|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
S'appuyant sur l'examen de la
mise en œuvre de la Politique de Renouveau Rural (PRR) initiée au début des
années 2000, cette contribution1 analyse les obstacles institutionnels et
organisationnels qui entravent l'émergence d'une action publique territoriale
en Algérie. Il s'agit plus exactement de la mise à l'écart des instances de
prise de décision des acteurs politiques locaux (organes élus) et de la société
civile ainsi que de la dépendance accrue des services déconcentrés/extérieurs
de leur hiérarchie administrative.
La PRR est présentée comme un renouvellement des fondements et des manières de penser et d'agir sur le monde local/rural. Elle est conçue comme une alternative aux vieilles politiques top-down centralisées et sectorielles pour apporter des réponses globales aux spécificités des défis du monde rural. À travers la mobilisation de ses différents instruments, notamment les Projets de proximité de développement rural intégré (PPDRI), elle vise à promouvoir de nouveaux paradigmes de l'action publique comme la participation citoyenne et des acteurs locaux, l'intégration multisectorielle, le partenariat public/privé, et la diversification des activités. L'approche territoriale implique une gouvernance hétérarchique, c'est-à-dire un mode de régulation de la société par des réseaux d'acteurs auto-organisés. Ce modèle de régulation entrecroisée se caractérise, d'une part, par les rapports de coopération et de concertation entre l'État central et ses instances locales et régionales déconcentrées et décentralisées et, d'autre part, par l'équilibre dans la participation à la prise de décision sur les affaires locales entre les trois grandes forces présentes localement, soit le pouvoir politique local, le secteur privé et la société civile. Or la traduction locale de la PRR montre que le pilotage des programmes et des actions de développement local/rural est assuré quasi-exclusivement par la seule puissance publique et ses relais au niveau local. Ainsi, si les politiques de développement rural ont évolué dans leur terminologie et leur discours, de l'approche sectorielle à l'approche territoriale, la question de la faible maîtrise des paradigmes de cette dernière, notamment le processus de la conduite de l'action collective, se pose comme le principal obstacle à la mise en œuvre de la PRR par ses autorités de gestion et ses ressortissants. I. Les fondements de la PRR L'esprit qui préside à l'élaboration de cette politique spécifique, dédiée aux espaces ruraux, est celui d'une ambition forte et partagée par l'ensemble des acteurs nationaux et locaux de corriger et de renouveler les approches, les visions, les méthodes, les dispositifs institutionnels et organisationnels et les objectifs assignés au monde rural, pour jeter les bases d'un développement durable, équitable et harmonieux des territoires ruraux. En effet, l'absence, pendant longtemps, de politiques spécifiques de développement des territoires ruraux fait que le rural n'a fait l'objet de tentatives de délimitation que par quelques disciplines (géographie rurale, économie et sociologie rurales) et l'expression « espace rural » ne fait pas encore aujourd'hui l'unanimité. Il semble même inconcevable de définir le rural sans passer par la définition préalable de l'urbain. Il est tout ce qui n'est pas urbain, autrement dit, c'est la catégorie d'espace résiduel ne rentrant pas dans les critères spécifiques de la définition de la ville ou de l'urbain. Le rural est souvent assimilé à l'agriculture ou à la campagne, et celle-ci est définie comme un antipode de la ville. Ainsi, au lieu d'être approché et perçu en termes de ses potentialités, de ses atouts et de ses spécificités territoriales, le monde rural ou le local est plutôt perçu au travers de ses handicaps, de sa fragilité et de son déclin. Par Renouveau rural, on entend dépasser cette vision négative et compassionnelle du monde rural, comme espace annexe, placé en situation de sujétion à la ville et identifié et voué à la seule activité agricole, par une vision positive d'un milieu dynamique ayant sa logique de fonctionnement, vivace et prometteur. C'est du moins ce qui se dégage de cet énoncé du document du Renouveau rural : « le passage de la vision [d'espace rural subsidiaire de la ville] à celle [d'espace spécifique] est au centre du renouveau rural au sens de renouvellement » (MADR, 2006, 26)2. Les grandes voies qui convergent vers cette refondation de la représentation des territoires ruraux et de leur requalification se lisent à travers la volonté de leur intégration à l'effort national de développement économique et social, de leur inscription dans les lignes directrices du schéma national de l'aménagement du territoire 2025 et de l'adoption de l'approche territoriale. Par son levier de la gouvernance partenariale, cette dernière, permet la mise en synergie des efforts de l'ensemble des acteurs du territoire et le renforcement d'une intégration multisectorielle