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Tunisie: quand elle était belle?

par El Yazid Dib

Ce ne sont pas les beaux paysages qui font la beauté d'un pays. Mais ses citoyens. Ce ne sont pas les beaux rivages qui font les belles plages, mais les plagistes. Ce ne sont pas les belles chambres qui font les meilleurs hôtels, mais le bon accueil. Entre une ère révolue et une autre en phase d'accomplissement, la Tunisie transvase d'une culture à son contraire.

Rien n'est comme avant. Ce sourire séculaire semble avoir été perdu dans une révolution engendrant aléatoirement d'innombrables perversités comportementales. Une révolution tant souhaitée par un peuple soucieux de son avenir. Soit l'une des plus inaccomplies. Elle se fait certes mais suscite déjà un redressement. Quand une société aux repères bien ancrés, cherche à se mouvoir, croyant à une libéralisation ; dans un abandon référentiel, c'est en fait son âme qu'elle perd. La Tunisie n'était et n'est pourtant pas un pays à ressources hydrocarbures, ni un Etat technologique. Juste un si beau pays qui savait rendre le tourisme en une véritable machine industrielle. Il avait l'art de vendre un service. Calme, tranquille ; il tente de flirter avec les affres d'une démocratie qui ne viendra jamais. Ces envies d'y arriver ont vite fait apparaître un visage déplaisant à cette terre si généreuse. Le touriste, hier une monnaie, est devenu un quelconque citoyen malgré sa monnaie. Un simple voucher. Un nom usuel d'une agence exotique de voyage. Le tunisien en évitant de le traiter comme hier présume recouvrer une identité. Il donne l'impression qu'en s'exaltant de la sorte, avec beaucoup de notes de véhémence ; il crie une délivrance. Il signe une autodétermination. Une sorte de libération par rapport à un système qui croit-il l'aurait rendu soumis, docile et froid. C'est malheureux de constater que dans nos contrées arabes, les peuples qui ont osé avec courage et acariâtreté, sacrifice et martyre briser les plombs qui les scellaient, se placent immédiatement dans d'autres plus redoutables.

Le portrait de Benali a disparu de derrière tous les postes de police, les boutiques, les réceptions, les offices et les pignons sur rue. Une autorité semble avoir disparu avec. En remplacement, l'on imagine des spots. Tantôt des citoyens souriants, tantôt un étendard, tantôt un signe ou une toile contrefaite, parfois rien. La Tunisie manque ainsi d'un nouveau fondateur. L'actuel président n'est qu'une institution provisoire que le monde social arrive mal à digérer. Son portrait on ne le retrouve nulle part. Par contre des graffitis exprimant un sentiment religieux dans une dimension politique sont visibles le long de la profondeur du pays.

Un récent sondage d'opinion fait par l'ambassade de France révèle que plus de 57/ des tunisiens regrettent l'ère Benali. Des gens s'interrogent s'il s'agit là " d'une nostalgie ou d'une répulsion des gouverneurs actuels ? " les deux à la fois répondent les plus pertinents. Du temps du président déchu, il y avait certes un climat froid dans une cité de soleil, mais il y avait cette tranquillité tant recherchée par les puissances de ce monde. Interrogé, un tunisien commerçant à la place de Sousse, me rétorqua " qu'en son temps il n'y avait qu'un seul voleur " alors " qu'en ces temps ils sont plusieurs " et son voisin de négoce de renchérir placidement " au moins lui ne détroussait pas les pauvres, il s'attaquait aux hommes d'affaires "

Le chroniqueur ne veut pas s'immiscer dans la souveraineté d'un peuple à pouvoir choisir si c'en est le cas son destin et ses leaders. Il reste dans ses vacances en se laissant libre à ses commentaires. On imagine vite la genèse du retournement de comportement du tunisien hôtelier ou celui mis en contact direct avec le visiteur. Les autres, ceux du grand pays sont restés tels qu'ils ont toujours été. Diligents, cherchant la survie, affables et très courtois. Avant la courtoisie était une marque déposée, sinon une profession dans la proximité des espaces touristiques. Elle glisse lentement vers une insouciance voulue. Ca ressemble à une forme d'affirmation de soi. Le service d'étages, l'aubergiste, le serveur n'ont plus la promptitude d'antan. Ils ne craignent plus " le chef " ni l'entorse à servir mal un client. La syndicalisation fruit d'une lutte incessante s'est mal instituée dans la masse laborieuse longtemps silencieuse. C'est dommage que cette prise de conscience de classe soit prise aux dépens d'un bon service. Il est reconnu à cette Tunisie le grand combat syndical. En vociférant, en fustigeant, en rouspétant, en affichant un visage désobligeant, cet agent pense s'affranchir de tant d'années d'exploitation et de tant de vicissitudes. Il se trompe mon frère le tunisien. Le tourisme n'est qu'une culture. Il n'est pas une position politique ou une revendication salariale. Le favoritisme dans le traitement du client s'effectue à la tête ?du client. L'algérien est boudé quand la jeune ukrainienne débonnaire et dénudée est savoureusement servie.

