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Des walis moins quart

par El Yazid Dib

On va bientôt les installer ; ces walis délégués. C'est aux agglomérations du Sud et plus tard des Hauts Plateaux que revient l'épreuve des essais. Apres les essais du gaz de «chut ! », l'on fait d'autres sur les mêmes territoires. L'expérience du wali ?trois quarts.

La fièvre de la " wilayite " gagne du terrain. Aussitôt annoncée, la décision du dernier Conseil des ministres tendant à promouvoir 11 localités du sud en wilayas et remettant à plus les autres ; que ces " autres " ont manifesté leur désarroi. Boussaâda est en début de sédition. Barika, El Eulma, Maghnia, Ghazaouet, Frenda? vont suivre. Ainsi la marche et la protestation se sacralisent en la voie la plus plausible de pouvoir être entendue et s'agréent en interlocuteurs valables pour monter en aspirations et en " wilayisation " .

Le pays est en voie d'être encore une fois redessiné. Créer des entités ne fait pas étendre des territoires. Il ne fait pas autant les réduire ou amoindrir les couacs qui les préfigurent. Finalement le gaz de schiste s'avère être un bon découpeur dans la réorganisation. Ce gaz va péter les plombs scellés depuis certaines promesses électorales. Plusieurs localités dans le pays se voyaient ou se disaient avoir la performance nécessaire d'aboutir au statut entier de wilaya. Le découpage administratif ainsi fait par fracturation des avis est plus convaincant que des études juridiques ou des ratios économiques. Rendre des daïras plus hautes que d'autres et moins cossues qu'une wilaya est la toute dernière trouvaille opiacée pour une stabilité, une rétention en l'état. In Salah va passer à moins qu'une wilaya. Touggourt aussi.  

La carte d'une redistribution spatiale a été longtemps un quasi-atout aux mains de joueurs équilibristes. Ce miroir aux alouettes se brandit et retrouve son éclat une fois l'impasse obstrue un dialogue. Le vent colérique du sud, comme la remontée des eaux survient suite à une saturation de patience, cette valeur si légendaire dans les dunes. Il est un sentiment aigri d'une situation d'abandon. Un lâchage. De l'emploi à l'amélioration des conditions de vie ; le cri sonnaillant la détresse n'était pas perçu comme authentique. À chaque alerte l'on ne s'usait qu'à y trouver la main de l'étranger.

L'on y voyait un frémissement conjectural à fortiori saisonnier. De ces profondeurs jusqu'aux officines d'Alger, la chute du cri lancé amoindrissait la réclamation. L'on comprenait mal la pénitence d'un corps démographique assis sur un trésor et souffrant de malnutrition. La famine n'est pas seulement le besoin furieux d'avaler sans mâcher un morceau de pain. Elle est aussi un besoin de regards, d'attentions.

Quand le soleil brille, il étend ses rayons sur toute la sphère de son royaume, quand le sol est généreux il doit aussi mettre dans le profit tous les sujets. Il y a des pays où le bien ne pleut pas mais le fait du dedans, des entrailles de sa matrice. La contestation a gagné du terrain.

Les gens du sud redoutent une pollution des réserves d'eaux souterraines. Le pompage industriel et sans compter, envisagé pour " fracturer "la roche serait une autre blessure causée à la population et un appauvrissement de son environnement dit-on. Le courroux s'est hissé dans les têtes bien avant que les émanations d'un quelconque gaz puissent provoquer le débat géologique adéquat. Les affaires du grand sud dépassent dans leur ampleur actuelle l'approche de la simple revendication environnementale ou le souci d'un écosystème équilibré.

Ainsi dans le but d'apaiser la surchauffe des esprits épris d'écologie occasionnelle comme argumentation politique, l'on fait dans la conscience de la préséance. Faire croire à quelqu'un qu'il est privilégié amadoue son animosité, pense-t-on. Tel un enfant à qui l'on accorde une considération d'adulte. Il fallait accorder une particularité attentive à ce qui se passe dans cette partie d'un pays trop occupé à gérer la perte de son nord.

