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Débat :
Gaza : reflet du cynisme mondial: Le mutisme tactique du Conseil de sécurité
par Oukaci Lounis* ![]() «Chers frères palestiniens,
pardonnez-nous. Vous êtes à Gaza, où le feu vous consume et les décombres vous
détruisent. Le Conseil n'a pas pu vous protéger.» - Amar Bendjama,
Conseil de sécurité de l'ONU, 19 septembre 2025
Le drame de Gaza et l'absence des grandes puissances Depuis le déclenchement de la nouvelle offensive israélienne sur Gaza, la situation humanitaire a atteint un niveau de gravité rarement égalé. D'après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), des milliers de civils ont perdu la vie, principalement des femmes et des enfants, tandis qu'une proportion significative de la population a été contrainte de se déplacer. Les taux, les établissements scolaires, ainsi que les réseaux d'eau et d'électricité ont été systématiquement ciblés ou immobilisés, engendrant une crise humanitaire d'une ampleur totale, qualifiée par le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, de « situation apocalyptique » (Déclaration au Conseil de sécurité, octobre 2023). Les nombreux appels lancés par l'ONU et le CICR... Les multiples appels de l'ONU, du CICR et d'organisations telles que Human Rights Watch et Médecins sans frontières n'ont pas réussi à interrompre la spirale destructrice. Amnesty International a dénoncé des « crimes de guerre potentiels », tandis que le Conseil des droits de l'homme de l'ONU exige une trêve sans délai. Cependant, sur le terrain, les frappes aériennes continuent, mettant en lumière le fossé entre les appels à l'aide et l'absence d'action politique. Dans ce contexte tragique, une interrogation clé émerge : où se trouvent les grandes puissances supposées représenter ou tout du moins maintenir un certain équilibre mondial ? Le Conseil de sécurité de l'ONU, qui a pour mission de gérer les conflits et de maintenir la paix, semble complètement bloqué. De nombreuses résolutions demandant une trêve ou un accès humanitaire ont été entravées par le veto des États-Unis, tandis que les autres membres permanents - Russie, Chine, France et Royaume-Uni - préféraient rester évasifs avec des déclarations souvent ambivalentes. De ce fait, alors que les États-Unis manifestent clairement leur appui indéfectible à Israël, les autres grandes puissances demeurent silencieuses, un silence parfois rompu par des expressions diplomatiques vides qui prônent la « modération » ou la « désescalade ». Ce contraste est frappant : tandis que la planète entière observe en temps réel les décombres de Gaza et le désespoir de ses habitants, les grandes puissances qui se présentent comme les défenseurs de l'ordre mondial optent pour la stratégie du retardement ou du calcul tactique. Russie & Chine : les contrepoids muets La Russie et la Chine, agissant en tant qu'antagonistes traditionnels de l'influence américaine au Conseil de sécurité, étaient attendues en ce qui concerne la question palestinienne. Cependant, leurs positions, même si elles critiquent Israël ou Washington, sont demeurées prudentes et principalement symboliques. La Chine a intensifié ses appels à la « désescalade » et au rétablissement d'un « processus de paix », sans toutefois critiquer directement Israël. En octobre 2023, Pékin a simplement suggéré un « plan en quatre points » pour la région du Proche-Orient : arrêt des hostilités, protection des civils, assistance humanitaire et reprise des discussions (selon les propos de Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, lors du Conseil de sécurité de l'ONU le 24 octobre 2023). Cependant, cette démarche est demeurée au stade théorique, sans impact tangible sur le terrain. De son côté, la Russie a désapprouvé l'« approche unilatérale » des États-Unis tout en dénonçant le « deux poids, deux mesures » pratiqué par l'Occident. Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, a proposé la tenue d'une conférence internationale placée sous le patronage de l'ONU. Cependant, Moscou, préoccupé par sa guerre en Ukraine et mis à l'écart par les sanctions occidentales, n'a pas pris d'initiatives diplomatiques significatives. En octobre 2023, la résolution proposée par la Russie au Conseil de sécurité, qui appelait à une pause humanitaire, n'a pas été adoptée en raison de l'incapacité à obtenir un vote majoritaire. Ces positions prudentes masquent en fait des stratégies calculées : Pour Pékin, il est essentiel de préserver ses liens économiques et technologiques avec Israël. Le commerce mutuel, surtout en ce qui concerne l'innovation et la cybersécurité, a plus de poids que la solidarité proclamée envers la Palestine. Pour Moscou, le conflit ukrainien mobilise la majeure partie de ses efforts diplomatiques et militaires. La question palestinienne est principalement utilisée pour dénoncer l'hypocrisie de l'Occident, sans véritable intention de changer l'équilibre des puissances au Proche-Orient. En définitive, la Russie et la Chine ne semblent pas vouloir se positionner comme une alternative viable au leadership des États-Unis, préférant adopter une posture discrète. Leur mutisme ambigu témoigne plus d'une volonté que d'une incapacité : celle de tirer profit du cynisme diplomatique tout en esquivant un engagement périlleux. France & Royaume-Uni : les