Rien n'est plus comme avant ! Les envies démocratiques ont fait beaucoup de désastre dans la culture touristique aussi anéantie par une sensation libératoire inappropriée.

Les hôtels " palace " sont devenus de grands pensionnats où l'on bouffe, l'on crèche et puis hop ! Ou sont ces touristes de grands pays comme l'Allemagne, la France ? l'on ne voit outre nos compatriotes en grande densité que des ukrainiennes, des slaves, des libyens et de gens nouvellement acquis aux plaisirs de l'exode carthaginois. Ces hôtels considérés comme des privilèges de classe avant la " révolution " se sont transformés pour les uns nationalisés en de simples dortoirs collectifs. Seuls des souvenirs d'une ambiance déchue ont pu résister à l'intempestivité des tenanciers où des tableaux, des reliques s'arborent encore dirait-on à leur insu. Ils se sont finalisés dans la médiocrité par la grâce de certaines agences de voyage en mal de recrutement. L'exemple le plus tonifiant demeure le " Houria Palace ". Dans le temps ; la légende raconte que personne n'osait roder dans ses parages, car tenu par le biais de celle que l'on appelait " la régente de Carthage ". Pour un 4 étoiles, il est impensable de savoir que les chambres ne sont pas dotées de TV et de minibar et que celui-ci est en option par location à 10 dinars la journée. Cette catastrophe n'est pas économique tant que l'établissement affiche complet.

Elle est cependant une grosse déchirure dans son label historique. L'hôtellerie connut aussi sa descente aux enfers par le truchement de ces nouvelles agences russes et surtout algériennes qui négociant au plus bas les coûts se rabattent sur une piaule nue, un service de piscine et une demi-pension de cantine. Ces agences parfois offrent la semaine pour 100 euros ou 20 000DA. Ces vendeurs de rêves filent le mauvais rêve. Même au Millésime tout pimpant, ils cultivent l'esbroufe et l'escroquerie. Grotesque comme formule. Les jeunes ainsi en raffolent. Les ascenseurs tombent en panne.

Le vacarme dans les couloirs. Une image d'un hammam de chez nous. L'image perdue de cette belle Tunisie, c'est le cas de le dire a été aussi dénaturée et ébréchée par le comportement incivique de certains de nos compatriotes. Pour plagier un confrère je dirais une " wantoutrisation " à tout bout de champ. Ceci n'aurait été possible que par ces racoleurs impudiques de jeunes en manque d'évasion que sont certains " voyagistes ". Le transport se fait maintenant par bus. Et si un contrôle des flux financiers plus aigu et pointu se faisait sur les registres quand ils existent de ces officines ? Le transfert pour paiement du partenaire tunisien se fait en espèce et se règle dans les terrasses de piscine. Aucune traçabilité. Le contrôle des changes aux frontières doit être plus rigoureux pour les " jockeys " qui sont le plus souvent la famille de l'organisateur de vacances. Aucun suivi n'est assuré par ces offreurs de services. Toute leur essentialité réside dans le gain qui rend la concurrence sans règle déontologique ni savoir faire. On a beau sortir de Vatel, avoir un protecteur puissant, la qualité n'est pas dans la masse des estivants mais dans le tact et au sein de la bonne communication.

Ces agences de voyages banlieusardes d'un algérois donné n'ont plus l'honneur de représenter l'étendard national. Nouveau Millésime ou pas. Ils exportent la plus mauvaise image du pays moyennant quelques sous et au nom d'un tourisme que cache mal un misérabilisme criard.

Je reste tout de même convaincu que la Tunisie qui reste un très beau pays avec un peule valeureux, saura dépasser les convulsions et les vertiges d'une démocratie naissante mais qui ne verra pas le grand jour de si tôt....comme la notre d'ailleurs.