![]() ![]() ![]() La réforme du dinar, clef de voûte de la transformation de l'économie algérienne
par Ali Benouari* ![]() J'ai
longtemps hésité sur le titre de cette contribution. Le titre initial était : «
Pour une grande réforme monétaire, fiscale et financière et douanière ». Ce
changement de titre n'est pas dicté par le souci d'accrocher l'attention du
lecteur par un thème qui fait l'actualité, mais par le souci de trouver un
trait commun à toutes les réformes qui touchent à la sphère financière. Toutes
ces réformes sont à l'évidence liées, mais celle de la monnaie a la particularité
de constituer la trame d'un grand enjeu, celui des libertés en général et de la
liberté d'entreprendre en particulier. C'est cette préoccupation qui a inspiré
mon étude en dix chapitres, publiée par le quotidien El Watan,
les 24 et 25 décembre 2005, sous le titre « plaidoyer pour une convertibilité
totale du dinar ».
Après sa parution, Ahmed Ouyahia, alors Premier Ministre, avait interdit tout débat public sur le sujet, lors d'une très étrange intervention à la télévision algérienne. Pour quelle raison ? Peut-être était-ce l'évocation de ce rôle particulier de la monnaie, brillamment souligné par le célèbre économiste Jacques Rueff (auteur de la réforme du franc français en 1960), dans son célèbre essai « l'âge de l'inflation» ? je lui ai emprunté en effet ces deux citations : « Enchaîner l'homme, c'est enchaîner sa monnaie, enchainer la monnaie, c'est enchainer l'homme », et « aujourd'hui plus que par le passé, le sort de l'homme se joue sur la monnaie ». Comment lui donner tort, quand on voit aujourd'hui à quel point la puissance hégémonique des États-Unis se confond avec celle de leur monnaie et les immenses efforts déployés par les pays des BRICS pour trouver une monnaie commune, afin de briser cette hégémonie ? Comme Jacques Rueff, j'exprimai l'idée générale qu'une économie libérale a besoin d'une liberté de change, laquelle est consubstantielle aux libertés en général, comme le montrent les exemples des pays (Allemagne, Japon, Italie) qui ont procédé à des émissions de monnaie sans limites, avant et pendant la seconde guerre mondiale, provoquant une inflation ruineuse dont leurs unités monétaires ont gardé longtemps la trace. Comme des stigmates de leur inflation passée, associée à leur passé totalitaire. L'euro a effacé ces traces pour l'Allemagne et l'Italie. Le japon a gardé ses deux chiffres de plus. J'ai ajouté, depuis, les dimensions qui manquaient à cette première étude, notamment la dimension fiscale. Ainsi encadrée, et complétée par des instruments et mécanismes appropriés, propres à l'économie de marché, la libération complète de change pourrait aider à libérer les formidables énergies qui sommeillent, à réveiller ce « géant endormi », comme certains ont qualifié l'Algérie. Notre pays est en effet entré dans l'économie de marché en 1990 avec les anciens outils et mécanismes de l'économie administrée. Des efforts ont été faits, mais bien insuffisants pour produire une économie moderne, productive, concurrentielle et transparente. 2 - Les outils de gestion à disposition sont inopérants pour traiter une réalité qui s'est complexifiée. Ces outils sont devenus une entrave à la liberté d'entreprendre. Ils n'ont pas réussi à juguler le développement de l'économie souterraine, qui freine l'efficacité des politiques publiques, notamment aux niveaux de l''encouragement des investissements et de la création d'emplois. Une économie souterraine qui crée, par ailleurs, de nombreuses distorsions dans l'allocation des ressources financières et une corruption qui gangrène les institutions. L'inclusion de notre pays dans la liste grise du GAFI en Octobre 2024 et sa mise « sous surveillance renforcée », la faiblesse persistante des prix pétroliers, la guerre des tarifs douaniers menée par les USA, les pressions de l'Union européenne sonnent comme autant de menaces à prendre au sérieux. Plus que les déficits financiers qui s'accumulent de nouveau, c'est le retard que nous mettons à corriger les déséquilibres structurels de notre économie qui constitue le véritable danger. Ce retard, peu d'Algériens sont conscients de sa véritable signification. Il ne suffit plus d'afficher quelques réalisations ici ou là, même si elles sont à saluer, ou d'afficher une bonne santé financière quand les prix du pétrole s'envolent. Le retard à réformer l'économie nationale nous coûte plus cher que les déficits financiers du moment. Il se traduit par une érosion lente mais cumulative de notre compétitivité globale par rapport aux autres pays émergents. Cette perte de