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HISTOIRES D'AMOUR

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Les Fils du jour. Roman de Yahia Belaskri. Editions Barzakh, Alger 2015 (Vents d'ailleurs/Ici &ailleurs, France 2014), 700 dinars, 229 pages

Une saga familiale démarrant en 1847 et se terminant en 1894, «touchante et sensible»

Celle de la tribu des Fils du jour de la région de Sebdou

Celle de la famille de Cheikh Moussa

Celle d'une résistance anticoloniale continuelle, directe d'abord, puis retenue, enfin entretenue.

Celle de l'amour fou du jeune Hadj, fils de Cheikh Moussa, le plus rebelle, pour Aghate, une belle jeune fille, d'origine européenne, orpheline de père (un immigré espagnol de la, première heure ayant atterri en Algérie presque par accident et surtout par misère), élevée par sa mère, très proche des Arabes.

Elle se convertira à l'Islam, ils se marieront, voyageront beaucoup durant des années, découvriront ainsi un autre monde arabo-musulman ou simplement musulman, plus évolué, allant jusqu'à La Mecque, puis à Damas où ils rencontreront l'Emir Abdel Kader? et retourneront au bercail avec beaucoup d'enfants. L'amour toujours, au-delà des croyances et au-dessus des préjugés !

Un de leurs fils deviendra, par la force des choses (« Ould Erroumia»), spahi, tout en conservant et en entretenant, en son for intérieur, toujours, la flamme guerrière héritée du père et du grand-père et de ce qui restait comme tribu, trop longtemps massacrée, puis dépossédée, enfin éparpillée.

Bref, l'histoire romancée du pays? et, surtout, au début de la colonisation, un choc des cultures dominé par la force dominatrice et expansionniste? et la tendance criminelle du colonialisme. Les barbares n'étaient nullement les habitants mais bien les envahisseurs. Leur seule et grande erreur venait de leurs lacunes, car vivant en dehors du «monde».

L'Auteur : Né en 1951 à Souk Ahras. Etudie et enseigne l'agronomie durant plus d'une décennie à Mostaganem. Il s'expatrie juste après les années 88. S'installe en France où il se convertit aux métiers du web. Venu à l'écriture à partir des années 2000 seulement. Premier roman, mais des récits, des nouvelles, des essais (dont un sur Camus et un sur Khaled). Plusieurs prix. «Je suis venu à l'écriture par effraction», dit-il.

Avis : Une immense histoire d'amour entre deux jeunes de religions différentes? en pleine lutte anticoloniale. Si simplement racontée, la romance, avec son trop-plein d' «eau de rose» et de tolérance, paraît vraie. Un ouvrage destiné surtout au public de l'Hexagone? et aux descendants de la tribu.

Citations : «Savez-vous ce qu'est un barbare (?) ? Celui qui ne reconnaît pas l'humanité de l'autre, celui qui fait preuve de cruauté » (p 90), «Le renoncement pourrait être vertueux s'il n'était abandon et lâcheté» (p 96).

L'Impasse des Invalides. Roman de Waciny Laredj. Enag Editions, Alger 2015, 450 dinars, 197 pages

Une petite ville de l'intérieur du pays. Elle la «chance» de ne jamais «insulter» le président et d'avoir un de ses citoyens ministre? de l'Intérieur. Elle va se retrouver «bombardée» wilaya alors qu'elle est dépourvue des moyens adéquats. N'empêche ! Pour s'imposer, première chose à faire? après tout une nuit de débat des autorités avec la population, dans le cadre de la démocratie participative : il s'agit d'ériger un monument, symbole des sacrifices révolutionnaires et de la virilité de ses hommes. Un mouflon bien en cornes et aux attributs de sa virilité lourds et visibles? «imposants et pendants». Une course contre la montre s'engage? car on a hâte d'inaugurer le monument? pour enfoncer encore bien plus la ville voisine et parce qu'à Alger, il faut des «événements».

Barokh, un artiste-sculpteur modeste mais fidèle à sa ville et à son cimetière (qu'il entretient avec respect, amour et art?) se voit confier l'entreprise. Tâche réussie... mais voilà, les c? ont disparu, détruites certainement par de «citoyens» malveillants. Plusieurs fois.

Hélas, pour une histoire de c? mal réparés (ils ne sont plus en bronze ou en marbre comme prévu, suite aux destructions ), la réussite n'est plus au rendez-vous et le zélé artiste se voit rapidement mis au ban de l'ingrate société dirigeante de la ville (il est dépouillé de ses biens et accusé presque d'accointance avec l'étranger), alors que les attributs pendants du monument, vite abandonné sur une placette donnant sur une impasse, sont assez vite récupérés par les femmes stériles de la région qui, elles, ne voient que les formes viriles et symboliquement fertilisantes.

L'Auteur : Né en 1954 dans la région de Tlemcen. Nomade impénitent? entre Tlemcen, Oran, Damas, Alger, Los Angeles et Paris?où, depuis 1994, il enseigne la littérature à la Sorbonne. Auteur de plusieurs romans traduits en plusieurs langues, dont le français. Il a obtenu, aussi, plusieurs prix littéraires, dont le Grand prix de la littérature arabe.

Avis : Un titre évocateur. Chaque phrase, chaque mot a, aussi, son poids politique. Parfois difficile à déchiffrer. Une fin pessimiste.

