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MEXICO ? Malgré
les problèmes bien connus liés à l'utilisation du produit intérieur brut comme
indicateur du développement humain, les responsables politiques du monde entier
semblent toujours obsédés par cet indicateur. Les gouvernements cherchent à promouvoir
la croissance du PIB par tous les moyens, souvent indépendamment des
conséquences plus larges pour la planète ou de la distribution des récompenses.
L'accent mis actuellement sur la croissance trimestrielle reflète une
perspective à court terme particulièrement malsaine. Et pourtant, le Fonds
monétaire international et d'autres organisations multilatérales font référence
au PIB dans toutes les évaluations de performance économique et en font le seul
point central de leurs prévisions.
Mais le concept du PIB laisse vraiment à désirer. Les chiffres agrégés ou par habitant ne tiennent évidemment aucun compte de la répartition des revenus et le PIB est de plus en plus incapable de mesurer la qualité de vie ou la durabilité d'un système particulier de production, de distribution et de consommation. En outre, le PIB de la plupart des pays ne capturant que les transactions du marché, il exclut une quantité importante de biens et de services produits pour la consommation personnelle ou domestique. En faisant de la tarification du marché le principal déterminant de la valeur, quelle que soit la valeur sociale de toute activité, le PIB sous-évalue massivement ce que beaucoup reconnaissent aujourd'hui (surtout à la lumière de la pandémie de COVID-19) comme des services essentiels liés au secteur des services à la personne. En conséquence, le PIB surévalue les activités, biens et services dont le prix est plus élevé en raison de la structure oligopolistique des marchés ? les services financiers en sont un exemple particulièrement éloquent. L'obsession de la croissance économique, indépendante des autres indicateurs de bien-être, conduit à des évaluations problématiques de la performance réelle des économies et à de mauvaises décisions ainsi qu'à de mauvais résultats politiques. C'est pourquoi il y a maintenant beaucoup plus de discussions au sein de l'ONU et de sa Commission de la statistique sur ce qui viendra succéder au PIB. Le Secrétaire général de l'ONU António Guterres a souligné à plusieurs reprises que le PIB n'est plus la bonne méthode de mesure de la « richesse » et affirme qu'il est « temps de s'engager collectivement à utiliser des mesures complémentaires ». Ce défi a été relevé par le Conseil consultatif de haut niveau sur les affaires économiques et sociales de l'ONU (dont je suis membre), qui a récemment publié un compendium qui examine six grandes questions pertinentes pour parvenir à une reprise juste et durable. Une recommandation importante consiste à suggérer des alternatives au PIB que les décideurs nationaux et les organisations internationales doivent suivre régulièrement. L'idée consiste à fournir un tableau de bord qui permette de capturer certaines variables socio-économiques clés que les décideurs doivent surveiller et qui doivent être utilisées pour évaluer leurs performances. Quelles sont ces mesures alternatives ? L'une est un indicateur du marché du travail : le salaire médian multiplié par le taux d'emploi. Le salaire médian est un meilleur indicateur de la situation de la plupart des travailleurs que le salaire moyen, qui peut être trop influencé par une rémunération élevée au sommet. En outre, le taux d'emploi est un indicateur utile non seulement quant à l'état de la demande sur le marché du travail, mais également quant à l'ampleur du travail non rémunéré généralement effectué par les femmes (étant donné que plus leur implication dans ce travail est importante, moins elles sont susceptibles d'être en mesure de s'engager dans un emploi rémunéré). Aux États-Unis et au Royaume-Uni, par exemple, mes estimations suggèrent que le PIB par habitant a nettement surpassé l'indicateur du marché du travail entre 2009 et 2020, avec un écart grandissant entre les deux. En Inde, les deux mesures ont en fait évolué dans des directions différentes, avec une baisse de l'indicateur du marché du travail, alors même que le PIB par habitant augmentait. Une autre mesure alternative est la proportion de la population qui a les moyens de se procurer une alimentation nutritive (selon la définition de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture - FAO). Cet indicateur est susceptible de devenir encore plus important à mesure que s'aggrave la crise alimentaire mondiale et il n'évolue pas nécessairement en phase avec la pauvreté de revenu. En Inde, par exemple, 71 % de la population n'a pas les moyens de se procurer une alimentation nutritive, tandis que les estimations officielles de pauvreté du gouvernement et de la Banque mondiale vont de 13 % à 22 %. La troisième mesure est un indicateur du budget-temps, ventilé par sexe. Cela est particulièrement utile pour saisir l'incidence du travail de prestation soins non rémunéré, qui est encore en grande partie exécuté par les femmes. Cette mesure montre la répartition du temps entre le travail rémunéré, le travail non rémunéré et les loisirs personnels et relationnels. De nombreux pays entreprennent à présent des enquêtes sur le budget-temps. Ces enquêtes doivent être menées régulièrement partout et les ressources financières et techniques nécessaires doivent être fournies aux pays qui en ont besoin. L'analyse comparative entre sexes des données sur le budget-temps est essentielle pour comprendre les conditions sociales et matérielles des gens. Elle montre dans quelle mesure les gens font l'expérience de la pénurie de temps, qui est beaucoup plus répandue parmi les femmes et les pauvres. Les indicateurs de budget-temps révèlent également la mesure dans laquelle les personnes fournissent du travail non rémunéré à la société, en particulier les services de soins qui sont autrement non reconnus et non valorisés. Un quatrième indicateur crucial, essentiel pour faire face aux changements climatiques en cours et à leurs implications, est celui des émissions de dioxyde de carbone par habitant. Bien que cette mesure ne tienne pas compte de tous les effets environnementaux de l'activité humaine, l'empreinte carbone (mesurée en termes de consommation totale et non de production) peut suivre de près d'autres indicateurs environnementaux, notamment ceux qui mesurent la pollution et la dégradation de la nature. Dans ce cas, les décideurs doivent également prêter attention à l'équité distributive. Le rapport entre les 10 % des plus gros émetteurs de CO2 par habitant et ceux de la moitié inférieure de la population a augmenté dans la plupart des pays. Fait plus frappant encore, les émissions de CO2 par habitant des 1 % des plus riches de la population mondiale ont augmenté de façon spectaculaire et devraient maintenant être 30 fois supérieures au niveau compatible avec la limitation du réchauffement planétaire à 1,5° Celsius d'ici 2030. Si tous les pays suivaient régulièrement ces quatre indicateurs, nous aurions une perception très différente de la performance économique comparée, par rapport à celle qui émerge des mesures simplistes du PIB par habitant ou du PIB global. Et la sensibilisation du public à cette perception révisée de la réalité pourrait bien mobiliser le soutien en faveur de différentes politiques fondamentales, aussi bien au niveau national qu'international. *Professeur d'économie à l'Université Massachusetts Amherst - Membre du Conseil consultatif de haut niveau du Secrétaire général de l'ONU sur un multilatéralisme efficace. |
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