compétitivité, dans un monde globalisé, risque de nous déclasser définitivement, si ne sont pas exploitées à temps les ressources humaines existantes, menacées d'obsolescence, et si ne sont pas réalisés tout de suite des investissements massifs dans l'industrie, la recherche scientifique et l'économie de la connaissance. Il pose le problème des réformes de structure, qui est si ancien qu'on a fini par en oublier les sens. Certains avancent, pour expliquer ou justifier l'immobilisme, qu'il faut d'abord effectuer des réformes politiques. Mais le pays ne peut pas attendre indéfiniment la survenance de celle-ci. Le temps presse. La prise de conscience de l'urgence de ce « front économique » pourrait pourtant suffire à produire une volonté politique pour créer une dynamique positive. Parmi les réformes économiques urgentes, il y a justement la réforme de la monnaie, clé de voute de toutes les réformes économiques. DES PROBLEMATIQUES MULTIPLES ET COMPLEXES Les « lacunes stratégiques » et les « vulnérabilités » mentionnées opportunément dans le dernier rapport du GAFI renvoient immanquablement à des dysfonctionnements qui, à y regarder de près, ont leur origine dans les défaillances de notre système financier, au sens large. Qu'il s'agisse de la monnaie, de la fiscalité ou de l'intermédiation financière, tout concourt à alimenter une économie souterraine qui croît de manière tentaculaire. Autant de secteurs à réformer, dans une direction qui ne doit laisser place à aucun doute : celle des règles de l'économie de marché, avec comme seuls garde-fous, la protection de l'économie nationale dans sa phase de construction et celle des classes moyennes et des couches sociales défavorisées. 3- Les lacunes et problématiques qui sous-tendent ces vulnérabilités sont au nombre de quatre et touchent aux domaines monétaire, financier, fiscal et douanier. Soit autant de secteurs à réformer. La problématique de l'économie informelle et son lien avec le blanchiment d'argent Cette économie informelle représente 30 à 40% de notre PIB et 75% du PIB hors hydrocarbures et hors agriculture. Une grande partie de la circulation fiduciaire (billets de banque en circulation) qui est évaluée à 9'000 milliards de dinars, circule dans l'informel. Elle affecte la liquidité des banques, lesquelles se retrouvent privées d'une « base monétaire » suffisante pour financer les investissements. Leurs maigres ressources sont aspirées par les besoins du Trésor public. La persistance de cette situation nuit au processus d'inclusion bancaire entamé. La finance islamique, envisagée comme la solution idoine, n'a pas donné les résultats espérés. Pas plus que la numérisation des moyens de paiements qui rencontre de fortes résistances. Les revenus gagnés dans les marchés parallèles chercheront en effet toutes les voies pour se blanchir, dans l'achat de biens immobiliers et dans les services, ou dans l'achat de devises qui seront logées dans les comptes devises ouverts auprès des banques. La lutte contre les marches parallèles et leurs innombrables travers, tels que la corruption, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, ne peut être menée uniquement par des moyens répressifs, quels que soient les moyens de contrôle mis en place. Elle ne peut aboutir que si on en tarit les sources institutionnelles. Cela pour ne pas l'avoir compris que notre pays s'est de nouveau retrouvé inclus dans la liste grise du GAFI, après en être sorti en 2016. La problématique du marché parallèle des devises et son lien avec l'économie informelle et le blanchiment d'argent. Les origines de ce marché parallèle remontent à la première grande crise pétrolière de 1986-87 qui avait considérablement amoindri les ressources en devises du pays. Cette crise a révélé l'inadéquation entre le taux de change officiel et le pouvoir d'achat réel des citoyens. Pour pallier au manque de devises, notre ministre des finances, Boualem Benhamouda, avait pris en 1985 une instruction, largement méconnue, qui autorisait les algériens résidents à ouvrir des comptes en devises, les banques étant instruites, dans la foulée, à ne pas demander l'origine des devises alimentant ces comptes. Une innovation d'une audace spectaculaire, d'autant qu'au même moment, dans des pays aussi développés que la France, les comptes en devises étrangères étaient interdits aux nationaux résidents. Cette instruction n'a jamais été annulée. La Banque d'Algérie, devenue indépendante du ministère des finances en 1990, l'a entérinée dans ses règlements. Il faut reconnaître que le succès a été au rendez-vous puisqu'à fin 2024, les montants déposés auprès des banques locales n'a pas cessé de croître, alimentant le marché parallèle des devises, qui nourrit autant qu'il se nourrit du marché noir des biens et des services, notre économie étant largement ouverte sur l'étranger. 