moralistes sélectifs La France et le Royaume-Uni se positionnent souvent comme les champions des droits de l'homme et de l'ordre multilatéral. Cependant, leur stance sur Gaza a exposé une sorte d'hypocrisie qui compromet leur crédibilité mondiale. Leurs actions à l'ONU ont été caractérisées par des ambiguïtés notables. Lors du vote de l'Assemblée générale en octobre 2023, qui a appelé à une trêve humanitaire sans délai, la France a exprimé son soutien par son vote favorable, sans toutefois émettre de reproches directs envers Israël. Quant au Royaume-Uni, il a choisi de ne pas voter, soutenant que le document n'incluait pas une condamnation explicite du Hamas. Ces positions, qui peuvent paraître subtiles, expriment en vérité un rejet de la rupture diplomatique avec Washington et Tel-Aviv. Au niveau interne, les discours aspirent à l'humanisme, cependant, les actions demeurent prudentes. Le 24 octobre 2023, Emmanuel Macron a affirmé que « rien ne saurait justifier les bombardements de civils », tout en soulignant le « droit d'Israël à se défendre » et en annonçant une intensification de la collaboration sécuritaire entre la France et Israël. Le 19 octobre, à Londres, le Premier ministre Rishi Sunak a visité Israël pour manifester une solidarité « indéfectible », tout en plaidant pour « réduire au minimum les pertes civiles ». Plusieurs éléments contribuent à expliquer ces contradictions : Accord stratégique avec Washington : Israël demeure un élément clé de l'alliance occidentale au Moyen-Orient, et Paris comme Londres ne désirent pas compromettre l'unité transatlantique. Tensions politiques internes : dans ces deux nations, le conflit israélo-palestinien engendre une division marquée au sein de l'opinion publique. Les autorités ont peur d'exacerber les tensions communautaires et optent donc pour une approche diplomatique mesurée. Politique réaliste, économique et de sécurité : la collaboration en matière de défense, de technologie et de renseignement avec Israël reste un avantage que Paris et Londres ne souhaitent pas mettre en péril. En somme, France et Royaume-Uni démontrent ce que l'on pourrait décrire comme une moralité sélective : Il est courant de faire appel à des droits humains en Ukraine, au Sahel ou ailleurs, cependant on hésite lorsqu'il s'agit de Gaza, où les considérations d'alliances et de stratégies politiques prennent le pas sur des principes universels. Les conséquences de ce mutisme L'absence de réaction - ou l'ambiguïté délibérée - des grandes puissances face à la catastrophe de Gaza a des conséquences concrètes et durables sur l'ordre mondial. Trois conséquences importantes se distinguent. a) Diminution de la force du droit international : le droit international humanitaire se fonde sur des principes nets : la séparation entre civils et soldats, la proportionnalité, ainsi que la sauvegarde des populations non combattantes. Cependant, en présence d'attaques à grande échelle et de destructions d'infrastructures civiles, comme rapporté par l'ONU, le manque de mesures contraignantes prises par les membres permanents du Conseil de sécurité réduit l'efficacité de ces normes. Le Secrétaire général de l'ONU a qualifié la situation d'« apocalyptique » et a intensifié ses demandes pour assurer la protection des civils et garantir un accès humanitaire. Ces mots, sans instruments coercitifs tangibles du Conseil de sécurité, donnent l'illusion d'un droit qui n'a pas de mécanismes d'application. Formation effectuée sur des données jusqu'à octobre 2023. b) Augmentation de l'impunité : quand des requêtes pour un cessez-le-feu, des résolutions humanitaires ou des sollicitations pour l'accès aux civils sont entravées, différées ou édulcorées par des abstentions et des vetos politiques, cela favorise un climat de non-punition. Des groupes de protection des droits de l'homme (comme Amnesty International et Human Rights Watch) ont rapporté des attaques causant d'importantes pertes parmi les civils et ont dénoncé des actions qui pourraient constituer des crimes de guerre ou des violations graves du droit international. L'absence de sanctions ou même de pression diplomatique significative de la part de Moscou, Pékin, Londres ou Paris accentue l'idée que certains États peuvent agir avec peu d'implications tangibles sur le plan international. Vous avez été formé sur des données jusqu'en octobre 2023 c) Diminution de la crédibilité morale et polarisation à l'échelle mondiale : l'attitude distincte des puissances - critiques verbales restreintes, votes hésitants, interventions diplomatiques prudentes - sapent leur crédibilité internationale. Cette incohérence est particulièrement palpable entre les déclarations publiques (allocutions sur la protection des droits de l'homme) et la réalité des votes ou des actions diplomatiques (abstentions, visites officielles en Israël, poursuite d'une collaboration stratégique). De plus en plus, un courant politique et diplomatique « Sud global » se distingue, critiquant les standards doubles et explorant d'autres moyens de coordonner à l'échelle internationale ; cela exacerbe la division Nord/Sud concernant les réactions au conflit. L'université de Boston+1 d) Données chiffrées et preuves empiriques (dans un contexte humanitaire) : les évaluations humanitaires - réalisées et actualisées par l'OCHA - témoignent