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Mémoires de guerre : comme si vous y étiez !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

«MEMOIRES DU DERNIER CHEF HISTORIQUE DES AURES (1929-1962)». Souvenirs de guerre de Tahar Zbiri. Editions Anep (traduction de l'arabe de Mohamed Maâradji), 365 pages, 760 dinars, Alger 2010.

Quel livre ! Pas de littérature (d'ailleurs, il a été très difficile, sinon impossible, de dégager des extraits) mais uniquement des faits, des faits et des faits, des noms, des noms et des noms? et des exploits, des exploits et des exploits (dont la fameuse évasion de la prison de Constantine, en compagnie de Mustapha Ben Boulaid. Cela correspond d'ailleurs assez bien au personnage central de l'ouvrage, en l'occurrence le (fameux) colonel Tahar Zbiri, dernier chef historique des Aurès, auteur d'une tentative de «coup d'Etat» contre Houari Boumediène, alors chef de l'Etat,et devenu, avec A. Bouteflika président de la République, membre (désigné) du Conseil de la nation. Honneur aux braves !

Il passe tout en revue, de 1929 à 1962 seulement : des «années de misère et de frustration», à Oued El Adhaim, puis à Oued Kebrit à l'après-Indépendance du pays,avec ses désaccords et ses luttes pour la prise de pouvoir, en passant par les combats sur le terrain, à l'intérieur du pays ou aux frontières.

Tout y passe donc, avec des détails et même quelques «révélations»? et, parfois, des conclusions hâtives et des allusions significatives. De l'humour rarement. Normal ! Des mémoires écrites plus de 40 ans après la fin de la lutte contre le colonialisme ne pouvaient qu'être «polluées» par les «mésaventures», parfois douloureuses, qui ont suivi. On attend avec impatience la suite? L'après-62 : Mémoires d'après-guerre.

Avis : Une couverture (cartonnée) qui n'attire pas. Mais, lecture facilitée par une présentation toute simple. Grands chapitres (14) et petits paragraphes. Un peu de tout sur tout et (presque) tous. La guerre de libération nationale comme si vous y étiez ! Vous allez même souffrir avec les combattants? ; et, surtout, souffrir encore bien plus avec ce qui s'est passé après le cessez-le feu? entre les combattants anticolonialistes d'hier !

Extraits : «Certains révolutionnaires utilisaient des accusations comme la trahison, l'abus moral (ndlr : sic !) ou le vol de l'argent de la révolution pour se débarrasser des moudjahidine avec qui ils étaient en désaccord (?). C'est ainsi que des erreurs graves ont été commises?.» (p. 143), «Dans l'armée française, les soldats devaient exécuter les ordres d'abord et se plaindre après, mais cela ne s'adaptait pas à la mentalité de nos moudjahidine. Ils n'avaient pas l'habitude de tels comportements (de la part des officiers issus de l'armée française et ayant déserté)» (p 232).

«LES CLAIRONS DE LA DESTINEE. MEMOIRES ». Souvenirs de guerre de Mourad Benachenhou. Casbah Editions, 158 pages, 600 dinars, Alger 2014.

Sous une apparence «tranquille», l'auteur (ancien - très haut- fonctionnaire mais aussi, ne pas l'oublier, universitaire reconnu, aujourd'hui connu par ses fréquentes contributions de presse) a tout de «l'homme révolté» et, en lisant ses «mémoires», cela se ressent dès le départ (Voir «Réflexions préliminaires» et «Introduction»). Pas la peine d'attendre la lecture de son parcours de militant et de combattant pour le savoir ! Il se révolte contre «l'Histoire écrite à la gomme» ; celle qui écarte les expériences individuelles sous le couvert du slogan «Un seul héros, le peuple» ; celle qui est devenue une propriété privée, un «butin» au profit d'un groupe? dont les tenants du pouvoir. Cinquante années d'embargo, barakat ! Réflexions, analyses, parcours scolaire, grève générale des étudiants (et des lycéens) et engagement dans la lutte armée (sans trop se poser de questions quant à l'organisation militante et militaire, l'essentiel étant «qu'elle se battait pour l'indépendance de l'Algérie» et de «prendre part à l'action sur le terrain, non à l'agitation politique»), description de combats et portraits de frères de combat? Des batailles et des héros dont les noms sont, souvent, hélas, oubliés. Qui se souvient de la bataille du Djebel Zeri (26 août 1956) ? Qui se souvient de «Qounboula», un combattant devenu une légende grâce à son courage? et qui est «mort en fraude» (car peu connaissaient son vrai nom de famille et sa filiation)? ? : L'itinéraire politique et pratique d'un «jeune homme de bonne famille», bien décidé à participer, activement et sur le terrain, à la libération du pays, acceptant toutes les missions, même les plus impossibles? et qui, aujourd'hui encore, «s'étonne d'être encore en vie». Un bel exemple à suivre par ceux qui, ayant participé, peu ou prou, à la guerre de libération nationale, n'ont encore rien écrit (sinon parler, parler et encore parler ? critiquer, critiquer, critiquer, parader et «réclamer» dans les réunions d'anciens). Avec, aussi, un autre courage à signaler, celui de défendre, au passage, la vie et la mémoire de Messali Hadj? en tout cas de rappeler son rôle «éminent» dans le réveil politique du peuple algérien. Et, pour finir, en post-scriptum, une courte mais lucide analyse du concept d'amnistie des crimes de guerre commis par l'occupant en Algérie. Un P.S à bien retenir !

