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La gouvernance en «préventive»

par Mohammed ABBOU

Le 4 septembre 2010 le Quotidien d’Oran reprend une information qui a fait le tour des rédactions sur la ville brésilienne de Dourados.

La deuxième ville de l’Etat du Mato Grosso do Sul a perdu tous ses dirigeants élus et hauts fonctionnaires arrêtés, la veille, pour corruption.

Prévenus de fraude dans les marchés publics et de corruption tous les cadres pouvant être en charge de la gestion de la ville furent placés en détention préventive. L’enquête préliminaire a conclu à des poursuites dont l’étendue a paralysé toute l’administration municipale.

Devant la vacance d’autorité, il incomba à la justice de désigner un administrateur provisoire. C’est, évidemment, la pire des déchéances pour une gouvernance locale.

Il s’agit, pourtant, d’une ville importante qui compte prés de deux cent milles habitants et dont l’influence s’étend à trente municipalités voisines. Elle est considérée comme une capitale économique et sociale de la région et est même qualifiée de vestibule du Mercosul.

Son rayonnement atteint le Paraguay voisin, avec lequel trente pour cent de sa population a des liens familiaux. Son université a changé de statut depuis 2006 pour devenir l’Université Fédérale de Grande Dourados et connait une extension de ses capacités d’accueil à onze milles étudiants.

Destination touristique très prisée, elle développe une activité économique, industrielle et agricole, qui anime un espace peuplé d’au moins un million de personnes. La ville dispose, donc, de tous les atouts pour connaitre un essor enviable. Ce tableau flatteur est, toutefois, écorné par le sort fait aux tribus autochtones, les Guaranis Kaiowa, repoussées dans des espaces insuffisants à leur survie et abandonnées à la malnutrition et au manque de soins. Pour cela Dourados est épinglée par des organisations et des associations à travers le monde. Même le représentant de l’U.N.I.C.E.F, dans la région, s’élève contre cet état de fait en déclarant que « l’Amérique Latine produit plus de nourriture par personne que la plupart des autres régions du monde, il est inacceptable que des enfants meurent de faim et de malnutrition ».

L’action pénale vient assombrir la perception extérieure de cette ville et influer négativement sur son attrait économique et les intentions d’investissement. Il est vrai que la corruption est aussi vieille que l’existence humaine. Les nations les plus démocratiques mènent contre elle une lutte ininterrompue depuis très longtemps et ne peuvent la contenir qu’en inscrivant cette lutte dans la durée. Elles doivent améliorer, sans cesse, leur législation, affiner les contrôles, étendre la transparence à tous les actes de gouvernance et promouvoir les contrepoids politiques et médiatiques. Le fléau est d’autant plus dangereux que l’abondance de ressources naturelles lui donne de nouveaux ressorts et que l’aisance financière anesthésie la vigilance institutionnelle.

Dans toutes les situations, son impact est dévastateur sur le bien-être des hommes et l’intégrité des territoires. En prenant connaissance de cette information, il ne peut s’empêcher de penser à sa ville.

Et sans être insensible au malheur des autres, il ressent comme un soulagement de ne pas partager leur sort, bien que la cité qui l’a vu naitre et qui abrite encore ses vieux jours ne réponde plus à ses vœux depuis longtemps. Il la regarde dépérir de jour en jour. Elle a définitivement perdu son charme villageois sans pouvoir prétendre à l’attrait d’une vraie ville. Son vieux quartier se meurt, ses murs sont lézardés et vacillants et les quelques pans, qui résistent encore, sont tristes et décatis. Ses venelles sont sales et défoncées.

Les nouvelles cités dont les bâtiments se serrent les uns contre les autres comme pour empêcher le soleil de pénétrer leur douteuse intimité sont froides et impersonnelles. Seul le centre ville et son extension administrative retiennent l’attention de la municipalité. A chaque renouvellement d’édiles, les rues sont bitumées au point de déborder sur des trottoirs qui sont, pourtant, refaits à la même cadence. L’éclairage public fait l’objet des mêmes soins.

Les façades de la principale rue sont régulièrement blanchies et le jet d’eau toiletté et réactivé à chaque saison. Les autorités locales ont fait de ce seul espace la devanture qui, à chaque visite officielle et dans les moments solennels, sauve la face d’une ville qui n’a plus de visage.

Et comme Dourados, sa Ville se targue de son pôle universitaire, de sa piscine semi - olympique et de son complexe sportif. Elle construit des maisons à ses arts traditionnels, à sa culture et à sa jeunesse. Elle ouvre des voies au bourgs de sa banlieue pour les sortir de l’isolement.

Elle multiplie les opportunités pour tous ceux qui veulent bien « entreprendre » et se satisfait de mesures « d’accompagnement ».  Elle a aussi sa population « Autochtone » , mais celle-ci sans connaître un quelconque abandon a été naturellement noyée dans le nouveau paysage humain dessiné par l’exode et la démographie galopante. La vieille garde conserve cependant une préséance dans la préservation du patrimoine et peut toujours ouvrir un musée aux amis de la ville. Alors, lui, le râleur invétéré, l’eternel insatisfait, avec toujours un reproche en poche, il se doit, après une telle information, de mettre un bémol à son pessimisme. Avec tous ses défauts, sa ville résiste mieux au dépérissement moral qu’au dépérissement physique. Elle peut friser l’irréparable sans y succomber, elle ne peut jamais être ligotée comme Dourados. Un système ingénieux permet à sa municipalité de toujours renaitre de ses cendres. Elle a cette faculté d’exorciser le mal en faisant un sacrifice sur l’autel de la pureté. Elle éjecte le fruit « pourri » et « change » sans se déjuger. Après, tout peut reprendre comme avant dans une « confiance renouvelée » et pourtant ce procédé s’appelle « le retrait de confiance » Apparemment Dourados ne le connaissait pas.