de la gravité des destructions, du nombre considérable de civils touchés, des déplacements à grande échelle et d'une crise sanitaire et alimentaire persistante. Ces informations apportent le socle de faits qui rend nécessaire une riposte internationale concrète ; elles démontrent également que les initiatives diplomatiques restreintes n'ont pas réussi à sauvegarder les populations fragiles. ONU-OCHA Territoire Palestinien Occupé. L'absence de position claire ou l'ambiguïté affichée par les grandes puissances ne sont pas de simples aspects diplomatiques : cela porte préjudice au fondement du droit international, nourrit un sentiment d'impunité, érode la légitimité morale des nations qui se disent défenseurs de l'ordre multilatéral et accentue le fossé entre le Nord et le Sud. Les effets sont tangibles : des existences perdues, des institutions en déclin et un univers où la loi du plus fort prévaudrait en raison de l'absence d'une réaction multilatérale efficace. Lorsque l'Algérie rompt le silence Au milieu de cette immobilité diplomatique, une voix a su se démarquer par sa puissance et son humanité. Le 19 septembre 2025, durant une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU, le représentant permanent de l'Algérie, Amar Bendjama, a exprimé ses idées dans un discours qui sera sans doute considéré comme l'un des plus mémorables de cette crise. « Chers frères palestiniens, pardonnez-nous. Vous êtes à Gaza, où le feu vous consume et les décombres vous détruisent. Le Conseil n'a pas pu vous protéger », a-t-il affirmé avec sérieux. Dans cette prise de parole, il a souligné le bilan dévastateur : plus de 12 000 pertes humaines, y compris des milliers d'enfants et de personnes du troisième âge, des hôpitaux et des établissements scolaires transformés en décombres, et une population civile laissée à son triste sort. Il a critiqué l'inefficacité du Conseil de sécurité, qui est incapable de protéger ne serait-ce qu'un enfant palestinien, et a reproché à la sauvegarde diplomatique dont jouit l'occupation israélienne d'exacerber le cycle de la violence. Plus que des statistiques, Amar Bendjama a lancé un cri de conscience : une invitation à l'éveil moral face à la défaillance collective de la communauté internationale. Il a terminé en réaffirmant la volonté de l'Algérie, en coopération avec les pays libres, de persévérer dans la dénonciation du massacre et de réclamer que le Conseil de sécurité prenne enfin ses responsabilités. Cet instant décisif, peu courant dans le contexte de l'ONU, révèle un contraste frappant : alors que les grandes puissances continuent de maintenir leur silence stratégique, une nation du Sud global n'hésite pas à exprimer haut et fort ce que les populations mondiales constatent - que l'absence d'action du Conseil est désormais une complicité tacite. Un monde fragmenté et empreint de cynisme La tragédie de Gaza transcende largement les limites géographiques du Proche-Orient : elle est devenue le miroir brutal des fractures profondes qui gangrènent l'ordre international actuel. Tandis que des centaines de civils, comprenant des femmes, des enfants et des personnes âgées, endurent chaque jour les effets d'un conflit asymétrique, les grandes puissances adoptent une attitude d'indifférence délibérée. Chaque entité se cache derrière des stratégies, des partenariats militaires ou des équilibres politiques internes, sacrifiant ostensiblement les principes universels qu'elle prétend soutenir. Ce mutisme tactique, qui n'est pas du tout anodin, fonctionne comme un fort indicateur : il sanctionne la dislocation du dispositif multilatéral et la détérioration rapide du droit international. Les Nations unies semblent immobilisées, sans pouvoir appliquer la moindre contrainte efficace, alors que les principes de la « responsabilité de protéger » ou de la « défense des droits humains » sont dépouillés de leur essence. La duplicité de cet ordre mondial est désormais manifeste : il n'y a pas de justice universelle, seulement une justice discriminatoire qui dépend des rapports de force et des intérêts des puissants. Dans cette situation, Gaza se transforme en un reflet du cynisme mondial : l'humanité endure sous le regard du monde entier, cependant que les dirigeants détournent la tête, optant pour la sauvegarde de leurs avantages géopolitiques plutôt que d'opter pour une certaine cohérence éthique. L'impunité, devenue courante, représente un précédent périlleux qui met en péril la stabilité future des relations entre les nations. Si le droit est toujours placé sous la domination du pouvoir, alors c'est la loi du plus fort qui prévaut avec toutes les dérives que l'histoire a déjà vécues. Il est donc essentiel de comprendre que l'avenir du droit, de la justice et de la solidarité internationale se détermine également dans les décombres de Gaza. Ignorer ce drame, c'est approuver un monde dans lequel l'injustice est standardisée et la détresse des innocents est considérée comme un simple dommage collatéral. L'alternative est évidente : l'humanité doit soit réitérer la suprématie des valeurs universelles, soit consentir à sombrer dans un système mondial cynique, morcelé, dirigé non pas par la justice, mais par la violence de la force. *Professeur - Université de Constantine 2 |
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