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Le Roi-livre : entre palais et chapiteau

par Fayçal Houma*

Depuis la nuit des temps, le Roi a toujours été une personnalité de choix et de poids social et politique considérable, bien gardée et très bien respectée.

Il a à sa disposition tout un monde formé de son trône et de sa couronne, palais et nombreux valets, hommes de main et génération de demain, pour tout tenter, et grands serviteurs pour de tout décider. Cela est valable aujourd’hui comme demain et peut-être même plus lors de ces lointains lendemains, juste pour appuyer les règnes d’une dynastie qui coule dans le faste et se prélasse dans l’opulence d’une race de seigneurs dont le plus érudit parmi leur progéniture prend la relève d’une lignée de famille, bien souvent le père tout indiqué. Dans certains royaumes de pays arabes, le roi, c’est d’abord la loi: dans toute sa teneur et dans toute l’étendue de sa rigueur, dans ses nombreux ses attributs et dans ses différents substituts, dans ses exceptions et transgressions connues mais jamais reconnues par ces souverains, éternels gouverneurs. Et si Shakespeare a su élever le livre au rang et prestige du Roi, c’est qu’il doit bien avoir ses raisons, bien méconnues celles-là par tout un monde qui se tient à l’écart de la littérature. En le hissant très haut sur la plus élevée marche du podium, il lui a tout simplement adjoint ce qualificatif et adjectif de choix du Roi pour l’appeler ainsi, et tout simplement : « le Roi-livre ». Quel titre pour quelle signification pour un monde sous-développé dont la préférence va d’abord vers son alimentation ?

A vrai dire, le livre est tellement précieux qu’il survit à son auteur, se détache de son point d’attache pour voyager très loin de la maison, traverser des mers et des océans, grimper des chaines de montagnes et courir les déserts les plus rudes et les plus hantés de l’humanité, distillant son merveilleux savoir et répandant à outrance et à l’horizon ses innombrables connaissances sur une simple consultation de ses nombreux feuillets très fins et bien douillets. Il est plus côté que les lingots d’argents et les parures dorées, les plus chers et les plus prisés. Sa valeur, au demeurant inestimable, le place tout seul sur notre table de chevet, sujet à être continuellement, de jour comme de nuit, ausculté, consulté, trituré, tourné, retourné, fouillé et fouiné pour être sur tous les plans décortiqué à cause de sa grande utilité et abondante fertilité. A l’inverse des autres objets d’art ou titres précieux, il n’est jamais coffré. Ni chez l’argentier du pays, ni chez le bijoutier du coin. Et même s’il est parfois soigneusement rangé dans son antre parmi les siens, il n’est lui-même jamais dérangé par ce léger recul à prendre sur votre vie quotidienne. Il sait pertinemment que ça ne le sera que pour un temps : le temps de revenir en force au devant de la scène, vite et au galop pour faire de nouveau l’actualité.

Et ce « Roi-livre » qui n’a jamais, au grand jamais, accepté d’être coffré, acceptera-t-il encore de vivre pour un moment de sa vie à l’intérieur d’une tente de fortune, montée à la hâte, tel un nomade qui fait intrusion sur l’esplanade du stade du 5 juillet, encore dépaysé par ce monde de 2010 qui refuse de le consulter ? De lui tendre cette main innocente du savoir qui aura tout à gagner de lui ? Vivre sous une tente, de laine surtout aux couleurs «nailies», faite de rouge et de noir, n’a jamais constitué un quelconque complexe pour un Algérien bien-né.       Mais cela reste-t-il valable lorsqu’on a affaire à un Roi ? Mais quel Roi ! Celui du savoir qu’on foule au pied pour lui faire changer de maison et de cadre d’expression ! Et même si un président d’un pays frère a cette manie de déranger tout son monde pour vivre sous sa tente lors qu’il est en déplacement sur le vieux continent, le souverain en question n’a pas la qualité de Roi, d’où l’inutilité de la comparaison.

Faire descendre le « Roi-livre » de son piédestal et somptueux palais royal pou lui proposer en échange une modeste tente de « l’infortune littéraire », force est de reconnaitre qu’il n’y a que les mauvaises consciences littéraires qui peuvent le faire, détruisant à jamais l’apport du livre dans notre vie sociétale, déjà peu reluisante ces derniers temps. S’entêter à faire déménager le « Roi-livre » de son environnement et cadre vital et naturel, revient à dénier à la lecture publique ses valeurs et vertus cardinales. C’est aussi tuer à jamais le peu de crédit qui reste encore à la littérature dans un pays qui a définitivement tourné le dos au savoir, préférant à celui-ci les nombreux risques de la mer. Commencer par dépouiller le « Roi-livre » de son environnement de choix, de ses inévitables atours et atouts propres à notre culture ancestrale et civilisation la plus ancienne n’est certainement pas un acte dénué de toute visée intéressée par ce curieux transfert, au regard des nombreuses incommodités que cela engendre pour le nombreux public et les exposants étrangers et nationaux pour porter un coup dur à l’image de la culture que véhicule son impact sur le pays et à l’étranger via cette importante manifestation culturelle internationale.