L'on a trouvé la régulation territoriale comme mode apte à pomper l'irascible opinion sudiste. Wilaya, ou wilaya déléguée ; croit-on aura ses vertus pour faire disparaître les distances de développement, les disparités et congédier à jamais l'indifférence et le faire fi.

Qu'apportera le nouveau statut organisationnel à ces localités ? L'on verra se nommer un Wali-délégué. Pas plus. Soit le chef de daïra en poste, lui ou un autre connaitra une légère hausse salariale, un peu plus d'égards et une nouvelle étiquette. L'exemple de ces Wali-délégués est déjà en filigrane à Alger. Un aveu d'échec se relève à chaque point de débat.

Ils assument pratiquement les taches conventionnelles exercées par tout un chacun des chefs de daïra. Délivreurs de papiers, signataires de documents, compteurs de statistiques, éboueurs en costumes, éradicateurs de l'habitat précaire, filtreurs des effluves, encaisseurs de colères, suiveurs sans engins de chantiers ; ces Walis moins le quart enjoignent du moins leur état le fait, l'Etat à regarder un peu les prérogatives leur manquant.

Que valent-ils sans autonomie financière, sans personnalité juridique? Responsables sans pouvoirs. C'est comme l'on affecte au front des généraux sans infanterie, sans logistique et surtout sans possibilité de commandement ni emprise réelle sur l'hostilité adverse d'un champ impardonnable.

Certains de ces grands commis de l'Etat conservent toujours cet instinct de pouvoir coller contenance et grâce. Agissant sous la houlette d'un Wali plein et entier accusant lui aussi d'autres déficits dans la décision, les potentiels futurs Wali-délégués persévéreront si rien n'est changé à se contraindre au sourire et à l'amabilité citoyenne. L'oreille et la promesse restent les seuls outils de travail. Qui n'a rien ne donne rien. Si la candeur est toujours un signe de seigneurie ; elle se raréfie dans les têtes des exécutifs.

Gérer n'est pas tempêter ou savoir faire la gueule. Encore loin d'imposer son avis altéré et trop officiel le plus souvent désuet et irradié par le changement et la technologie urbaine. La citoyenneté est maintenant plus qu'une qualité, elle est une exigence. L'on ne peut faire cavalier seul ou se mettre aux injonctions de " notables " ou d'élus zélés et croire vivement au sentiment du devoir accompli.  La wilaya est d'abord un peuple et une histoire. Parfois elle plus grande cette wilaya que le Wali qui la gouverne. Dans la mesure où Alger méritait un Wali-ministre, Sétif à l'exemple de deuxième agglomération nationale aurait droit à deux Walis en un. Dans certaines mégapoles urbaines l'unité n'y fait plus l'affaire.

Car si le personnage n'arrive pas à décanter son entourage immédiat intra ou extra il sera vite happé par la place au lieu qu'il le soit par la population, son histoire et son destin. Rares sont ceux qui n'obéissent pas aux sons oculaires de voisinage.

La proximité ne leur est pas un courrier populaire ou une certitude mure et personnelle mais un avis d'un proche auxiliaire ou d'une influence réservée.

Malgré ceci et en l'absence de rambardes statutaires, d'indicateurs de performance et de critères sélectifs objectifs, le Wali ou son délégué demeurera un otage résolu d'un système qui ne semble pas tirer à sa fin. Gérer comme par le passé par la crainte et l''esbrouffe n'est plus de mise avec les réseaux sociaux, la presse et le contrepoids populaire non déclaré ; les émeutes, les coupes de routes, les scandales. Malgré ces cotés négatifs, les contraintes majeures, les risques à prendre et l'imprécision de l'avenir ; l'on continue à faire les intercessions au portillon de ce poste.

L'on dit qu'ils sont des entrepreneurs du risque et de l'initiative. Voilà le mot traitre ! L'initiative ? La seule qu'ils puissent prendre, sans mérite d'ailleurs c'est celle édictée par les règlements. Autrement rien ne bouge sans l'aval d'une entité, d'une conjoncture ou l'ok de quelqu'un. Parfois c'est l'humeur d'en haut qui tient en condition celle du bas.

