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Ouyahia et Saadani en guerre pour détourner la Constitution

par Abed Charef

Ahmed Ouyahia et Amar Saadani sont en guerre. Enjeu : la nouvelle Constitution. Qui va en tirer profit ?

Selon la lettre de la Constitution algérienne, le président Abdelaziz Bouteflika peut désigner qui il veut au poste de Premier ministre. Il est, certes, tenu de consulter la majorité parlementaire, mais rien ne l'oblige à suivre son avis. C'est le propre d'une Constitution où les pouvoirs sont hyper-centralisés entre les mains d'un chef de l'Etat omnipotent, alors que les autres institutions peinent à exister. Tout choix que ferait le chef de l'Etat peut, dès lors, être défendu, avec des arguments plus ou moins acceptables. Ainsi, le président Bouteflika peut parfaitement maintenir M. Abdelmalek Sellal, qui a une carte FLN, un pied au RND, une tête à la présidence, et une âme solidement imprégnée dans l'obéissance au système. S'il fait ce choix, M. Amar Saadani et celui qui apparaît aujourd'hui comme son rival, M. Ahmed Ouyahia, devraient applaudir tous les deux. Ils trouveront même que le choix est judicieux. A l'inverse, le chef de l'Etat peut tout aussi bien opter pour un dirigeant n'appartenant pas au parti majoritaire, ni même au Parlement. Il peut, par exemple, désigner M. Abderrezak Makri, ou un ancien wali sans couleur politique, ou même un « opposant » maison, en soulignant que cela permet précisément de jeter des ponts avec l'opposition. Quel que soit le choix, le président peut toujours argumenter sa décision. Ce sont d'ailleurs les gens qui se battent aujourd'hui pour le poste qui seront les plus prestes à manier ces argumentaires.

Balancier

Selon l'esprit de la Constitution, toutefois, le président Bouteflika devrait privilégier l'option d'un dirigeant du FLN au poste de Premier ministre. Ce serait plus conforme à la logique institutionnelle : un dirigeant du FLN est mieux en mesure d'obtenir l'aval du Parlement, y compris quand le Parlement est vu dans un rôle très restrictif. C'est la règle de base de la démocratie parlementaire. Ce serait donc M. Amar Saadani qui aurait raison de revendiquer au profit de son parti un rôle primordial au sein de l'exécutif, à charge, pour les autres partis, de nouer des alliances éventuelles pour l'empêcher de gouverner. Mais cet argument de M. Saadani n'est que théorique. Car M. Ahmed Ouyahia est lui aussi dans le vrai quand il rappelle que la nomination du Premier ministre est du seul ressort du chef de l'Etat. Ce qui signifie que le président Bouteflika peut inviter M. Saadani à prendre un café, et évoquer avec lui la nomination du prochain Premier ministre, avant de désigner un client de son choix à la tête du gouvernement. Sur ce terrain, M. Ouyahia est crédité d'un avantage certain. Il a piloté la rédaction du texte de la Constitution, il sait donc de quoi il parle. Sans aller jusqu'à dire qu'il s'est ménagé une possibilité de diriger le gouvernement même en étant à la tête d'un parti minoritaire, force est d'admettre qu'il a cette possibilité de faire une lecture de la Constitution qui lui soit favorable.

Bouteflika tranche

M. Ouyahia ne devrait cependant tirer aucun profit de cet avantage, car la seule lecture de la Constitution en vigueur est celle que fera le président Bouteflika. C'est lui qui détient tous les pouvoirs : nommer le Premier ministre, le confirmer, lui tracer un programme politique et le révoquer. Les autres partenaires ne sont que des comparses, jouant consciencieusement des seconds rôles, sans jamais oser sortir du cercle. Ils savent parfaitement qu'à la moindre erreur, ils seront bannis. Le président Bouteflika leur rappelle régulièrement ce qu'est un bannissement, comme il l'a fait avec M. Abdelaziz Belkhadem. Amar Saadani est lui aussi passé par là : il a été à la tête de l'APN, avant d'être exclu du jeu pendant tout un mandat. Il a montré une telle discipline qu'il été jugé digne d'être réintégré pour briguer l'oscar du second rôle. Mais au fond, il sait que c'est la lecture de la Constitution par M. Bouteflika qui va primer. Cette lecture est relativement simple : le chef de l'Etat garde tous les pouvoirs, pendant que MM. Saadani, Ouyahia et Sellal s'écharpent autour de questions secondaires. Ils se battent pour savoir qui aura la primauté au Parlement, qui est le plus apte à obéir et à appliquer le programme du seul et unique maître à bord, Abdelaziz Bouteflika. Et plus ils s'écharpent, plus ils servent le chef de l'Etat. Cela donne l'impression qu'il y a une véritable vie démocratique, avec un vrai Parlement, une vraie opposition, et des partis très dynamiques. Ce serait suffisant pour faire oublier l'existence de l'opposition extra-parlementaire, et oublier une société laissée à la dérive.