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L'Abbé Bérenguer (1916-1996) :Le singulier parcours révolutionnaire d'un prêtre algérien

par Bénali El Hassar

Caricaturé de « prêtre communiste, par André Malraux et « d'enfant terrible » par l'église, l'Abbé Bérenguer, mort il y a dix-neuf années, le onze du mois de la Toussaint, en 1996, avait pris une place à part dans la sphère radicale des années 50, en Algérie. Près du camp progressiste ce curé engagé en faveur de la cause de l'indépendance prônait « une laïcité ouverte et généreuse ». Ses critiques contre la politique coloniale suscitèrent à son égard, des antinomies qui le marginalisèrent en tant que prêtre. « J'étais contre le religieux colonisateur à visage masqué », je ne suis pas celui qui dit toujours amen, qui se plie, qui vit à genoux », disait-il, pour défendre sa vision contestataire. Classé de gauche, ses pourfendeurs lui réservèrent une place à part dans la sphère hiérarchique catholique. Fils d'un ouvrier-mécanicien originaire de la ville de Carthagène (Espagne) et de mère de Grenade, il a opté, très jeune, pour des études en théologie, au séminaire d'Oran. En 1940, il fut ordonné prêtre. Vicaire à Mascara, il est nommé, en 1951, curé de Montagnac (Remchi). Très proche des milieux modestes, sa pensée était, fortement, influencée par le paysage social, culturel et politique d'une Algérie divisée en deux avec, d'un côté, les colons, de l'autre les Algériens. C'est sa proximité de la société algérienne qui infléchit, de manière décisive, son chemin en tant que témoin de la brutalité et de l'injustice « explosive » dont faisaient l'objet les Algériens.

En 1955, il publie dans la revue littéraire bimestrielle ?Simoun', paraissant à Oran, un article intitulé : « Regards chrétiens sur l'Algérie ». Dans cet article il s'en prend à la société coloniale déployant une critique originale, à l'égard des colons et les privilèges au sein de l'Eglise. « Les rebelles sont des combattants de la patrie », écrivait-il. Sa pensée, en matière de liberté, valait celle d'Emmanuel Roblès, Albert Camus, Mohamed Dib qu'il a côtoyés, partageant avec eux, le même espace d'écriture. « Mon engagement fait partie de ma foi, m'y détourner ou garder le silence, c'était me rendre complice d'une grave injustice », déclarait-il à l'historienne Dermendjian dans son livre « Bérenguer, un homme de liberté » (Ed. Centurion, 1995).

Face à la guerre, ce curé ressentira, alors, la nécessité de se jeter dans la bataille pour exprimer ses idées et témoigner du mal des colonisations, en Algérie et partout dans le monde, notamment en Afrique. Marginalisé, ce prêtre quitte le pays et prend la route de retrouvant au Vatican, de 1959 à 196O, puis au Chili enfin, à Cuba?. Durant son séjour diplomatique en Amérique Latine où il circulait avec un passeport cubain, il multipliait les interviews et les conférences dans les universités plaidant la cause algérienne. C'est au cours de ses pérégrinations-latinos qu'il rencontra l'icône révolutionnaire Ernesto Ché Guévara et aussi, le chef d'Etat cubain Fidel Castro auquel il prêta ses services, chargé du dossier avec le Vatican.

A l'indépendance, il abandonne son sacerdoce et s'installe à Alger où il est député, membre de la constituante, puis conseiller du premier président Ahmed Benbella. Après le coup d'Etat il disparaît de la scène politique Au cours de sa retraite au monastère ?Bénédiction de Saint Benoît' à Tlemcen, il fonde une association appelée «Dar salam» (Pax) censée perpétuer son message de paix et de liberté. Son livre «Un curé d'Algérie en Amérique latine, 1959-1960» (SNED, 1966) connut, de son temps, un grand succès. Son corps sera, selon ses dernières volontés, inhumé au cimetière chrétien d'Al-Kalaa, à Tlemcen.