Tout le monde est à traiter et traite de la même façon. Sans nulle circonspection aux spécificités locales, la norme, comme une règle immuable de droit est abstraite, impérative et générale. Elle s'applique à tous uniformément, et c'est là, la gabegie. Agir à Tindouf selon la même norme applicable à Bejaia, c'est comme prescrire une ordonnance pour toutes les pathologies, sans distinction de l'origine virale ni de l'inégalité génétique du patient.

Donc ce haut fonctionnaire ne peut, eu égard aux attributions " légales " que lui consacre le code de la wilaya se prévaloir d'être le détenteur absolu des atouts de la république. S'il manque de manœuvres dans certaines situations, il en a largement dans d'autres. Sa capacité de représenter l'Etat est cependant quelque part effrénée par manque de visibilité dans la feuille de route qui se rédige sur les hauteurs d'Alger. À défaut de codification précise ; le commun des mortels pense de droit et de facto qu'un Wali est une panacée décisionnelle à tous les maux sociaux. Il construit, il détruit, il attribue, il exproprie, il nomme, il dégomme, il part, il va et revient?une totale obsécration.

Alors avec cette nouvelle configuration d'un énième découpage administratif ; la chose ne semble pas aussi facile que la façon d'y croire. Si le Wali-délégué va veiller pour le compte du gouvernement dit-on à la bonne application de la loi, c'est encore de la philosophie élémentaire des grandes notions de l'Etat et de la loi.

 La diversité de cette dernière prenant à chaque fois de l'ampleur sectorielle, n'arrivera jamais à combler les trous de qui fait quoi. Alors qu'un Wali entier , bien pourvu de tout un appareil, ceinturé de plusieurs " fédérateurs de communes " que sont les chefs de daïra se doit de diriger des programmes le plus souvent planifiés loin des yeux de sa population, que peut faire un Wali-délégué dépourvu d'appareil et ceinturé par des maires hétéroclites ? Il est ainsi mis en directe confrontation, non pas avec des administrateurs mais avec des acteurs politiques agrées et patentés.

Pour parfaire la prise en charge réelle des préoccupations des habitants du Sahara algérien, il ne suffit pas de les alourdir davantage de créneaux creux ou de canaux vides. Une wilaya-déléguée doit être repensée dans une globalité de tout le système organique de la collectivité locale. Si le Wali-délégué ne dispose pas d'un organe délibérateur, d'un subdivisionnaire financièrement affranchi voire d'un mini effectif gouvernemental ayant capacité de trancher localement, il est voué d'emblée au vœu d'une hiérarchie qui a marqué son impuissance. Et pour ce faire, c'est tout l'arsenal juridique qui est sommé de connaitre une métamorphose.

Il est stipulé dans l'article 15 de la constitution que " Les collectivités territoriales de l'Etat sont la Commune et la Wilaya " la wilaya déléguée est ainsi expurgée de tout ancrage constitutionnel. En revanche dans son article 122, alinéa 10 " le découpage territorial du pays " est du ressort du pouvoir législatif, soit le parlement.

Tout est de ce fait clair et nécessite une reforme globalisée. De la gestion des finances publiques à l'exercice des compétences déléguées, les différentes lois et réglementations se doivent d'accompagner le processus réorganisationnel. Ce changement aura aussi à toucher en pratique tous les autres secteurs.              

Le Wali-délégué pour qu'il puisse à bon escient mener ses missions sera contraint d'avoir des vis-à-vis capables juridiquement à se déterminer à tous les actes et soient encore libérés du joug tutélaire. Nous serions dans ce cas dans la mire impérative d'une refonte totale et intégrée de l'Etat. Opérant à moindre mesure au trois quarts d'un Wali normalisé ; ses moyens, en attendant la complétude doivent eux même raisonner à la même cadence. Sinon, garnir pompeusement un bureau, arborer un écriteau au fronton d'un siège, c'est créer inutilement une solution illusoire.