L’interdiction faite aux livres Egyptiens de franchir nos frontières sur fond de polémique footballistique où le foot, objet de toutes ces convoitises et querelles entre frères ainés et frères cadets a déjà repris ses shows et ses droits absolus, n’est pas de nature à faire avancer la culture générale de notre jeunesse dont l’acquisition du savoir se trouve être cautionnée sur l’autel d’un jeu qui polarise plus l’intérêt de nos enfants que ne le fait le livre éducatif, pourtant à la base de la construction de la personnalité de tout être humain de demain. Par conséquent, les œuvres grandioses de Taha Hussein, Mohamed Abdou, Ahmed Chawki, El Akkad et autres valeurs sures de l’Orient et vedettes littéraires qu’il est difficile de toutes les énumérer…ne visiteront désormais plus l’Algérie en 2010. Ce sont les organisateurs du 15ème SILA qui viennent de le décider. Ce sera désormais ainsi. Ils l’ont fait pour nous et sans nous, éditeurs, lecteurs et auteurs, cédant à une simple question de mauvaise humeur. Peut-être de bonne foi, pour punir un pays frère et tous les lecteurs algériens ! Un pays frère –convenons-nous tout de même de l’appeler ainsi par respect envers l’histoire- contre lequel aucun Algérien n’est jamais parti en guerre. Et si le trop facile expédiant ou argumentaire de la guerre venait de nouveau à être évoqué ou astucieusement invoqué, la France avec ses Voltaire, Molière, Baudelaire, Hugo, Rousseau, Malraux, Balzac, Mauriac, Sénac, Dumas, Sartre, Gide, et … Albert Camus (Ah ! Encore ce malheureux Camus, cette fois-ci cité comme acteur et auteur de l’autre côté de la Méditerranée !?), n’auront plus droit d’être cités en Algérie !Plus grave encore, nos plumes d’antan ne sont plus présentes aujourd’hui sur le terrain du combat et de vérité pour suppléer dans leur tache les premiers et prendre le relais des seconds depuis que Feraoun, Mammeri, Haddad, Kateb Yacine, Dib et… tout récemment Djaghloul et Ouattar ont quitté à jamais ce bas-monde.

Lorsque notre propre conception restreinte et interprétation erronée ou farfelue de l’histoire nous rattrape jusque dans nos projets culturels d’envergure internationale, il n’est plus question d’aborder alors un quelconque avenir intellectuel et littéraire pour nos jeunes générations à concevoir dans leur nation et patrie sous l’angle de son universalité culturelle. Avec nos malheureuses et non moins inconscientes manœuvres d’aujourd’hui et d’antan, restées toujours les mêmes malgré l’avancée des sciences et la liberté des consciences des gens lettrés et sensés, le livre, roi des idées géniales, aura de lui-même déserté nos étals.

Il aura tout simplement fui de son propre gré nos médiocrités, transformées en ses propres misères et démons qu’il ne peut plus trop longtemps encore les supporter. Se pencher studieusement sur son livre est désormais une pratique du passé. Dépassée… !!! Et pour ne pas trop s’ennuyer, nos jeunes préfèrent au livre le foot, l’Internet ou la télé. Le 15ème SILA l’aura-t-il deviné à ses dépens en commençant par dégarnir ses vitrines et interdire l’exposition de titres d’éditeurs tout indiqués ?

Tout porte à croire que nous manquons fondamentalement de culture dans nos actions et autres projets d’envergure internationale. De lumière dans nos idées, et nos yeux sont toujours embués de haine et de rancœur contre ceux-là même que l’histoire a déjà condamnés. Délaissant à jamais cette culture du savoir juste et durable, en particulier !

Le livre n’est-il pas, en fait, chez nous ce malvenu dont personne, à présent, n’en veut? Le « Roi-livre » de Shakespeare ne serait-il pas, en définitive, qu’un pauvre Monsieur Algérien ?

Lorsque l’on quitte son palais royal pour une modeste tente ou un vulgaire chapiteau, c’est vrai, on part quelque part à l’aventure. Incontestablement on n’est plus le roi, quoi ? Notre génie n’inspire plus notre monde alentour ! Et celui de demain nous fuit déjà… ! Quelle misère culturelle déjà, ce 15ème SILA ?

(*) Fayçal Houma ; éditeur et auteur ; vice-président du SNEL