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France : la maladie infantile du terrorisme

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

«?Déjà certain que mes oncles repus, m'avaient volé le Far West.» (Jacques Brel, l'Enfance)

Donc, à huit ans d'âge, on peut être embarqué par la police, subir un interrogatoire par les services " spéciaux " de lutte antiterroriste et inculpé d'apologie au terrorisme. C'est le niveau de civilisation atteint par la France du 3ème millénaire, dont les députés viennent de voter une loi reconnaissant aux animaux le statut " d'Etre doués de sensibilité ". Une belle et légitime victoire des animaux domestiques, rappelons-le, et une infinie tristesse pour les enfants qui ne se reconnaissent pas en " Charlie ". Par quel sort maléfique ou malédiction divine la France est-elle arrivée à comprendre le règne animal et lui rendre justice et à perdre la raison à l'ouïe de l'insolence, l'impertinence d'une phrase prononcée par un enfant de 8 ans dans le brouhaha d'une cour d'école ?

A peine " l'alerte " donnée par le directeur de l'école, les services de sécurité, la justice et des personnalités politiques de gauche et de droite, jusque la ministre de l'éducation nationale ont crié leur indignation, leur colère, leur peur.

La France est entrée en guerre chez elle, contre ses propres enfants ! Désormais toute parole, acte, voire aspect physique " suspect " résonne, chez celui qui le voit ou l'entend, en écho des drames commis par les terroristes le 7 janvier dans la capitale française et les formidables manifestations citoyennes qui ont submergé le pays le 11 janvier. " Je suis Charlie, nous sommes tous Charlie " est devenu le slogan de référence et d'appartenance ou non à la collectivité nationale. Toute parole, opinion (Ah, l'opinion !) hors l'écho des manifestations du 11 janvier est perçue comme une attaque contre la nation. " Peu apte au raisonnement, les foules sont au contraire aptes à l'action " expliquait le sociologue et anthropologue français, Gustave le Bon, dans son essai-livre " la psychologie des foules " paru, voilà plus d'un siècle, en 1895.

Il précisait que " le comportement des individus réunis n'est pas le même que lorsqu'ils résonnent, chacun de manière isolée. " Autrement dit, il est absurde de laisser croire que les 66 millions de français ont la même explication du phénomène terroriste, la même sensibilité face à la violence, résonnent de manière parfaitement identique et ont les mêmes réponses au phénomène terroriste. Si telles sont les réactions de la " foule " en ce bas monde depuis la nuit des temps, c'est-à-dire émotionnelles mais pas nécessairement rationnelles, cela autorise-t-il les leaders et responsables politiques à profiter de " l'émotion collective " pour abonder dans la surenchère politicienne, voire à exciter davantage la " foule " ? Qu'auraient pensé les occidentaux si les gouvernants des pays musulmans avaient suivi les manifestations " anti -Charlie " qui eurent lieu en réponse à la republication par " Charlie hebdo " d'une énième caricature du prophète de l'Islam alors que la tension et l'émotion étaient à leur paroxysme ?

L'hypocrite indignation des responsables politiques et le battage médiatique qui ont suivi la " déclaration d'Ahmed, 8 ans " sont des marqueurs sociopolitiques inquiétants et révèlent, au-delà du drame de Charlie Hebdo, un désarroi et un malaise profonds dans la société française.

Ce sont les signes d'une société en crise multidimensionnelle. L'effronterie d'Ahmed, 8 ans, dans une cour d'école a été l'occasion de libérer la parole de " ces gens-là " pour qu'ils disent tout haut, enfin ce qu'ils pensent des immigrés musulmans et de leurs enfants : ils ne sont pas comme nous, ils ne sont pas Charlie. Ils sont donc contre nous et nous devons nous en prémunir dès l'âge de huit ans !

Dans la semaine qui a suivi " l'interpellation " d'Ahmed, 8 ans, un autre enfant de 9 ans ayant déclaré ne pas se reconnaitre en " Charlie " fût embarqué à son tour par la police, puis une autre fille de 10 ans, prononçant la même phrase " interdite " par la " foule ", élève de CM2 dans la ville de Valborme dans les Alpes Maritimes, a été entendue par la gendarmerie sur ordre du parquet. Dans la semaine qui a suivi les manifestations du 11 janvier, les intervenants sponsors, entreprises, médias y compris " Charlie Hebdo " faisaient les premiers comptes des retombées financières du sincère mouvement de soutien aux victimes de Charlie hebdo.

Les médias mesuraient l'impact de l'événement sur leurs audiences ; les politiques scrutaient les sondages d'opinions et ce ne serait pas une surprise d'apprendre, très vite, qu'un cinéaste projette déjà de réaliser un film sur le drame vécu par " Charlie Hebdo ". Quant aux enfants " provocateurs " par le verbe, l'opinion ou la conviction si tant est qu'un enfant puisse en avoir, ils n'ont que deux choix : Etre Charlie ou se taire. C'est bien connu, il y a des limites à la liberté d'opinion et d'expression : ne pas heurter la dignité des autres. Et si les musulmans se sont sentis heurtés par la publication récurrente depuis 2008 de caricatures du prophète de l'Islam, ils ne doivent pas le comprendre comme une provocation, un attaque à leur dignité et encore moins à du mépris.

Ce n'est que pour rire. De qui et pourquoi ? En revanche, si un enfant de 8 ans s'amuse, dans le brouhaha d'une école primaire ou de maternelle à dire des " choses graves ", ce n'est plus un enfant et ce n'est plus pour provoquer les autres enfants. C'est le signe de périls sur la sécurité de l'Etat et un danger potentiel pour la démocratie. Il mérite le traitement de complicité ou soutien au terrorisme, si ce n'est celui d'un terroriste avéré.

Les cas de ces trois gamins emportés dans la tourmente du discours du tout sécuritaire en France est pathétique. Ils sont devenus " étrangers " du jour au lendemain au détour d'une phrase qui heurte un slogan national : " Je suis Charlie, nous sommes tous Charlie ", ce qui veut dire " tu dois être Charlie ", sinon on te reconnait plus et on ne comprend pas ce que tu dis. Ahmed, 8 ans, est devenu soudainement, le temps de prononcer une phrase dans une cour d'école, un étranger, un inconnu, un " Gaspard Hauser ", une énigme sociologique, politique et culturelle. Le terrorisme d'obédience islamique a atteint son but : terroriser la population française, la mettre sur le qui-vive permanent, opposer les communautés et provoquer un séisme politique au sein des acteurs concurrents dans la conquête du pouvoir. Les fous meurtriers Kouachi ont semé ce qu'ils cherchaient : la peur, l'affrontement des communautés et un infini sentiment d'insécurité dans tout le pays. A l'âge de huit ans, les enfants sont fans de " Charlot " qui les fait rire. Les adultes l'ont oublié et ont oublié qu'ils ont tous eu 8 ans, il y a longtemps. Ils oublient qu'un enfant n'aura pas toujours 8 ans. Il sera adulte un jour. Et si on le puni avec autant de fracas parce qu'il a confondu " Charlot " et " Charlie ", il ne saura plus rire, une fois adulte. Même en lisant, devenu une fois adulte, " Charlie hebdo " à qui on souhaite longue vie.