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Fête et fierté nationales

par Mohamed Chouieb

Je suis jaloux des autres pays, des autres nations qui savent parfaitement qu'ils ont une fête nationale dont ils connaissent la date exacte et le jour ; qui la fêtent et qui assistent avec fierté à la parade de leurs troupes, celles qui sont chargées de défendre leur pays, leur mode de vie et leurs libertés.

J'ai pensé à tout cela en regardant la télé française le 14 juillet dernier, jour de la fête nationale commémorant la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, haut fait d'armes de ce qui, au fond, n'était que le début d'une longue guerre civile qui a dévasté ce pays.

 Le temps était idéal pour les différents exercices et démonstrations terrestres et aériennes, la parade militaire impeccable, les représentants du pays invité, l'Inde pour cette année, impressionnants dans leurs uniformes et leur pas martial plein de rigueur et de majesté.

 Les Français étaient là, présents en masse ? on parle de plus d'un million de personnes - pour applaudir leur armée dont ils sont tellement fiers et en qui ils ont une totale confiance (90% des Français lui feraient confiance selon le « Journal du dimanche daté du 12 juillet), une armée qui, pourtant, hormis les guerres coloniales entreprises contre des adversaires beaucoup plus faibles, n'a essuyé que des défaites et des raclées mémorables depuis la fin de l'épopée napoléonienne, il y a bientôt deux siècles de cela.

 Mais les choses sont ainsi : le sentiment et la fierté nationales n'obéissent ni à des faits rationnels, ni à une quelconque comptabilité des exploits guerriers. Ils naissent, grandissent et se confortent sur la capacité des institutions à insuffler à leurs citoyens la conviction intime que le pays est à leur image et qu'il possède et met en œuvre tous les moyens nécessaires pour leur garantir, à eux et à leur descendance, une vie digne et conforme à leurs convictions, à leurs valeurs et à leurs ambitions.

 Profitant de cette communion populaire, le président, malgré une côte de popularité anémiée et les critiques acerbes qui accompagnent chacune de ses initiatives, s'est mêlé à la foule, plaisanté avec gamins et parents dans une atmosphère fleurant bon les lendemains qui chantent.

 Je ne peux m'empêcher de faire la comparaison avec mon cher pays, l'Algérie, vissée à mon cœur et à mon corps, malgré les déceptions, le temps, les distances et l'exil. Indépendants depuis bientôt un demi-siècle, nous ne savons pas encore si nous avons une fête nationale. Au début, c'était évident : c'était le jour de l'indépendance, le 5 juillet. Cela d'autant plus que les patriotes qui avaient négocié les accords d'Evian avaient fait coïncider cette date avec celle de l'agression coloniale de Sidi Fredj, le 5 juillet 1830.

 Et il en fut ainsi pendant les quelques années où l'Algérie tenait son cap : fête nationale, fierté nationale, sentiment national d'être en capacité de damer le pion au reste du monde, intangibilité de nos principes comme de notre unité et de nos frontières.

 Puis vint la période des doutes et des reniements honteux, qui a vu la « Fête nationale » se métamorphoser en « Fête de la jeunesse », nous invitant, par-là, à danser, consommer, profiter de la vie et griller nos maigres économies au lieu de penser à l'avenir et, aussi, de communier avec les héros qui ont libéré le pays au prix du sacrifice suprême.

La « Famille révolutionnaire » en cours de conception ne vit pas ces choses d'un très bon œil : elle exigea et obtint que le 1er novembre fut sa journée, journée au cours de laquelle, finalement, on lui reconnaîtrait sa part sonnante et trébuchante dans les affaires à venir et un droit de regard symbolique sur la marche du pays. Ainsi, pendant quelques années, le 1er novembre joua le rôle de succédané de fête nationale. Un succédané discret et fort peu martial malgré toute la symbolique se rattachant au 1er novembre dont seule rappelait la nature : la visite des cimetières de chouhada. Point de manifestation martiale, guerrière et, encore moins, de discours belliqueux. Tout est fait pour ne pas montrer que nous sommes un pays qui est capable de casser les dents à quiconque oserait s'y frotter : il n'était pas question de froisser l'ancienne puissance coloniale qui reprenait de plus en plus la main dans le jeu algérien.