4- Les devises objets des échanges ou sont logées dans des comptes devises ouverts auprès des banques nationales (6,6 milliards de dollars à fin 2024, selon les données de la banquedAlgérie) ou sont stockées chez les particuliers (montant difficile à estimer). La préférence pour les devises s'explique par divers facteurs, allant de la protection contre l'inflation à la recherche de super profits via la contrebande des produits importés, qui viennent couvrir la demande locale non satisfaite par les importations officielles. A mesure que la demande en ces produits augmente, l'écart se creuse entre le taux officiel et le taux parallèle des devises, atteignant aujourd'hui un record historique (80%). Cet écart contribue à détourner les recettes en devises en provenance de l'étranger vers le secteur informel. A titre d'illustration, le poids des transferts en devises des émigrés par rapport au PIB et aux revenus en devises a été, respectivement de 10% du PIB et 44% au Maroc, 7% et 7% en Tunisie, contre 0,7% et 3,8% en Algérie. De façon plus parlante, les transferts officiels des émigrés marocains ont atteint 11,8 milliards de dollars en 2023, soit dix fois supérieurs à ceux de l'Algérie. On n'a jamais su comment réduire l'écart entre les deux marchés, d'autant que les dévaluations officielles intervenues depuis près de quatre décennies n'ont eu pour effet que de pousser le taux parallèle dans la même direction. Comme une ombre portée. Ce qui montre à l'évidence que le problème est ailleurs. L'échec à unifier les taux provient de ce qu'on n'a pas assez étudié les causes du phénomène. Une fiscalité inadaptée ? une réglementation de change trop rigide ? Une production locale insuffisante au regard d'une demande dopée par les subventions ? Une gestion trop administrative du taux de change du dinar ? En fait, tout cela à la fois, ce qui plaide pour une réponse globale et cohérente du problème. Les acheteurs de devises au « noir » ont toujours considéré le marché parallèle comme un substitut au marché officiel qui leur est fermé. Les importations parallèles se font sans paiement de droits de douanes, impôts et taxes diverses. Outre l'apport des émigrés, une autre source vient alimenter le marché parallèle des devises. Ce sont les surfacturations d'importations et les commissions sur marchés publics perçues à l'étranger. Les devises en provenance de l'étranger se font souvent par « compensation » avec des dinars reçus localement par des intermédiaires. La problématique monétaire et fiscale Les problématiques monétaire et fiscale sont liées. Une fiscalité trop élevée peut apparaitre comme un risque, si elle conduit à détourner des ressources importantes vers le secteur informel. Une réglementation des change trop stricte, ou des taux d'intérêt trop bas peuvent conduire au même résultat. Les masses d'argent qui circulent sur ces marchés trouveront toujours des rendements supérieurs à ceux offerts par les banques car elles échappent à l'impôt. Et elles ne peuvent réintégrer les circuits officiels tant qu'elles ne sont pas amnistiées. Ni les mesures répressives. 5 - ni aucune incitation financière ou arguments d'ordre moral ne peuvent conduire à leur inclusion dans les circuits financiers officiels et donc vers des investissements productifs. La problématique fiscale Notre régime fiscal a tendu à concilier les deux impératifs de justice sociale et de développement économique. Or ces deux impératifs entrent en conflit quand les ressources fiscales ne suffisent plus à couvrir les dépenses nécessaires pour financer les dépenses sociales et les investissements économiques. La raison en est que l'assiette fiscale est trop étroite. Trop de niches fiscales et pas assez de contribuables, du fait de l'importante économie souterraine. Il faut donc réfléchir aux moyens d'élargir l'assiette fiscale. Un des moyens est d'instaurer un régime général rendant attractif et non répulsif l'acte de payer ses impôts. Pour cela, il faudrait sans doute changer radicalement notre vision des finances publiques, en séparant les deux objectifs qui leur sont traditionnellement assignés. La fiscalité ne poursuivrait plus de but social, mais seulement un but économique, qui est de promouvoir l'investissement et la croissance économique. La justice sociale serait alors assurée par d'autres moyens. Un chantier à creuser. La problématique de change Elle