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Le cirque circulaire

par Ahmed Saifi Benziane

Nos universités portent pour la plupart des noms de guerre. Celles qui ne portent pas encore de noms sont réservées à ceux qui vont mourir. Un peu comme nos aéroports.Fait du hasard les deux servent à partir. Les premières par manque de débouchés dans un pays où tout reste à faire, pour peu qu’on se mette à réfléchir en termes de métiers à créer, au lieu de continuer à essayer de créer des emplois, vainement ou alors en étalant la fausseté de chiffres. Les deuxièmes pace qu’ils inspirent le voyage, la fuite, une autre vie, d’autres terres. Cette année aura été celle des restrictions dans le secteur de l’Enseignement Supérieur. D’abord celle touchant les enseignants en embrigadant leurs déplacements à l’étranger, en les soumettant à la présentation d’une tonne de papiers, à l’autorisation administrative de la tutelle et enfin à l’attente d’une réponse, d’un chef du secteur, qui se confond peut-être avec un chef de secteur. Et on veut faire de la Recherche Scientifique en restant en Algérie.

Les Vietnamiens l’ont fait en restant au Vietnam. Mais les Vietnamiens ont développé leur propre géni à partir du peu de moyens dont ils disposaient et ils sont arrivés. Les Vietnamiens n’ont pas été pervertis par les hydrocarbures, par la corruption, par le tribalisme, par le clientélisme, par l’affairisme et par la culture du mépris et de l’échec.

Au départ un enseignant se serait rendu dans un pays pour assister à une rencontre où les participants devaient prendre position pour ce pays et pas forcément contre nous. Il n’a rien dit, n’a rien défendu et l’information étant arrivée par un petit doigt bien placé dans la salle, s’est traduite par une enquête, puis par une circulaire. Une circulaire c’est sérieux, mais risque d’empêcher l’intelligence de circuler. C’est ce à quoi nous risquons d’assister au moment même où on a commencé à mettre beaucoup d’argent dans la Recherche. Et pour ne pas faire de jaloux une autre circulaire vient d’être mise en circulation, à l’aimable attention des étudiants titulaires du baccalauréat algérien, tentés de poursuivre des études à l’étranger. Non contents d’économiser des places pédagogiques et à la charge entière des parents, la circulaire précise que les étudiants qui se rendent à l’étranger ne peuvent s’inscrire en Algérie qu’à certaines conditions, dont la conformité avec les dispositions de l’année d’obtention du bac. Ce charabia veut dire « ne revenez surtout pas et laissez nous grossir le nombre des cerveaux qui fuient ». C’est bon pour les statistiques et cela donne une raison supplémentaire pour pleurer les partants d’un œil, pendant que l’autre œil cligne pour leur indiquer des chemins sans retour. En fait, là aussi il y a une origine.

A l’origine, des étudiants n’ayant pas la moyenne requise pour étudier la médecine particulièrement, se rendaient ailleurs sous des cieux moins gris que les nôtres et revenaient contre équivalence continuer leurs études en Algérie. C’est une autre circulaire datant de 90 qui permettait cela. Et si nous faisons preuve de déduction, on peut bien en déduire qu’un bachelier avec une faible moyenne qui réussit à s’inscrire dans une Université étrangère, aussi prestigieuse soit-elle et qu’il termine son année parmi les meilleurs, peut se voir refuser l’accès à l’un de nos prestigieux établissements supérieurs. En définitive des enseignants qui partent de moins en moins s’oxygéner, pour découvrir leurs limites et des étudiants admis à l’étranger qui ne reviennent pas ou dont on juge l’équivalence avec notre niveau impossible, permet de dresser le tableau de demain. Pourtant lorsqu’on suit la rapidité avec laquelle les étudiants en provenance d’Egypte ont été régularisés malgré le doute qui planait sur leurs niveaux, il ya de quoi se poser de sérieuses question quant à la cohérence des actions du gouvernement tout entier. Lorsqu’on sait dans quelles conditions les résultats le bac 2010 ont été minutieusement préparées pour barrer la route aux grévistes et rendre leurs actions caduques, la boucle est bouclée. On fait de la politique de tous petits pas dans un secteur qui nécessite des enjambées pour rattraper un retard du reste inexplicable. Et même si nos Université pour la plupart portent des noms de guerre, nous ne sommes pas forcément obligés à faire la guerre aux étudiants et aux enseignants continuellement comme s’il s’agissait des seuls ennemis de ce pays. Les vrais ennemis sont fortement identifiés et portent pour nom sous-développement, ignorance, mauvaises gouvernance et manque d’alternance au pouvoir. Ils portent pour nom manque de visibilité et cécité à diriger un pays aussi grand qu’un continent en genre et en nombre.