pour une meilleure valorisation des ressources localisées. Or, après plus d'une quinzaine d'années de mise en œuvre de la PRR, les acteurs locaux peinent encore à s'approprier les paradigmes de l'action collective tandis que la gouvernance locale est dirigée et encadrée par la seule puissance publique. Nous analysons ici, à travers le prisme du couple déconcentration-décentralisation, les obstacles qui empêchent les acteurs institutionnels locaux (collectivité locales et services déconcentrés) et la société civile à jouer le rôle d'acteurs à part entière dans les processus décisionnels, et donc l'émergence de l'approche territoriale de développement. II. Des pouvoirs politiques et administratifs locaux dévoyés et démunis Pour Missoum Sbih3 (1973)4, l'administration publique doit disposer d'un pouvoir puissant pour remplir ses missions difficiles et complexes de développement économique et social. Si cela n'est pas faux, l'efficacité et l'efficience de celle-ci dépendent d'abord de la délégation de moyens et de pouvoir aux instances et aux services locaux de l'État qui sont à même d'adapter l'action gouvernementale aux réalités locales. L'histoire du fonctionnement de l'administration algérienne montre que les représentations de l'État au niveau local (wilaya, daïra et services déconcentrés) ne sont que de simples relais du pouvoir central servant à faire entériner les choix opérés au sommet de l'organisation politico-administrative. L'exemple de la daïra est significatif. Théoriquement, cette dernière est un acteur développeur tourné vers la promotion des territoires. Elle est le cadre spatial de l'animation du développement local et l'échelon administratif le plus proche de l'organisation territoriale, qui permet un contact et un dialogue directs entre les élus, les citoyens et les agents d'autorité. Cependant, dans la pratique, la daïra s'apparente plus à une « administration de guichet », caractéristique d'une « boîte d'enregistrement », qu'à une « administration de projet ». La centralisation du contrôle altère le rôle de la daïra qui devient une simple courroie de transmission entre les administrés et l'administration, en général, et entre le wali et les collectivités locales, en particulier. Au lieu de constituer un niveau de dialogue territorial et de « concertation de proximité » entre acteurs publics et acteurs privés, et un échelon de construction des partenariats et de fabrication des intercommunalités, la daïra est plutôt un niveau de « contrôle de proximité » au plus près de la population et de ses représentants. Dans le domaine économique et de la fourniture du service public où elle est censée jouer pleinement son rôle, la daïra se contente de filtrer les propositions qui lui sont adressées par les communes, au lieu de se hisser à un niveau territorial de planification, susceptible d'assurer une coordination et une complémentarité entre les initiatives et les activités des communes relevant de son territoire. Concernant les services déconcentrés de l'État, leur fonctionnement, leur organisation et leurs compétences sont fixés par leur ministère de rattachement. L'application stricte des instructions de la hiérarchie laisse peu de place aux adaptations locales et encore moins aux modifications et aux implications qui pourraient intervenir dans le cadre de l'action et de la coopération interministérielles. Si cette uniformité présente des avantages en termes de lisibilité de l'action et de l'organisation de l'État, elle entrave en revanche, d'une part, la flexibilité de ces structures qui leur permet d'ajuster et d'harmoniser leurs actions en fonction des spécificités des territoires et, d'autre part, l'émergence d'une approche multisectorielle intégrée, susceptible d'aboutir à une fabrication d'une action publique territoriale coordonnée. C'est-à-dire intégrant plusieurs acteurs et secteurs de sorte à rendre plus cohérents les programmes en articulant les actions et les projets. Il en résulte une faible efficacité locale et globale de l'appareil de l'État. En effet, la rigidité et le cloisonnement des services déconcentrés se traduisent par leur incapacité à s'approprier la culture de l'action collective et par conséquent à construire une gestion concertée des projets. Le processus de décentralisation a parcouru une trajectoire longue, sans que cela n'aboutisse à sa concrétisation dans les faits. La valorisation de l'échelon local de décision est affirmée dès la promulgation du Code communal (1967) et du Code de wilaya (1969). Cependant, dans la pratique, le pouvoir politique local s'apparente plutôt à une déconcentration qu'à une décentralisation. La centralisation tous azimuts de la décision politique au niveau des hautes instances de l'État, s'accompagne d'une déconcentration du contrôle au niveau de la wilaya et de la réalisation au niveau de la commune. Depuis l'indépendance jusqu'à nos jours, l'hégémonie du pouvoir central s'affirme sur tous les niveaux de décision au détriment du pouvoir local. Le rôle de ce dernier