doit être analysée à deux niveaux, celui du régime de flottement dirigé qui gouverne la parité officielle du dinar et celui du marché parallèle des devises, où le dinar est coté librement par des acteurs non officiels et non précisément identifiés. La parité officielle s'applique aujourd'hui à toutes les opérations de la balance des paiements courants (biens, services, et transferts domiciliés auprès des banques). Elle est prise en compte dans l'établissement des lois de finances, le calcul du PIB, les prévisions en matière de commerce extérieur et d'investissements. Le taux parallèle prévaut pour toutes les autres opérations non officielles. Il n'est pris en compte dans aucune statistique officielle. Il est considéré comme marginal, malgré son importance dans l'économie globale et son interaction indirecte avec le taux officiel. Il évolue dans la même direction que le taux officiel, mais avec un écart qui fluctue en fonction d'un certain nombre de paramètres, qui sont souvent des déterminants saisonniers (vacances, pèlerinage) ou liés à la conjoncture économique (inflation, opportunités d'affaires...). Cet écart entraine de nombreuses distorsions et dysfonctionnements, outre qu'il n'encourage pas les entrées de capitaux officiels dans notre pays, ceux des IDE comme ceux de notre diaspora. Comment réduire cet écart ? Les pouvoirs publics ont toujours souhaité y arriver, sans trouver de réponse. Certains experts, ou entrepreneurs, ou simples citoyens, se sont laissés à penser que la solution passe par la dévaluation du taux officiel, pour l'amener au niveau du taux parallèle, considérant ce dernier comme le « vrai » taux de change. L'expérience a prouvé que cela n'est pas exact, car chaque dévaluation a poussé le taux parallèle à suivre dans le même sens, avec quasiment la même amplitude. Les opposants à cette idée ont raison de considérer cette idée comme dangereuse, car elle conduirait aujourd'hui à dévaluer le taux officiel de 80% et à une flambée des prix qui anéantissait tout l'équilibre social sur lequel s'est construit le pays. Et cela, sans aucun avantage économique puisque notre appareil productif n'est pas en mesure d'en profiter pour exporter davantage. 6- Lors d'une mission de consultation du FMI à Alger en 1979 que j'ai pilotée pour le compte de notre Banque Centrale, j'ai demandé à un de ses membres (il s'appelait Arthus) pourquoi le FMI recommande-t-il la dévaluation avec tant d'insistance aux pays qui sollicitent son assistance. Sa réponse, qui se voulait une confidence, a été la suivante : « pour éviter de paraître nous ingérer dans la gouvernance des États membres, nous ne pouvons pas préconiser ouvertement des licenciements de fonctionnaires, des baisses de salaires et des subventions. Nous préférons proposer la dévaluation de la monnaie nationale, en invoquant ses vertus. Ce faisant, et au travers de cette seule mesure, nous réduisons le pouvoir d'achat global de la nation, soit la baisse du pouvoir d'achat, de la consommation des ménages et de l'administration, une baisse corrélative des importations et, au final, le rétablissement des équilibres budgétaire et de la balance des paiements. Les équilibres macro-économiques rétablis, les autres ajustements structurels qui font partie du « programme » s'imposeront d'eux-mêmes : privatisations d'entreprises, licenciements dans la fonction publique, etc.». Cette anecdote nous éloigne, en apparence, de la problématique traitée ici, mais elle nous renseigne sur le danger de se retrouver de nouveau face au FMI. A coup sûr, celui-ci imposera la dévaluation. Comme cela s'est produit lors de la signature de l'accord d'ajustement structurel en 1994, qui a conduit à une dévaluation de 400% durant la période d'application du Programme (1994-1997). Il va sans dire que l'Accord en question n'a eu aucun effet sur le taux parallèle, qui a dévalué dans la même proportion. La vraie question à se poser, au fond, est celle du taux de change qui est le plus à même d'assurer la croissance et l'emploi, l'équilibre de nos finances et la protection du pouvoir d'achat des citoyens. Peu se posent cette question, en vérité. Pas même la Banque d'Algérie, dont la mission est la gestion de la monnaie et la stabilité des prix. Elle utilise, à cet effet, le levier de la politique monétaire (taux d'intérêt à court terme) ainsi que l'ajustement, de temps à autre, de la parité officielle du dinar. Cet ajustement se fait sur la base du « Taux de Change Effectif Réel » du dinar (TCER), qui mesure la compétitivité-prix du pays, par rapport aux taux d'inflation de nos partenaires commerciaux. Cette