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Le quatrième mandat à son apogée

par Abed Charef

Un groupe informel veut une rencontre informelle avec un chef d'Etat fantôme, pour vérifier si des groupes informels ne se sont pas accaparés ses pouvoirs: c'est le quatrième mandat dans toute sa splendeur.

Abdelmalek Sellal jure que le droit de préemption ne sera pas abandonné. C'est même sur insistance du président Abdelaziz Bouteflika que cette  mesure sera maintenue, dit-il, vantant les élans patriotiques du chef de l'Etat quand il s'agit de préserver l'économie du pays. Le 51/49 et la règle de la préemption ne sont-ils pas les indicateurs les plus évidents de ses choix économiques patriotiques?

Abdessalam Bouchourab emboite le pas à M.Sellal, et fait de la surenchère. Le ministre de l'industrie assure que ce droit de préemption sera non seulement maintenu dans la nouvelle loi sur l'investissement, mais « il sera renforcé ». La nouvelle loi « clarifie et renforce ce droit », dit-il. L'Etat va s'accorder un délai d'une année pour décider ou non s'il va l'exercer, selon M. Bouchouareb.

Autrement dit, un homme d'affaires algérien peut acheter tout ou partie des actifs d'une entreprise étrangère, mais l'Etat est en droit de les lui reprendre à tout moment. Résultat : avec cette menace, plus personne n'achètera des actifs étrangers, en sachant qu'un bureaucrate peut, pour une raison ou une autre, l'en déposséder quand il veut. Par ricochet, tout investisseur étranger potentiel regardera à deux fois avant de mettre ses fonds en Algérie. L'investissement étranger est déjà faible. Il risque de devenir insignifiant. Il ne peut pas en être autrement, tant l'action du gouvernement semble destinée à généraliser la précarité chez les investisseurs.

Un coup qui fait mal

Mais pourquoi cet intérêt démesuré au droit de préemption, un concept normalement limité à quelques cercles d'économistes et de juristes liés aux milieux d'affaires? Pour deux raisons. D'abord parce qu'il s'est imposé dans le débat politique en quelques jours ; et ensuite parce qu'il montre comment « l'effet quatrième mandat » débouche sur des décisions de plus en plus absurdes, destructrices pour la vie politique et pour l'économie du pays.

Le droit de préemption figure en tête des mesures qui semblent constituer une menace contre la souveraineté du pays, selon les dix neuf personnalités qui ont demandé à être reçues par le président Bouteflika pour lui faire part de leurs inquiétudes. Cette analyse primaire, visiblement initiée par Mme Louisa Hanoun, est totalement hors de son temps. Elle montre que ses promoteurs sont déconnectés de ce qu'est devenue l'économie mondiale, et qu'ils sont plus proches d'une économie nord-coréenne que d'une économie moderne.

Mais qu'importe. L'attaque a fait mouche. Le président Bouteflika est dans une position si fragile qu'il se sent contraint de rassurer. Ses porte-paroles qui, en temps normal, se déchirent entre eux, se sont unis pour répondre en cœur que le droit de préemption ne sera pas abrogé. Ils insistent, multiplient les déclarations, dans le but de prouver que le chef de l'Etat est toujours maitre à bord, tout en apportant la preuve : ses choix économiques n'ont pas changé, comme l'atteste le maintien de droit de préemption, disent-il. Et c'est ainsi qu'en quelques jours, le droit de préemption est devenu l'indicateur numéro un du patriotisme économique, de la bonne santé du chef de l'Etat, de sa capacité à gérer le pays.

Supercherie

Mme Louisa Hanoun, qui participe à cette opération, se trompe de siècle sur les questions économiques. Ce n'est pas le droit de préemption qui garantit la bonne santé de l'économie. Celle-ci est protégée par l'Etat de droit, le respect des normes constitutionnelles et légales, pas la productivité du travail, par l'innovation, non par les dogmes. Elle est aussi protégée par une monnaie cotée à sa juste valeur, qui découragerait les trafics et rendrait inutile toute tentative d'exporter des devises de manière frauduleuse. Et puis, que représenteraient les pertes causées par l'abandon du droit de préemption, comparées à ce que vient de révéler M. Bakhti Belaïb ? Selon les projections du ministre du commerce, le pays aurait perdu près de 100 milliards de dollars depuis 2010 à cause d'exportations illicites de devises. Cela s'est passé sous Bouteflika, selon des procédés que tous les économistes connaissent, mais l'Etat a été incapable de réagir. Ce qui relativise énormément l'affirmation des dix neuf personnalités qui ont demandé à rencontrer le chef de l'Etat pour lui exprimer leur inquiétude face une « déliquescence » des institutions qu'elles croient déceler. Leur constat arrive avec un singulier retard. Certes, dit l'une d'entre elles, mieux vaut tard que jamais. Mais cela n'efface pas une autre vérité : les institutions étaient sérieusement ébranlées depuis des années, et le quatrième mandat a été à la fois un révélateur et un accélérateur de cette descente aux enfers.

Contourner les institutions

Le quatrième mandat a révélé que l'Etat algérien a perdu son immunité : cet Etat n'a pu empêcher que ne se réalise un scénario grotesque et illégal. La classe politique qui se trouve partie prenante du pouvoir y a contribué dans son ensemble, de manière active pour les uns, par leur silence, pour les autres. La situation dangereuse que découvrent aujourd'hui Khalida Toumi et Louisa Hanoun est la même que celle en vigueur à la veille du quatrième mandat. Non seulement elles n'avaient pas protesté pour tenter d'empêcher le quatrième mandat, mais elles avaient défendu la candidature, et donc le maintien mécanique du président Bouteflika au pouvoir. Ce qu'elles disent aujourd'hui n'est pas crédible. Et c'est d'autant plus grotesque que leur action pousse délibérément vers l'informel.

Elles passent outre le parlement, le conseil constitutionnel, les partis, le gouvernement, pour demander à vérifier si Mr Bouteflika exerce toujours ses prérogatives. Se rendent-elles compte qu'elles ont la prétention de remplacer toutes les instituons et tous les contre-pouvoirs du pays? Et si le chef de l'Etat décidait de les recevoir, pourquoi les Algériens seraient-ils obligé de les croire? A moins que tout ceci n'ait une signification radicalement différente. Car Khalida Toumi et Louisa Hanoun jettent un vrai trouble. Leur démarche accentue très nettement l'idée selon laquelle le président Bouteflika ne peut plus exercer ses prérogatives. Tout en défendant à première vue le président Bouteflika, elles contribuent en fait à familiariser les Algériens avec l'idée de lancer une procédure pour l'application de l'article 88 de la constitution.