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Qu'est-il donc advenu de l'école, cet Olympe du savoir ?

par Farouk Zahi

Les enfants ont plus besoin de modèles que de critiques (J. Joubert -poète et romancier français)

C'est à l'école que les enfants apprennent la violence ! Pour se dédouaner d'une responsabilité collective, on avance cette sentence qui prend l'allure d'une lâche fuite en avant. En fait, l'école n'a jamais généré de la violence, elle en subit plutôt les contrecoups d'un milieu environnemental de plus en plus agressif. Non maîtrisée à l'extérieur de ses murs, elle y entra par effraction.

Que peut donc apprendre un enfant, en classe d'initiation, en se rendant chaque matin à son école si ce n'est un chapelet d'insanités proférées par ses congénères plus âgés ou par le tout-venant ? L'observateur lambda, sans être cet expert averti, aura remarqué ce charivari matinal. A l'entrée principale, c'est un gardien hirsute qui vocifère en faisant tournoyer un bout de tuyau d'arrosage en guise de matraque. La menace n'est même pas virtuelle, elle peut s'exercer bruyamment sur le dos ou le postérieur. En tentant de ramener le calme, le cerbère crée la panique chez les têtes blondes apeurées et qui se bousculent pour fuir le châtiment de la flagellation. La grande hypocrisie sera la mise en rang rectiligne pour l'accès à l'antre du savoir, la classe.

La sortie se fera en « sauve qui peut » braillard sous l'œil placide de la maîtresse ou du maître.

A ce propos, l'enseignante et l'enseignant ne sont plus appelés par la civilité de Monsieur ou Madame, mais par « Moualim » ou « Moualima » tout court. C'est dire l'état d'esprit qui prévaut présentement.

Quant aux violences dites douces, elles sont le fait de ceux-là même qui sont supposés se soucier du bien être de l'élève, à savoir la collectivité locale et l'administration à travers son intendance.

Que pense l'enfant qu'on met tous les matins et tous les après-midi au garde-à-vous, qu'il vente ou qu'il pleuve et parfois sous un soleil de plomb pour la levée et la descente des couleurs ? L'amour de la patrie doit participer de l'émotionnel et non du coercitif et là, c'est tout le génie d'une éducation apaisée. Dans la classe, glaciale en hiver ou surchauffée en été, s'est-on un jour mis à la place d'un chérubin que le froid fait tressaillir ou la chaleur suffocante fait transpirer abondamment ? Croira-t-il au bon ordre quand il remarquera que son espace est plein de détritus que personne ne pense l'en débarrasser ou que des carreaux brisés attendent depuis fort longtemps un hypothétique réparateur ?

A la cantine, ce n'est pas un repas chaud qui lui sera servi, mais une miche de pain, deux portions de fromage et un pot de yaourt presque frelaté. Le fournisseur alimentaire de l'établissement ne fait-il pas violence à l'enfant par sa cupidité ? Pendant ce temps, M. l'intendant aura le regard tourné ailleurs. L'administration, ingénieuse machine à créer des problèmes là où il n'en existe pas, n'a pas trouvé mieux que de distraire les candidats au baccalauréat et au Brevet d'études élémentaires de leurs cours pour les faire introduire dans le labyrinthe bureaucratique, sans fil d'Ariane, pour leur faire délivrer des cartes d'identité dites biométriques. Cet acte de police générale, qui n'a rien d'un acte pédagogique, rappelle plutôt une vente concomitante : examen contre carte biométrique. Quant à l'autre acte, aussi inutile qu'éprouvant, est celui de typer le sang de tous les élèves. Cette opération, plutôt juteuse, pour les laboratoires d'analyses médicales privés ne sécurisera pas plus l'élève en cas d'accident, la présence des parents est légalement requise en pareil cas. Ces intentions aussi généreuses soient-elles, sans consultation des tuteurs légaux, n'en constituent pas moins une violence faite à l'élève.

Ce parent d'élève qu'on charge de basses besognes, par exemple s'acquitter de numéraires dûs, admonester sa progéniture en cas de manquement n'est que rarement consulté quand il s'agit d'une pleine décision parentale à prendre. La santé mentale et physique de l'enfant est de la seule exclusive de l'un ou l'autre parent. Certains élèves se sont vu refuser l'accès aux cours en l'absence de la carte de groupage sanguin. A-t-on pensé à ceux et celles qui fréquentent les écoles des hameaux et des mechtas du pays profond ?

Madame la maîtresse et Monsieur le maître, sacralisés jadis par la noblesse de la mission, ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes. Ils végètent dans l'indifférence générale. Houspillés par leurs propres élèves, parfois rudoyés par les parents quand ce n'est pas des voies de fait, ils baissent les bras devant tant d'adversité. Certains parmi eux auraient dû choisir un autre métier, car l'éducation ne s'accommode pas du vocable métier, mais de celui de mission. Les briscards de l'enseignement vous diront sans prendre le temps de réfléchir, l'acte d'enseigner est parti avec les Instituts de technologie de l'éducation (ITE). Des puristes avancent le contraire pour vous dire : « Il faut que l'école s'ouvre sur l'université. Tout un débat ! »

Les faits rapportés par la presse, de temps à autre, sur des incidents ayant pour théâtre l'école horripilent et interpellent à plus d'un titre. Ils sont d'autant plus graves qu'ils émanent de pédagogues supposés avertis. Le cas d'une élève dans une wilaya de l'Est à qui le maître demande à ces deux camarades garçons de la délester de son pantalon sous le regard goguenard de ses pairs est révoltant.

Le père, dont la sagesse est à saluer, n'a pas été au-delà de la protestation auprès de la tutelle administrative de ce « tortionnaire ». Cette autre enseignante, cas avéré de psychiatrie, qui entre en transe hystérique en éparpillant ses objets personnels et demande à ses élèves de vite les ramasser sinon? gare au châtiment.

Il faut reconnaître, aussi, que les parents que nous sommes, nous jouons le mauvais rôle en bichonnant exagérément notre progéniture quitte à en faire des rejetons capricieux et suffisants. Immatures, par définition, on les mûrit précocement par un habillement qui n'est pas encore le leur, on les dote d'attributs que certains adultes n'ont peut-être pas -téléphone cellulaire - tablette électronique- et par des coiffures hip hop pour les garçons et de starlette pour les fillettes.

L'accession au statut de grand adolescent ouvre la voie à plus de transgression des codes qui peuvent aller de l'effronterie au dérapage verbal.

Le rang social ostensiblement affiché, surtout dans un environnement populaire, ne peut fédérer que des inimitiés qui peuvent aller du harcèlement à l'invective ou à l'ostracisation dans le meilleur des cas. Par ce propos, votre serviteur n'a aucune nostalgie passéiste où il serait tenté d'évoquer le tintement de la cloche de bronze, le cache-poussière du maître, la poussière de la craie, mais le rappel des valeurs qui doivent cimenter toute cohésion sociale pour la pérennité d'une nation. « Les valeurs morales font les nations, si celles-ci disparaissent, celles-là disparaîtront aussi ». Cette traduction du vers visionnaire du célébrissime Ahmed Chawki, « Le principe des poètes » peut être d'à propos dans le contexte.