politique de la banque d'Algérie ne la prédispose pas à prévenir les déséquilibres importants et brusques de la balance des paiements qui résultent une chute importante des prix du pétrole, lesquels sont, du reste, libellées en dollars. De plus, un dinar surévalué ne pénalise pas nos exportations, qui sont libellées en dinar, tandis que tout le monde profite des importations rendues bon-marché par un dinar cher. Notre système de subventions repose lui-même largement sur un dinar stable et fort. D'où, sans doute, le quasi-unanimisme observé quand on débat sur une éventuelle dévaluation du dinar. D'où, aussi, l'extrême réticence à laisser jouer les forces du marché dans la définition du taux officiel. Cette cécité collective a un prix : le jour où l'on est contraint de dévaluer sous le poids d'une grande nécessité, telle une chute brutale et prolongée du cours pétrole, le retard d'ajustement est tel qu'il conduit à dévaluer dans des proportions insupportables. C'est ce qui s'est produit après la signature de l'accord d'ajustement avec le FMI. Les ravages causés furent autrement plus importants que ceux qui résulteraient d'un dinar dont la valeur fluctuerait en fonction de l'offre et de la demande. Dans ce cas, une telle fluctuation serait quotidiennement amortie. 7- Dans tous les pays, des économistes, des centres d'études, des universités, débattent des problématiques qui concernent la monnaie, contribuant ainsi à développer une réflexion indépendante, très utile pour les décideurs politiques. La problématique du marché financier On ne peut pas dire qu'un vrai marché financier existe en Algérie, avec tous les acteurs qui le font vivre, privés et institutionnels, bancaires et non bancaires, et la panoplie des instruments et des mécanismes qui agissent sur la mobilisation de l'épargne, comme il sera détaillé plus loin. UN PLAN DE REFORMES EN QUATRE POINTS Ce plan de réformes s'inspire des problématiques exposées ci-dessus. La réforme fiscale Cette réforme irait dans trois directions : amnistie fiscale, simplification des taux d'imposition avec suppression des niches fiscales, abaissement significatif de la pression fiscale. Son but est de paver le terrain pour une monnaie saine. Ce terrain, c'est l'élargissement de l'assiette fiscale, l'éradication de l'économie informelle sous toutes ses formes, une meilleure allocation des ressources financières et enfin l'éradication de la corruption, dans une grande mesure. Le premier volet est l'amnistie fiscale, qui viserait les capitaux non déclarés, qui ne sont pas d'origine criminelle. Ce genre d'amnistie est courant dans les pays les plus développés, assorti d'une amende forfaitaire. Le but recherché est partout le même, à savoir l'inclusion financière, l'élargissement du nombre de contribuables et la lutte contre les trafics et le blanchiment d'argent. Le second volet est la simplification et la baisse des taux d'imposition, exception faite pour les secteurs des mines et des hydrocarbures, qui resteront régis par des lois spécifiques. A cet égard, une idée est soumise à la réflexion. C'est l'adoption d'une taxe uniforme (dite « Flat Tax »). Elle pourrait s'avérer une arme particulièrement judicieuse. 33 pays la pratiquent, appliquant des taux variés, de 10 à 20%. Dans notre pays, une Flat Tax de 10% aurait d'innombrables avantages. Ele supprimerait tout désir de fuite devant l'impôt et rendrait même l'acte de payer l'impôt très populaire. Son calcul deviendrait élémentaire, rendant inutile les maquillages comptables et les couteux recours aux bureaux d'expertise comptable. Elle supprimerait les redressements fiscaux, source de corruption. Elle encouragerait le rapatriement de l'argent qui circule dans l'informel et donnerait une attractivité exceptionnelle au pays. Elle rendrait enfin caduques les coûteuses niches et avantages fiscaux. L'élargissement de l'assiette fiscale viendrait compenser le manque à gagner résultant de la baisse du taux d'imposition. Les recettes provenant des hydrocarbures assurent déjà la moitié des recettes fiscales, ce qui est un avantage par rapport à nombre de pays. 8- Une révision à la hausse des droits de douane et/ou une éventuelle dévaluation du taux de change officiel viendraient, au besoin, si nécessaire, fournir un complément de recettes fiscales. Bien entendu, tout cela devrait faire l'objet de simulations préalables. L'exercice pourrait révéler de bonnes surprises. La réforme monétaire Son but ultime est la convertibilité totale du dinar, synonyme d'une libération complète des changes. Il est clair que la conjoncture actuelle, marquée par un déficit