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6.000 blessés chaque année : le prix explosif du Mawlid !

par Cherif Ali*

Chez nous, c'est dans le brouhaha et le lancement de pétards qu'on célèbre, plusieurs jours à l'avance, le Mawlid Ennabaoui, avec tout ce que cela implique comme risques et désagréments sur les personnes et les biens !

Chaque année, ce ne sont pas moins de 6.000 personnes, en majorité des enfants, qui sont transférées aux urgences des hôpitaux, victimes de brûlures, de traumatismes auditifs, de lésions oculaires ou encore d'amputations irréversibles. Certains garderont toute leur vie des séquelles, parfois lourdes, devenant handicapés à cause d'un simple pétard manipulé par jeu.

Le professeur Khiati et beaucoup d'autres intellectuels sensibilisés sur les risques découlant de l'utilisation des pétards et autres jeux pyrotechniques, en principe interdits d'entrée sur le territoire national, n'ont eu de cesse d'interpeller les autorités compétentes à l'effet de prendre toutes les mesures de sauvegarde de la population et de ses biens. En vain !

Craignant le pire en cette année 2025, la fête étant prévue ce vendredi, les mêmes lanceurs d'alerte ont déploré la mise sur le marché de produits de plus en plus nocifs.

Outre leur dangerosité directe, ces pétards et autres feux d'artifice peuvent causer d'énormes dégâts matériels sur les habitations. L'année passée, des stocks gigantesques ont été découverts dans un local de la basse Casbah d'Alger, grâce à la police qui agissait suite à un appel citoyen. On n'ose pas imaginer l'ampleur du désastre si de tels produits venaient à s'enflammer et exploser en pleine concentration urbaine, comme cela s'est produit en Chine, où une ville entière a sauté, causant la mort de milliers de personnes.

Une hémorragie financière pour l'État

Au-delà des drames humains, le coût pour la collectivité est considérable :

1. Chaque blessé admis aux urgences nécessite une prise en charge médicale lourde : soins intensifs, opérations chirurgicales, greffes de peau, prothèses pour les amputés, sans oublier les longues séances de rééducation.

2. Les hôpitaux, déjà sous tension, voient leurs services saturés par ces accidents évitables, mobilisant médecins, infirmiers et ambulanciers.

3. À cela s'ajoutent les dépenses indirectes : pensions d'invalidité pour les victimes devenues handicapées, indemnités sociales, arrêts de travail, sans compter la mobilisation massive de la Protection civile et des forces de sécurité.

4. Au final, ce sont des milliards de dinars qui s'évaporent chaque année, alors que ces ressources pourraient être investies dans l'éducation, la santé préventive ou les infrastructures publiques.

Une menace sécuritaire en embuscade

Les risques sur la santé publique causés par les pétards, tout le monde les connaît. Certains,pourtant, s'interrogent même sur la composition chimique de ces produits, introduits frauduleusement, allant jusqu'à évoquer la présence de substances nocives ou de fumigènes contaminés.

Les experts en sécurité publique tirent aussi la sonnette d'alarme : dans un contexte où le terrorisme reste aux aguets, l'ambiance explosive créée par les fêtards du Mawlid Ennabaoui pourrait être exploitée pour frapper. Bien sûr, les forces de sécurité veillent au grain !

Il n'empêche que l'on reste incrédule devant l'énormité des stocks exposés et écoulés partout dans le pays.

Pendant que les familles vivent dans l'angoisse, certains « compatriotes » se frottent les mains à l'idée des fortunes qu'ils vont amasser !

Les marchandises atteignent parfois 300 à 600 millions de centimes, sans parler des profits faramineux des barons du secteur. Tahar Boulenouar, SG de l'Union des Artisans et Commerçants Algériens, a révélé que les vendeurs brassent environ 300 % de bénéfices nets et que les importateurs se targuent de réaliser près de 10 milliards de dinars. Une véritable économie souterraine !

Quand la loi assimile les pétards aux armes

Le gouvernement, conscient de la gravité du phénomène, a rappelé que l'importation de produits pyrotechniques est passible des mêmes sanctions que celle des armes, munitions et explosifs. L'article 33 de la loi de finances prévoit une amende égale à deux fois la valeur des marchandises confisquées et une peine allant jusqu'à 5 ans de prison. Mais encore faut-il appliquer ladite loi avec rigueur et éradiquer ce marché noir florissant.

En attendant, les autorités se contentent de communiqués, comme celui du ministère de la Santé, appelant les parents à surveiller leurs enfants et à se montrer responsables. Mais cela suffit-il ? La question reste posée.

Et, une fois n'est pas coutume, puisse ce Mawlid Ennabaoui être enfin célébré dans la foi, la piété et la sérénité, loin des flammes, des hurlements de sirènes et des salles d'urgence bondées.

Au final, le Mawlid Ennabaoui devrait être un moment de recueillement, de ferveur et de spiritualité, une fête qui rassemble les familles autour de la mémoire du Prophète (QSSL) et qui inspire sérénité et solidarité.

Or, depuis plusieurs années, cette célébration religieuse est dévoyée par une déferlante de pétards et d'explosifs qui sèment la panique, détruisent des vies et grèvent lourdement les finances publiques.

Le bilan humain est accablant : des milliers de blessés chaque année, des enfants mutilés à vie, des familles brisées.

Le bilan économique l'est tout autant : des milliards de dinars engloutis dans les soins d'urgence, les prothèses, la rééducation et les pensions d'invalidité, sans compter la mobilisation colossale des pompiers, médecins et forces de sécurité.

Tout cela pour satisfaire un marché noir qui prospère dans l'illégalité et fait la fortune d'une poignée de trafiquants.

Il est donc urgent que les pouvoirs publics passent des discours aux actes, en appliquant strictement la loi et en tarissant les réseaux d'importation et de distribution. Mais au-delà de la répression, c'est toute une prise de conscience collective qui doit émerger : celle des parents, appelés à protéger leurs enfants ; celle des commerçants, qui doivent cesser de nourrir cette spirale destructrice ; et celle des citoyens, qui doivent replacer cette fête sous le signe de la foi et de la piété, loin des flammes et des artifices.

Que ce Mawlid 2025 ne soit pas, une fois encore, marqué par le bruit des sirènes et les cris de douleur dans les couloirs des hôpitaux, mais par la sérénité des cœurs, la lumière de la foi et la paix partagée dans nos foyers.

*Ancien Cadre Supérieur de l'Etat