Avis : Se lit, facilement, d'un trait. Le récit seulement d'une brève période de la guerre telle que vécue. On attend avec impatience la suite? L'après-62 : Mémoires d'après-guerre.

Extraits : «Si individuelle puisse-t-elle paraître, toute œuvre humaine est une création collective dont l'auteur n'est que l'instrument» (p 11), «L'engagement personnel pour une cause juste peut conduire l'individu à surmonter ses faiblesses et à faire fi de l'instinct de conservation, quitte à s'étonner de ses propres actions, et à se demander s'il avait pu prendre le contrôle de sa volonté de survie que la nature lui dicte, s'il n'avait été mû par un sentiment qui l'a forcé à se dépasser et à consentir d'affronter des dangers que, dans des circonstances normales, il n'aurait pas été capable d'accepter» (p 23), «La liberté ne s'obtient et ne se maintient que par le sacrifice de l'individu qui considère que sa vie a moins d'importance que la survie de la communauté à laquelle il appartient et qui donne une valeur à sa propre vie» ( p 26), «On ne mène que le type de guerre qu'on peut s'offrir. Peu importe la façon dont elle est menée, ce qui compte est d'atteindre l'objectif politique qu'on s'est fixé en la déclenchant» (p 110), «Le devoir de mémoire qui pèse sur tous ceux qui sont en mesure d'y contribuer, ne saurait céder le pas à une interdiction de souvenir, même si des lois internes y obligent» (p156).

«DEBBIH CHERIF ET L'ULTIME BATAILLE D'ALGER. Biographie par El Hachemi Larabi (Préface de Lamine Bechichi). Necib Editions, 197 pages, 600 dinars, Alger 2013.

Connaissez-vous Debbih Chérif ? Tel-le qu'a été enseignée l'Histoire de la Révolution, et telles que sont rédigées les plaques indicatrices des rues et places du pays, il est certain que beaucoup de sexagénaires ne savent même pas de qui il s'agit. Heureusement que le film «La Bataille d'Alger» (pas le livre «qui ne lui a consacré que quatre lignes», selon l'auteur) et, aujourd'hui, des ouvrages mémoriels (ex : le grand et gros livre de Zohra Drif? où «il a été cité 76 fois») ont sorti ce héros de l'oubli et de l'ignorance (voulus ?) : Mourad était son nom de guerre. Il fut de toutes les grandes opérations menées à coups de bombes et qu' «il supervisait stratégiquement».

Avec Yacef, Ramel (Hadji Othmane), Ali la Pointe, Zohra Drif, Taleb Abderrahmane, Hassiba Benbouali et bien d'autres. Les insaississables, disait-on ! Jusqu'au 27 août 56 quand, trahis, Ramel, Mourad et le frère de Ramel, Nourredine, sont encerclés au 5, Impasse St-Vincent de Paul (Casbah). Ils meurent en combattant, les armes à la main.

L'auteur a tenu à signaler «que les militants messalistes - en tout cas certaines cellules, comme celle de Azzouzi, activant à Alger en 1955- sont d'authentiques révolutionnaires, et que l'Algérie (?) doit leur rendre cette justice» (p 80)

Avis : Petit livre (avec des photos) techniquement mal fait, en dehors de la couverture. Heureusement, une très belle histoire d'amitié et d'engagement, simplement écrite, chaque phrase étant chargée d'émotion. Forte leçon de courage. Immense héros (Mourad ? un «géant», un «homme droit et rigoureux»? et «doté d'une profonde humanité» dixit Zohra Drif).

Extraits : «C'est la petite bourgeoisie des villes qui a allumé l'étincelle. Qu'on le veuille ou non, ils avaient tous un minimum de culture qui leur a permis d'organiser cette extraordinaire révolution» (p 23)