de la balance des paiements courants et un amenuisement des réserves de change s'y prête moins que vers 2013-2014, quand les réserves de change étaient de l'ordre de 200 milliards de dollars, dépassant largement le montant de la circulation fiduciaire. Mais le cap doit être celui-là. La politique de change doit contribuer à la création de richesses en encourageant l'effort productif, les investissements et les entrées de capitaux. Elle doit tenir compte, en particulier, de notre dépendance à l'égard des prix du pétrole, dont les fluctuations mettent régulièrement en péril nos équilibres extérieurs. Le facteur d'ajustement doit cesser d'être le niveau des importations. Celles-ci ne doivent plus appréhendées comme un facteur nuisible, mais comme un facteur de croissance, si elles sont destinées à développer notre outil de production. Il n'y a qu'à voir la structure du commerce extérieur de la plupart des pays développés. Leur croissance est directement liée au nveau de leurs importations. Le but étant d'exporter plus que l'on importe. On devrait donc planifier cette option de convertibilité totale dès aujourd'hui, pour la mettre en pratique dès que les conditions financières la rendront possible. Il faudrait nécessairement y associer les agents économiques et les représentants des travailleurs, les universitaires et les chercheurs, car cette réforme n'ira pas sans de profondes réformes structurelles qui impacteront toute la société. Certaines réformes toucheront à la sphère micro-économique. Elles tendront à rendre nos entreprises plus performantes. D'autres seront à caractère macro-économique et viseront à modifier l'environnement économique, monétaire, financier, fiscal, budgétaire et même douanier. La liberté complète des changes, si elle est affichée comme but à atteindre, pourra contribuer à créer un choc positif qui stimulera le désir de changement à tous les niveaux. Des réformes de cette nature ont fait le succès de nombreux pays, tels la France et l'Allemagne : Réforme allemande de 1949-60 et 1948 qui a introduit le Deutsche mark à la place du reichsmark, réforme française qui a créé le nouveau franc à la place de l'ancien Franc. Ces deux pays avaient alors libéralisé totalement leur régime de change. S'assurant, ce faisant, une longue période de prospérité. Une réforme équivalente en Algérie induirait nécessairement la création d'un nouveau dinar, qui viendrait remplacer les anciens billets. Un dinar lourd, convertible, débarrassé de deux zéros. Assis sur une fiscalité totalement rénovée, Il viendrait booster les investissements, mieux que ne le ferait le meilleur des codes d'investissement. 9- A ceux qui objecteraient que notre niveau de développement n'est pas compatible avec une réforme de cette ampleur, on pourrait rétorquer que d'autres pays moins nantis que le nôtre ont suivi le même chemin avec des résultats spectaculaires, comme le Rwanda, qui a les meilleures performances économiques en Afrique. - Une étape transitoire : L'Instauration d'un double marché des changes Ce double marché est plus facile à mettre en place, mais il ne doit être envisagé que comme une étape transitoire, devant conduire à une convertibilité totale et à une libération complète des changes. Pour éviter les distorsions qu'il pourrait créer, il est impératif qu'il soit lui aussi accompagné d'une réforme fiscale qui s'inspirerait de la réforme décrite précédemment. Ce double marché implique, concrètement la reconnaissance du marché parallèle des devises, qui deviendrait un marché libre, fonctionnant aux côtés de l'actuel marché des changes administré. Le marché administré serait réservé aux transactions courantes. Il pourrait être limité éventuellement aux seules opérations en marchandises, et encore plus spécifiquement à l'importation de matières premières et équipements jugés essentiels au bon fonctionnement de l'économie ainsi qu'aux produits de première nécessité, dans un souci de protection du pouvoir d'achat des classes vulnérables. Les devises provenant des exportations continueraient à être cédées au taux administré, comme c'est le cas aujourd'hui, Le marché libre serait ouvert aux transactions commerciales et financières autres que celles visées précédemment. Toutes ces opérations seront nécessairement domiciliées auprès des banques. Le taux du marché libre fluctuerait en fonction de l'offre et de la demande de devises. Ce marché serait approvisionné par l'épargne des émigrés et des touristes, par les détenteurs locaux de comptes en devises et par les entreprises exportatrices. Son taux, plus cher que le taux officiel, facilitera