se limite à l'inventaire des besoins et des problèmes locaux et à l'exécution sur le territoire de la commune, réduit à un espace physique de réalisation, des programmes décidés centralement. Victime d'une décentralisation fonctionnelle mais sans un budget autonome, la commune ne jouit pas de moyens (humains et financiers) et de pouvoir décisionnel suffisants, pour pouvoir engager de véritables partenariats de développement avec les communautés rurales et amorcer une dynamique de développement territorial. Les communes sont d'autant plus noyées sous le poids des responsabilités et des défis que le transfert de compétences n'a pas été accompagné de transfert concomitant de ressources. La situation financière de ces collectivités de base est encore plus critique que la fiscalité locale est quasi-inexistante et que leur fonctionnement dépend des subventions de l'État qui fluctuent au grès de l'évolution des prix du pétrole. Cette dépendance accrue des collectivités territoriales envers l'État et le sacrifice du principe de la décentralisation au profit de celui de la déconcentration, qui se traduit par la soumission des organes élus aux agents d'autorités (le wali et le chef de daïra), amènent certains juristes à soutenir l'idée selon laquelle, le pouvoir local n'existe pas. Rachid Zouaimia (2002)5 avance, à propos des rapports de pouvoir entre le centre et les instances locales, que « le pouvoir central use en effet des catégories juridiques des États libéraux en les vidant toutefois de leur substance. Elles sont soumises à une torsion telle qu'elles n'ont plus qu'un lointain rapport avec celles en vigueur dans le pays d'origine. À ce titre, la notion de «décentralisation» continue d'être galvaudée pour englober des situations auxquelles elle ne s'applique nullement ». III. Une société civile amorphe À la faveur de la constitution de 1989, la loi n° 90-31 du 4 décembre 1990 relative aux associations consacre la liberté d'association en dehors de toute tutelle, permettant ainsi la création de milliers d'associations en un temps record. Aujourd'hui, on en dénombre 108 940 sur tout le territoire national. Cependant, derrière ce chiffre qui donne l'illusion d'un dynamisme associatif se cache une réalité tout autre, celle d'un secteur associatif amorphe qui n'est pas encore au stade de conscientisation, de mobilisation et d'organisation. Cette situation empêche les groupes sociaux à s'engager collectivement pour se constituer en véritables partenaires de l'État et en porteurs de revendications de la société civile auprès des pouvoirs politiques pour améliorer la gestion des affaires publiques. Cet état de fait s'explique, selon Omar Derras (1999)6, par le détournement des missions des instances de socialisation qui, au travers de l'idéologie populiste, au lieu de façonner et de promouvoir les valeurs modernes et universelles telles que le goût de l'effort, le dévouement et la passion dans le travail, ont au contraire, renforcé l'ancrage des valeurs négatives comme la passivité, voire l'égoïsme. Les enquêtes d'Omar Derras auprès de 446 associations réparties sur 24 wilayas (Derras, 2007)7 et auprès de 95 associations de la wilaya d'Oran (1999), montrent que le bénévolat n'est que faiblement ancré dans l'esprit des acteurs associatifs, le taux de la participation associative ne dépasse pas 5 % au niveau national et l'engagement associatif est avant tout fondé sur des motivations personnelles considérant le monde associatif comme un créneau de promotion et d'insertion professionnelle, politique et sociale : « se sentir utile surtout à soi-même dans une ambiance plaisante, le besoin de s'intégrer socialement et professionnellement sont les raisons de près de 80 % des adhérents » (Derras, 1999). À ce déficit de culture citoyenne, s'ajoute un cadre législatif et institutionnel défavorable dans lequel évoluent les associations. L'ordonnance n° 71-19 du 3 décembre 19718 relative aux conditions de création des associations inaugure officiellement un processus, toujours en cours, de déclin et d'étiolement du tissu associatif. Tous les textes de loi, promulgués depuis cette date jusqu'à ce jour, ne garantissent pas les conditions nécessaires pour l'émergence d'un mouvement associatif conscient, puissant, dynamique et représentatif. La nouvelle loi n° 12-06 du 12 janvier 2012 renforce davantage les dispositions restrictives concernant la création et le fonctionnement des associations. La simple déclaration n'est plus suffisante à la création d'association, celle-ci est désormais soumise à l'autorisation préalable de l'administration ; les soutiens financiers provenant de l'étranger font l'objet de l'accord préalable de l'administration algérienne ; l'adhésion à des associations internationales est conditionnée par l'autorisation du ministère de l'Intérieur et du ministère des Affaires étrangères. Mais la restriction qui entrave le plus la liberté d'action des associations est la menace de suspension ou de dissolution « en cas d'ingérence dans les