Il en fut ainsi jusqu'à la longue parenthèse de la guerre civile qui fit oublier à chacun qu'il avait un pays et où l'étendard vert remplaça souvent le drapeau algérien. Et, l'état d'urgence aidant, les choses ne semblent pas avoir bougé.

 J'ai souvent entendu nos dirigeants nous reprocher notre peu de fierté d'être algérien sans qu'ils ne se posent la question s'ils font eux-mêmes des choses dont les Algériens peuvent être fiers. On a été fiers, plus fiers que ne l'a jamais été aucun autre peuple du monde, lorsqu'on a libéré notre pays, lorsqu'on construisait notre pays, lorsqu'on voyait un tracteur, un camion algérien, lorsqu'on a nationalisé le pétrole, lorsque tous nos enfants étaient scolarisés, lorsque notre équipe nationale de football battait l'Allemagne en coupe du monde ou le Nigéria à Lagos, lorsque Boulmerka et Morceli gagnaient des médailles d'or sur les stades du monde. Maintenant, nous sommes réduits à considérer une victoire contre l'Egypte, pays qui, au moment où on y a commencé à jouer au football dans les années 70, la Fédération algérienne de football était celle qui comptait les plus de licenciés dans cette discipline de toute l'Afrique, comme un exploit extraordinaire.

On a été tellement fiers que d'autres nous l'ont reproché et que les nôtres ont tout fait pour que cela ne se reproduise plus : plus de victoire, plus d'indépendance nationale, plus de parade militaire ; plus aucun succès ni réussite dans aucun domaine tout en rendant le peuple responsable de cette situation. Et en faisant semblant d'oublier qu'un peuple n'est que ce qu'on a voulu qu'il soit, c'est-à-dire, le résultat d'une politique et d'une gestion du pays.

 Et que ce peuple était un peuple d'acier avant qu'on lui fasse perdre la boussole. En plus de cela, la seule institution dont les Algériens peuvent être légitimement fiers depuis 1954, c'est-à-dire notre armée, on nous la cache comme si l'Armée nationale populaire avait commis les pires fautes, les pires crimes qui soient, alors qu'elle est la seule à avoir parfaitement rempli sa mission de défendre chaque pouce du territoire national malgré les convoitises, les complots et les agressions. Non seulement, on nous la cache mais, aussi, on laisse des pays tiers hostiles proférer des insultes à son encontre sans qu'aucune réaction officielle n'ait lieu. Comme s'il y avait une sorte d'approbation complice avec l'étranger car « celui qui ne dit mot, consent ».

 Le plus grave c'est, qu'au-delà des gesticulations, des déclarations ponctuelles et des effets de manche destinés à nous faire accroire qu'on effectue un bras de fer avec l'Union européenne, l'OMC et le reste du monde pour préserver les intérêts de la Nation, tous les indicateurs montrent que ce n'est pas le cas.

 Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à voir la manière dont l'Occident chrétien et les Juifs ont traité l'Iran lors de ses dernières élections présidentielles alors que notre pays venait juste de jouer devant leurs yeux fermés un simulacre d'élection à ranger dans le pire répertoire des républiques bananières. Pourquoi cela ? Tout simplement, parce que l'Iran mène une politique nationaliste qui préserve ses intérêts et développe ses capacités et l'Algérie une politique de pays colonisé qui pompe et exporte des ressources précieuses car non renouvelables, et qui rend l'argent à ses clients par le biais de l'importation, des contrats et de l'achat de bons du trésor américain. Et puis, nous voyons de nos yeux, tous les jours, l'imbrication de plus en plus grande du politique avec le monde du fric et des affaires qui ne prédit rien de bon pour l'avenir. C'est pour ça que, malheureusement, je ne crois pas que c'est demain qu'on nous donnera le sentiment que notre pays est entre de bonnes mains et qu'il y aura motif à fierté.