l'inclusion financière des dinars et des devises qui circulent aujourd'hui dans la sphère informelle. Il stimulera les entrées de capitaux dans le pays qui emprunteront la voie, plus sûre, des banques et des bureaux de change agréés, qui pourront intervenir sur ce marché à l'achat et à la vente. Ce marché libre viendrait également atténuer les tensions récurrentes qui touchent l'approvisionnement du marché local en pièces de rechange et autres biens de consommation importés. Le double marché donnera un statut clair aux comptes en devises de résidents qui seront pleinement intégrés à l'économie officielle. Sa régulation sera assurée par la Banque d'Algérie, qui pourra agir sur l'écart entre les taux, en alimentant, chaque fois que nécessaire, le marché libre. Ce rôle de régulation est un puissant levier pour décourager toute spéculation. Il s'ajoutera au levier des taux d'intérêt, notamment sur les placements en devises. Un tel double marché peut-il engendrer des distorsions ? Le double marché n'empêchera pas totalement certains importateurs de détourner à leur profit la réglementation des changes. 10- On sait déjà que le marché parallèle des devises encourage la surfacturation des importations. Certains opérateurs gonflent leurs importations (qui s'effectuent au taux officiel), puis vendent la différence au taux parallèle. Ce risque continuera d'exister, mais à une échelle moindre. L'État pourra du reste contrer ce risque en renforçant ses moyens de contrôle. Peut-il y avoir d'autres distorsions ? Cette question doit être minutieusement examinée. La présente contribution n'a pas exploré tous les cas possibles de distorsions. La réforme du marché financier Les marchés financiers sont des acteurs indispensables à l'économie de marché, car ils mettent des ressources financières à la disposition des acteurs économiques, en dehors du cadre des crédits bancaires. Tous les acteurs économiques sont concernés, le Trésor public, les banques, les entreprises et les investisseurs. L'architecture de ce marché repose en grande partie sur le marché des valeurs mobilières, c'est-à-dire sur la Bourse, avec ses deux compartiments : actions (créances ou dettes à revenu variable) et obligations (qui sont les emprunts à revenu fixe). La Bourse d'Alger possède est bien organisée, sur le plan réglementaire, pour permettre la négociation de ces deux types de créances, mais le résultat n'est pas à la hauteur des espérances. Les faiblesses du marché actuel : -Le compartiment « actions » enregistre un nombre insignifiant de sociétés cotées (six), avec une liquidité des plus réduites et des prix qui ne bougent pratiquement pas. 32 ans après son ouverture, la Bourse d'Alger demeure ainsi l'une des plus petites places financières en Afrique avec une capitalisation insignifiante, qui représente moins de 0,5 % du PIB national. Elle condamne nos entreprises à se tourner vers le seul crédit bancaire (dont on connait l'étroitesse et les durées trop courtes). Les jeunes start-up innovantes ne peuvent y financer leur développement, comme cela se pratique là où existe un vrai marché financier. -Le marché obligataire a été créé, en 1998, mais il peine aussi à se développer. Seules trois (3) entreprises, toutes étrangères (deux sociétés de leasing, MLA et ALC et le sidérurgiste Tosyali) y sont aujourd'hui présentes, avec un total d'emprunts en cours de 23,4 milliards de DA. Coté public, on note seulement la présence du Trésor du Trésor public, avec 43 émissions en cours. Le cadre institutionnel est en place, les incitations fiscales sont relativement bonnes, mais le manque d'engouement pour le marché boursier rappelle que des efforts doivent encore être faits. Les pouvoirs publics sont parfaitement conscients qu'ils doivent encourager les entreprises, privées et publiques, à ouvrir leur capital aux investisseurs, former les intermédiaires en bourse, développer les métiers financiers dans les universités et les centres de formation, améliorer le cadre réglementaire. Mais le temps presse, pour accélérer ces réformes. Ce qui manque, pour compléter et mieux faire fonctionner l'architecture d'ensemble : - l'encouragement des entreprises, privées et publiques, à ouvrir leur capital aux investisseurs, 11 - la formation des intermédiaires en bourse et le développement des métiers financiers dans les universités et les centres de formation, - Une diversification des acteurs de l'intermédiation, (sociétés de capital-risque et de capital- développement, - une diversification des instruments de couverture des risques (marché à terme, options et produits dérivés), qui sont d'une