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Une femme, c'est combien ?

par Abdou B.

«Il ne peut y avoir de révolution que là où il y a conscience». J. Jaurès



Elle n'en finit pas de faire parler d'elle, de défrayer les chroniques, de s'attirer toutes les foudres terrestres, de faire baver les importateurs de costumes talibans et tous les apprentis décrypteurs du Coran. Elle ne dit pourtant rien, sinon si peu.

 Elle circule, déguisée selon les souhaits du père, du frère, du voisin qui mime, d'un air pénétré, celui qui sait tout des religions, de la tradition musulmane et qui soupire d'aise en rotant devant les discours nauséabonds de prêcheurs hystériques, perchés du haut d'un satellite soudainement enrôlé pour semer les ténèbres, la haine et les vertus d'une barbe hirsute, jamais lavée, jamais taillée pour effrayer les petits enfants.

 On ne lui demande jamais son avis : elle est porteuse potentielle de tous les péchés. Sa beauté génère des tentations dans la tête des hommes. Il faut donc la nier, la cacher, l'enfermer, sinon la faire transpirer sous des vêtements de bagnard, de sectes venues du tréfond des âges de l'humanité. Mais pourquoi ne pas cacher les traits d'un homme si beau, qui peut lui aussi susciter des tentations inavouables et pourtant tellement humaines ? Parce qu'il est homme.

 Devenue un enjeu politique et idéologique dans les pays musulmans, surtout là où elle a le droit de voter, elle est courtisée, non pour ses qualités humaines, intellectuelles, mais pour sa voix, même si elle est bègue ou muette. Mineure à jamais, elle vote, pour la plupart selon «les orientations éclairées» du père ou du mari, surtout si ces derniers sont «militants», «élus», demandeurs de marchés, d'agréments ou d'une invitation pour une «officialité» protocolaire en présence des «autorités civiles, militaires, religieuses et autres». Donc, elle vote comme on lui dit de voter, sinon on lui demandera avec rudesse une procuration pour qu'un mâle, qui ne sait même pas écrire son nom, vote à sa place parce qu'il est le mari à qui la société, la tradition et le multipartisme algéro-africain donnent tous les pouvoirs sur elle.

 Le président Bouteflika, et il faut le lui reconnaître, veut plus de femmes dans les assemblées élues, donc une plus grande présence féminine dans le champ politique, là où certaines réflexions et décisions sont prises. A l'évidence, le statut de la femme dans une société, la place qu'elle occupe dans la gestion et la direction de la cité sont des marqueurs pertinents du stade de développement démocratique d'un pays. Ils le sont aussi pour ce qui est du respect et de l'application des conventions internationales paraphées par des gouvernements et qui deviennent contraignantes, au-dessus des lois, des spécificités locales, qui s'avèrent être des rentes, des instruments de domination, des usines qui fabriquent des inégalités explosives et nuisibles à tout progrès social.

 L'annonce faite par M. Bouteflika se trouve être en conformité et cohérence avec la Constitution et avec les engagements souscrits au nom de l'Algérie sur le plan international et au regard de textes adoubés par l'ONU.

 En mars 2004, l'Algérie a ratifié la Convention contre la criminalité transnationale organisée qui combat et punit la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. L'Etat a par ailleurs érigé une «structure gouvernementale chargée de la famille, de la condition féminine et de l'enfance». Dans la Constitution algérienne, l'article 29 inscrit les droits et les libertés du citoyen sans «aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale».

 Mais est-ce que la femme est en position dans la famille, le mariage, les formations politiques et syndicales, l'espace public, de jouir de la protection de cet article contraignant pour tous et partout ? Rien n'est moins sûr. L'article 34 peut concerner plus la femme que l'homme. Il stipule que «l'Etat garantit l'inviolabilité de la personne humaine. Toute forme de violence physique ou morale ou d'atteinte à la dignité est proscrite». L'article 35 va plus loin en précisant que «les infractions commises à l'encontre des droits et libertés, ainsi que les atteintes physiques ou morales à l'intégrité de l'être humain sont réprimés par la loi».

 Dans la réalité quotidienne, quelles sont les chances d'une femme d'être entendue par des institutions, de jour comme de nuit, si ses droits sont bafoués n'importe où sur le territoire ? Très peu.

 L'article 50 de la Constitution stipule que «tout citoyen remplissant les conditions légales est électeur et éligible». La femme est sûrement électrice, sachant quel est le nombre d'Algériennes dans le pays, mais est-elle éligible ? Il n'est pas acquis, à part Mme Louiza Hanoune qui dirige un parti, que des élus donnent leur signature à une femme candidate à la présidence du Sénat, de l'APN ou à El-Mouradia. La pesanteur sociologique, celle des archaïsmes et des sectes intégristes, le silence complice d'une excessive prudence des femmes désignées à des postes à la périphérie des centres décideurs et celui de certaines élites compromises plombent la femme dans un statu quo fort utile à des rentes managées par des hommes pour des hommes.

 L'article 31 bis de la révision constitutionnelle du 12 novembre 2008 a incité, sur instruction de M. Bouteflika, le ministre de la Justice à mettre en place une commission pour plancher sur l'avant-projet d'une loi organique sur la promotion des droits des femmes en politique, pour qu'elle soit plus et mieux présente dans toutes les assemblées élues. Toutes les assemblées !

 Là où le président de la République fait preuve de courage politique dans une société ankylosée, prise en otage par le machisme, l'intégrisme rampant dont la cible préférée est la femme «impure et tentatrice», une femme, elle-même désignée, propose de vendre les femmes aux partis qui seront tenus d'avoir un quota de 30% sur leurs listes. Et Mme Nouria Hafsi, secrétaire générale de l'UNFA (S.V.P. !) propose, déjà, de l'argent aux partis qui appliquent l'article 31 bis de la Constitution amendée. C'est combien une femme sur une liste ? Le silence des femmes dans la périphérie du pouvoir, au Parlement, celui des écrivains, artistes et acteurs de la société civile est assourdissant devant un éventuel article qui ferait des élues des prostituées d'un genre nouveau, spécifique.

 L'idée serait plutôt d'imaginer de graves sanctions publiques à l'encontre des partis réfractaires au quota de 30% de femmes. Le paradoxe est, dans l'impunité, qu'une organisation qui soutient M. Bouteflika dynamite au vol une de ses audacieuses décisions.