, ont fait une centaine de morts à Maïduguri, la capitale de l'Etat de Borno.

 Boko Haram, qui signifie «l'éducation est un péché», est un mouvement radical islamiste composé pour une large part d'anciens étudiants en rupture d'université. Le mouvement très sectaire se réclame du salafisme dans sa déclinaison la plus médiévale et s'identifie à la cause des hommes du Mollah Omar. Selon la presse nigériane, il s'agit d'une organisation localisée, disposant d'une base plutôt étroite - quelques centaines de personnes - et d'un programme politique réduit à sa plus simple expression. L'objectif ultime de ces «afghans» d'Afrique est de construire un Etat islamique «pur» au nord du Nigéria. Son credo consiste en un discours moralisateur traditionnel fustigeant l'immoralité et refusant toute modernisation.

 Les membres de ce groupe, qualifié de sectaire par beaucoup de spécialistes de cette région du Nigéria, menaçaient de passer à l'action violente depuis plusieurs années. Dimanche dernier, dirigés par un certain Mohamed Yusuf, des émeutiers, essentiellement armés de lances et de machettes, ont effectivement attaqué des commissariats de police, des églises et des mosquées. La réponse des forces de sécurité a été implacable et un couvre-feu instauré jusqu'au retour au calme complet.

 Devant ce déchaînement prévisible, les habitants de la région, pour la plupart musulmans, se demandent comment les autorités ont pu permettre l'installation d'un groupe prônant ouvertement la violence. Certains n'hésitent pas à accuser une administration complètement défaillante d'être le principal responsable des troubles. Il est vrai que le nord du Nigéria connaît les mêmes problèmes de sous-administration et de corruption que le reste du pays. Le Goliath pétrolier africain, avec ses cent millions d'habitants, est un géant aux pieds d'argile. Le spectacle lamentable d'élites occupées à s'enrichir au détriment de la population nourrit toutes les tentations centrifuges.

 Après les tentatives de sécession «ethniques», voici qu'apparaît un autre péril, celui de l'exploitation du mécontentement populaire par une religiosité obscurantiste. La prolifération des sectes millénaristes violentes dans la région est un phénomène récent, lourd de dangers.

 A l'évidence, la réponse policière est purement conjoncturelle et ne saurait permettre la résolution des problèmes, de la redistribution de la rente à l'électrification, qui nourrissent l'instabilité du pays et au-delà. Il est intéressant de noter que Boko Haram avait fondé en 2004 une sorte de village improvisé dénommé «Afghanistan» à proximité de la frontière avec le Niger. Sans réaction à la hauteur de la situation, la zone de turbulence sahélienne risque de s'élargir à la Fédération nigériane.