Citations : «La destinée d'une nation peut être suspendue à un petit détail délaissé. Un fil de rasoir. Les Arabes ont perdu toutes leurs guerres avec les Israéliens à cause des détails auxquels ils n'ont jamais donné le moindre intérêt» (p 40), «Un cimetière, c'est comme une ville où tous les corps dorment pendant que les âmes circulent» (p 55), «Notre religion nous apprend que la vie n'est qu'une épreuve, l'essentiel est là-bas où toutes les âmes se valent. Le seul critère, c'est le travail et ce qu'on a fait de bon ou de mauvais pendant l'épreuve de vie» (p 56), «Quand on est diplômé et qu'on travaille dans un café ou quand on est un artiste et qu'on vit dans une tombe, cela veut dire que le pays est malade» (p 106)

Une maison au bout du monde. Roman de Adriana Lassel, Editions Dalimen, Alger 2015, 700 dinars, 343 pages.

L'auteure raconte l'histoire de sa famille. Son histoire aussi. Presque tout. Elle raconte tout cela à partir de la description d'une maison familiale, à Santiago, celle qui l'a marquée le plus, celle où, enfant, comme tous les enfants, l'accessoire devient l'essentiel, le détail devient le tout et le petit devient immensément grand. Elle livre tout ou presque tout. La vie en famille, sa scolarité, sa jeunesse, ses premières émotions, ses voyages?

Elle raconte sa vie familiale à partir de la «Grande maison», de la rue Chiloé, «centre de nos vies», jeune et belle, «accueillante telle une mère nourricière»? peu à peu abandonnée, chacun ayant «une bonne raison ».

Elle raconte une vie de famille (presque )heureuse entre un père sédentaire endurci, travailleur impénitent, «qui préférait voyager à travers ses lectures», et une mère enseignante qui ne tient pas en place, voyageant sans cesse, aux idées «progressistes», mais avec laquelle elle n'avait que des relations «superficielles».

Elle se livre quasi totalement pour nous décrire un pays que l'on sait mystérieux (pour nous, car si loin? au bout du monde) et si proche (tout particulièrement depuis qu'il a subi la dictature de Videla, puis celle, la plus atroce, de Pinochet et l'assassinat d'un admirable grand révolutionnaire, Allende), un pays que l'on devine porté encore au plus profond de son cœur.

Elle raconte sa vie d'étudiante, durant cinq années? apprenant à enseigner le castillan (l'espagnol littéraire) et les littératures écrites dans cette langue, manifestant contre les régimes dictatoriaux (Strossner, Somoza,?) qui à l'époque foisonnaient et soutenant les luttes de libération nationale (Cuba, Vietnam? et l'Algérie).

Elle raconte sa vie de jeune fille? à l'étranger depuis l'âge de 26 ans avec, d'abord, le coup de foudre pour un pays, Cuba (invitée suite à un prix littéraire décroché), et là-bas, le coup de foudre pour un autre enfant du bout du monde (chacun a son bout du monde), un «beau sphinx», un Algérien, en visite organisée à Cuba durant l'été 62, juste après l'indépendance, pour découvrir une «révolution en marche». Il deviendra son époux, il l'emmènera en Algérie, ils iront en Chine et ils vivront la Révolution culturelle. Elle vivra à Alger jusqu'à ce jour avec ses enfants, allant, de temps à autre, revoir les parents et la terre de ses ancêtres? Avec le temps qui passe, et les épreuves endurées (au Chili), la famille s'est désormais agrandie et dispersée dans différents pays? devenant ainsi internationale. La maison de la rue Chiloé a été vendue à une entreprise de téléphonie mobile qui l'a aussitôt démolie? pour y installer une antenne à sa place.

L'Auteure : Elle est née à Santiago du Chili. Elle est mariée à un Algérien (rencontré à Cuba). Longtemps enseignante. Elle a la nationalité algérienne. Elle vit à Alger. Elle se consacre à l'écriture et à la recherche, tout particulièrement à l'œuvre de Miguel de Cervantès et du monde musulman. Déjà plusieurs ouvrages dont «Lucas le Morisque ou le destin d'un manuscrit retrouvé» (Le Tell, 2007), «Parfum de vie» (Thala Editions, 2010), «Cinq années avec Cervantès» (Dalimen, 2012)?

Avis : Gentille autobiographie romancée. Agréable à lire car le livre nous fait vivre à l'«intérieur» d'une famille chilienne puis algéro-chilienne.

Citations : «Mettre des balises au temps qui passe aide à retenir la vie, à donner un éclairage au vide du passé» (p 11), «Comme c'est angoissant d'avoir à faire le bon choix quand on a vingt ans» (p 166), «Ce qui est naturel, c'est que l'écrivain apprenne des autres, de ses lectures personnelles, mais c'est l'observation qui enrichit son imagination» (p 172), «Quand tout va bien, les états d'âme d'un groupe familial ou social s'expriment sur le même ton, mais c'est dans la tourmente des jours difficiles que s'entendent les notes discordantes des différents caractères ainsi révélés» (p 331).

PS : - En comparaison avec les pays voisins, l'Algérie se positionne en dernier en termes de nombre de propositions de projets dans le cadre d'Erasmus+, le programme financé par les pays membres de l'UE (2 mds d'euros), pour l'éducation, la formation, la jeunesse et le sport sur la période 2014-2020. Ainsi l'UE n'a reçu que 13 propositions de l'Algérie, contre 30 de la Tunisie, 41 du Maroc, 41 de l 'Egypte et 45 de la Jordanie. Sur les 13 propositions algériennes seulement 4 ont été retenues. Amer constat ! Pourquoi ? Manque d'informations fiables, d'organisation et d'incitation ? Procédures compliquées ? Réticence volontaire des chercheurs et des universités à adhérer au programme? avec cette propension bien nationale à la suffisance et à la méfiance «politique» ? De tout un peu, un peu de tout. Cela ne date pas d'hier. On sait que le programme d'appui aux médias, de plusieurs millions d'euros, a été «ignoré» par l'Algérie (un premier avait été annulé en cours de route suite aux dissensions internes). A force de voir des «complots» partout ! Par nationalisme sourcilleux.