grande nécessité car l'économie de marché est synonyme de risques. Risques de change induits par les opérations d'exportation de d'importation pour les entreprises, risques de « transformation » induits par les opérations de des banques. Ces instruments de couverture sont indispensables si on donner aux banques et aux entreprises les moyens de leur efficacité, dans le contexte d'une économie de marché ouverte. La réforme de la politique tarifaire La politique tarifaire ne peut être dissociées de la politique de change, ne serait-ce qu'au regard de la très sensible question des subventions. Trait dominant de notre État social, les subventions indirectes et directes financées par le budget de l'État sont destinées à protéger le pouvoir d'achat des citoyens. Tout démantèlement de nos barrières douanières douanier les impacte, en détruisant une partie de l'appareil productif national et en faisant reposer le soutien aux classes défavorisées sur les seules ressources pétrolières et gazières. Il importe donc, au regard de l'importance de ces subventions, d'examiner tout ce qui agit sur elles, notamment les tarifs douaniers et le taux de change. Si on considère que le pays n'a pas les moyens de faire face à un niveau d'importations donné, mettons 50 milliards de dollars, on peut en déduire, à première vue, soit que taux de change est surévalué, soit que le pays importe trop de biens et services non nécessaires. Dans le premier cas, le taux de change officiel devrait être dévalué, car son maintien conduirait à un gaspillage de devises et à la destruction du tissu économique national. Dans le second cas, la solution serait d'augmenter les droits de douane. Mais cette alternative se heurte principalement aux contraintes de l'accord d'association avec l'U.E avec laquelle s'effectuent plus de la moitié de nos échanges. Contraintes qui sont d'ailleurs à l'origine de : - L'introduction, en 2018 et ce, à titre temporaire, de taxes spécifiques à l'importation comme la DAP (Droit additionnel de sauvegarde, entre 30 et 200% décidée en 2018). - L'interdiction de certaines importations, - L'introduction du régime des licences d'importation pour limiter l'accès à la devise à l'importation de biens nécessaires. Mais les deux dernières mesures sont décriées, non seulement par l'Union européenne, qui y voit une violation de l'accord d'association, mais aussi par nos entreprises, qui y voient une restriction à leur marge de manœuvre et à leur efficacité. Il est difficile de prévoir l'issue du bras de fer actuel avec l'UE, mais la négociation risque d'être longue. 12- Aussi, l'option de la dévaluation, même progressive, risque de s'imposer d'elle-même. Une dévaluation du dinar de 20%, par exemple, aurait le même effet qu'une augmentation des droits de douane dans les mêmes proportions, ce qui illustre bien le lien entre la politique tarifaire et le taux de change. Tous deux impactent le pouvoir d'achat de la nation et nos équilibres financiers internes et externes. Mais alors que la dévaluation impacte les prix de tous les produits importés, la politique tarifaire cible les produits qu'on juge non nécessaires. On voit, ici, l'utilité d'un double marché des changes. Les produits non essentiels qui seraient éligibles au marché libre des devises, (donc à un taux de la devise plus cher), pourraient se voir appliquer des tarifs douaniers les plus bas et éviter de se voir appliquées des barrières non tarifaires comme les licences d'importation. Ce qui permettrait de limiter la hausse des prix importés. Les produits à fort impact économique et social qui seraient éligibles au marché administré pourraient avoir des tarifs douaniers plus élevés. Des tarifs qui pourraient être revus à la baisse, en cas de dévaluation, pour compenser l'effet inflationniste de celle-ci, jouant le rôle d'amortisseur. CONCLUSION Les réformes présentées n'ont pour but que de faire réfléchir tous ceux qui peuvent contribuer à les enrichir, car le domaine est particulièrement complexe. Le débat autour des questions monétaires, en particulier, est resté trop longtemps tabou, alors qu'il devrait être ouvert et intense. J'ai la faiblesse de penser que la réforme monétaire est la clef de voûte de de la transformation économique de notre pays, que nos progrès économiques et sociaux ne pourront se lire que dans une monnaie solide, qui redonnera aux algériens la confiance en eux-mêmes et dans leur pays. *Ancien Ministre délégué au Trésor - Ancien Président du Conseil de surveillance et co-fondateur de la banque Société Générale Algérie (SGA) |
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