affaires internes du pays ou d'atteinte à la souveraineté nationale » (art. 39). Cette disposition qui pèse sur la vie des associations est d'autant plus menaçante et inquiétante que les contours de délimitation de la notion vague d'ingérence ne sont pas définis. Cette situation juridique, ajoutée à l'insuffisance de moyens, aux problèmes bureaucratiques et au manque d'expérience des cadres associatifs, justifient le taux de mortalité très élevé des associations qui est de 80 % pour Oran et le taux très faible des associations qui sont réellement actives et qui se situe entre 1,33 et 2 % au niveau national. En parallèle à cette attitude hostile à toute velléité d'autonomisation de la société civile en dehors de l'orbite des structures de l'État, le pouvoir central apporte un soutien considérable aux organisations créées par lui même, auxquelles il a confié le rôle de diffuseur de son idéologie sectaire panarabiste et panislamiste ayant pour objectif l'aliénation et la domination du peuple algérien. C'est le cas des organisations de masse et des unions nationales qui chapeautent les différentes couches de la société et toutes les professions : Organisation nationale des Moudjahidines, Organisation nationale des enfants des Moudjahidines, Organisation nationale des enfants de chouhada, Union nationale des travailleurs algériens, Union nationale de la Jeunesse algérienne, Union nationale des paysans algériens, etc. Ces organisations « famille du pouvoir » ou « associations amies » des partis comme les surnomme Mohamed Brahim Salhi (2010)9, servent de tremplin de mobilisation à l'occasion des joutes électorales et d'autres événements politiques, en échange de promesses de promotion à des carrières et des responsabilités politiques ou administratives importantes. À Oran (Derras, 1999), les 116 associations qui ont bénéficié de subventions de la part de l'Assemblée populaire de wilaya sur les 500 qui ont formulé une demande, sont très proches des formations politiques au pouvoir que sont le Rassemblement national démocratique, le Front de libération national et le Mouvement de la société pour la paix. Les manifestations qui secouent le pays depuis le 16 février 2019 montrent à quel point ces associations et unions inféodées sont identifiées au système politique algérien. Le peuple algérien demandait non seulement le départ du président de la République mais aussi la dissolution de ces associations et autres réseaux clientélistes qui constituent des acteurs consolidateurs de ce système et dont le pouvoir discursif et infrastructurel est mobilisé par les gouvernants comme mécanisme de résilience (Dris-Aït Hamidouche, 2018)10. Dans cet environnement d'opportunismes qui caractérise le monde associatif algérien, de nombreuses associations tentent de participer tant bien que mal à la construction d'un nouveau mode de coordination entre les acteurs. Cependant, la précarité de leurs moyens et l'environnement institutionnel et économique dans lequel elles évoluent, les contraint à se cantonner à des échelles territoriales réduites (village et quartier) et aux domaines d'activités dont l'impact sur le développement est quasiment nul : petites animations culturelles, sociales et sportives de faible envergure. Même les actions des associations professionnelles, censées jouer un rôle d'acteur actif dans les dynamiques rurales de développement, se limitent à l'organisation sporadique d'expositions et de foires locales. Conclusion Les politiques de développement rural/local avaient pour ambitions prioritaires, dès l'indépendance jusqu'aux années 2000, de répondre aux exigences de la planification nationale. Les zones rurales n'ont pas fait l'objet de politiques de développement proprement rurales, c'est-à-dire, celles qui devaient répondre à leurs potentialités et à leurs spécificités. Mais leur développement, dans l'esprit des pouvoirs publics, devait se réaliser par la propagation des effets d'entraînement, générés par les espaces viables, que représentent les dynamiques industrielles et urbaines et l'intensification de l'agriculture dans les plaines. Dans cette acception de développement régional exogène, l'État est omniprésent dans les politiques de développement. Il est le principal financeur, il détient le savoir et l'expertise. Par conséquent, l'aménagement et le développement relèvent de ses seules prérogatives : il concevait, programmait, réalisait, finançait et orientait. L'adoption, à partir du début des années 2000, d'une approche territoriale intégrée est perçue comme une démarche spécifique et alternative pour lutter contre le sous-développement rural et susceptible d'apporter des réponses adéquates aux défis du monde rural. Cependant, les bases institutionnelles, juridiques, politiques et sociales sur lesquelles elle devait se reposer sont encore très fragiles pour soutenir ses fondements philosophiques et méthodologiques. La PRR se présente ainsi comme une expérimentation ou une transplantation light d'un modèle de référence européen LEADER (Liaison entre actions de développement de l'économie rurale) dans un contexte de réception qui lui manifeste une résistance, soit par l'opposition, soit par le détournement ou la perversion de ses principes et de ses instruments. En effet, ce modèle de développement construit par et pour les territoires ruraux occidentaux, sur la base de leurs spécificités (agriculture développée, campagnes multifonctionnelles, longue expérience d'apprentissage collectif, pouvoir local consolidé) ne peut pas, d'une part, s'appliquer à des territoires pauvres (infrastructures dérisoires, déprise rurale et agricole, faible diversification) et d'autre part, être imité par une société où le pouvoir local et la société civile autonomes et organisés sont quasi- inexistants. Le développement territorial ne se décrète pas, ne s'imite pas et ne s'exporte pas à la manière des usines clé en main. Tous les paradigmes sur lesquels il repose sont des construits sociaux à partir d'une identité, d'une culture, d'une histoire, d'une géographie, de savoir faire, de représentations, etc. spécifiques à chaque territoire. Il implique un nouveau mode de gouvernance partenariale qui permet l'émergence d'un territoire en tant que construction sociale par les acteurs locaux (collectivités locales, sociétés civile, acteurs économiques) qui le pratiquent, le font vivre, le transforment, l'animent, etc. Ce territoire construit devient alors le facteur de développement et la base de toute action collective. Or en Algérie, malgré le récent intérêt, relatif et circonscrit, accordé à de nouvelles représentations symboliques, politiques et sociales de l'espace, le local est toujours abordé par les pouvoirs publics comme un espace neutre et banal, celui des circonscriptions administratives et d'implantation d'activités économiques répondant aux objectifs définis au niveau national. Le monolithisme politique, culturel, religieux et linguistique de l'Etat algérien, conduit même à la suspicion à l'égard du local, de ses spécificités et particularités. Cet unitarisme et centralisme qui prend appui sur une économie rentière sape toute possibilité d'un développement par le bas (bottom-up). Ainsi, le développement national résulte non pas de l'addition des richesses créées par les différentes régions du pays mais de la répartition de la rente pétrolière sur l'espace infranational. Nous sommes en présence des préceptes de la théorie libérale du ruissellement sauf que la source n'est pas la richesse produite mais la rente. Cette manière d'agir sur le local/rural se trouve en contradiction avec les nouvelles attentes et demandes sociales. En plus des aspirations classiques, les populations rurales expriment le besoin de promouvoir la gouvernance participative, d'une meilleure valorisation des ressources locales et de l'équité territoriale. Ce nouveau regard émanant par le bas, préfigure la construction d'une nouvelle ruralité où les espaces ruraux ne sont plus considérés comme des espaces résiduels par rapport aux espaces urbains, mais comme des espaces de vie, de travail, de récréation et de loisirs. Mais pour que les espaces ruraux fassent l'objet d'interventions qui soient en phase avec ces nouvelles réalités, les pouvoirs politiques et administratifs doivent s'imprégner de ces nouvelles représentations de l'espace rural et s'approprier les nouvelles approches leur permettant de les aborder. L'enjeu majeur est l'apprentissage de la conduite de l'action collective que rend possible la gouvernance territoriale en considérant les acteurs locaux comme des partenaires privilégiés dans la fabrication de l'action publique. *Docteur en sciences économiques Notes : 1- Une version intégrale de cet l'article vient de paraître dans un ouvrage collectif sous la direction de Karima Dirèche : «L'Algérie au présent, entre résistances et changements», IRMC/KARTHALA, 852 p. 2- Ministère de l'agriculture et du développement rural, 2006, Le Renouveau Rural, Alger. 3- Sbih Missoum a été directeur général de la Fonction publique algérienne en 1963 et directeur de l'École nationale algérienne d'administration de 1964 à 1979. 4- SBIH Missoum, 1973, L'administration publique algérienne, Paris, Hachette. 5- ZOUAÏMIA Rachid, 2002, « L'introuvable pouvoir local », Insaniyat, n° 16, 31-53. 6- DERRAS Omar, 1999, « Le fait associatif en Algérie. Le cas d'Oran », Insaniyat, n° 8, 95-117. 7- DERRAS Omar, 2007, Le phénomène associatif en Algérie, Alger, Fondation Friedrich Ebert. 8- Avant cette date, les associations algériennes étaient régies depuis 1904 par la loi de 1901. Durant la colonisation, le mouvement associatif algérien était très dynamique et a constitué un véritable vivier de la formation politique, de l'encadrement et de la conscientisation des militants nationalistes. 9- SALHI Mohamed-Brahim, 2010, Algérie, citoyenneté et identité, Tizi-Ouzou, Achab. 10- DRIS-AÏT HAMIDOUCHE Louisa, 2018, « Au cœur de la résilience algérienne : un enjeu calculé d'alliances », Confluences Méditerranée, n° 106, 195-210. |
|