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LA «MAL-COMMUNICATION»

par Belkacem Ahcene-Djaballah

La dernière crise sociétale (tout particulièrement au Sud du pays) liée à ce que l'on pourrait appeler «l 'Affaire du gaz de schiste» a mis, en exergue, une fois de plus, qu'il y a, en ce royaume, quelque chose qui manque. De la communication, tout simplement. De la communication, tout bêtement !

Depuis déjà plus de trois décennies, ou bien plus, les discussions, réflexions et autres séminaires (autour du, et) sous le thème de la communication institutionnelle (disons plus simplement, plus bêtement, publique) ont fleuri. Hélas, les fleurs n'ont pas eu le temps d'éclore et de s'épanouir. Elles se sont très vite fanées sous le poids des organisations bureaucratiques et ... tout simplement, tout bêtement, sous la botte des comportements suffisants et prétentieux de décideurs croyant tout savoir de la chose publique et citoyenne et voulant tout faire par eux-mêmes... toujours, bien sûr, «dans l'intérêt général».

Le pays, et tout particulièrement son Administration, ne possédant ni ne gérant une «mémoire active», c'est-à-dire des écrits et des documents complets, vrais, archivés et disponibles à tout moment, a donc passé son temps à se «refaire», à renaître dans bien des domaines... chacun des décideurs pensant être le premier et le seul à savoir y faire... comme avec une membrane mille une fois déflorée et mille et fois recousue. L'illusion d'être le seul, le premier, le plus fort, le meilleur, le plus grand...

L'inexistence de contenu (s) consistants et structurés dans notre système internet institutionnel encore balbutiant quoi que l'on en pense et malgré les progrès enregistrés ça et là (je ne parle pas des sites et autres blogs des réseaux sociaux qui pullulent, qui brassent de l'information bien souvent sans vérification, sans hiérarchisation, sans tenir compte, pour bien d'entre-eux,de «l' intérêt général»,et qui tirent sur tout ce qui bouge et dans les coins ) ou, bien plutôt le retard mis à le (s) développer, pour des raisons plus égoïstes que raisonnées, relevant surtout du règlement de comptes et de l'incompétence, n'a fait que renforcer le constat de carence.

Etude de cas rapide : Cette «histoire» de gaz de schiste, tout le monde, au Nord comme au Sud, le citoyen lambda comme le spécialiste, savait de quoi il retournait. Ce que ça pouvait rapporter au Trésor public et ce que cela pouvait engendrer comme nuisances à l'environnement des citoyens ! Les télés du monde entier en parlaient. Avec, l'idée, bien assurée, que le pays (l'Algérie) allait immanquablement y venir un jour ou un autre... en prenant toutes les précautions afin d'éviter on ne sait quelle catastrophe. Fallait-il en douter ?

Mais, l'Appareil d'Etat, était alors trop grisé par les effluves sonnantes et trébuchantes générées par l'atmosphère bienheureuse d'un marché international du pétrole euphorique. Préoccupé par des luttes internes liées à l'exercice effectif du pouvoir (celui du moment ou celui à moyen et long termes). Dédaignant ou méprisant les capacités réflexives des cadres «éjectés» des cercles de pouvoir bien souvent manu militari et qui, de guerre lasse ou tout simplement par rancune à l'endroit d'un pouvoir ingrat, se sont alors réfugiés soit dans les oppositions partisanes ou associatives, soit dans les cafés ou dans les colonnes de la presse. L'Appareil d'Etat n'a pas écouté. Même pas entendu les critiques ou accepté les suggestions ou suscité des débats.

Les discussions, les critiques ou réserves sur l'exploitation de cette nouvelle richesse suivirent donc leur petit bonhomme de chemin, surtout à travers la presse privée et les réseaux sociaux, et les «cafés de commerce»... jusqu'au jour où, la bureaucratie arrogante annonça fièrement et brutalement (13 décembre, je crois) au monde, d'ici et d'ailleurs, que «que le forage du puits de gaz de schiste d'Ahnet est achevé»... Presque aucun témoin ! Point final ! Le fait accompli ! Dossier classé ? Toutes les interprétations étaient alors permises.

Explication d'une telle démarche, habituelle au système, il est vrai : frapper vite et fort ; certainement pour faire barrage aux propos pessimistes liés aux baisses continuelles des prix du brent sur le marché international.

Ajoutez-y l'action des écolos (grâce notamment aux réseaux sociaux plus réactifs et plus rapides que les chargés de communication institutionnels toujours en attente du feu vert des «boss»...qui, eux-mêmes, attendent le «feu vert» de leur «boss», qui lui-même...) ; plus, les manipulations politiques et politiciennes... de la part soit de partis, soit de parties ; plus, le chômage des jeunes du Sud qui ne voyaient pas encore arriver les retombées de l'or noir sur leur vie de tous les jours ; plus, le verrouillage, pour raisons sécuritaires impérieuses, des frontières qui ne permettaient plus les circulations informelles de biens, de marchandises et de personnes ; plus... ; plus...

Trop tard ! L'émeute, chez nous, a désormais cette ressemblance avec la vague de mer qui ne s'arrête pas de rouler... devenant même, au bout d'un moment, une sorte de jeu, parfois tragique et pas drôle du tout, en tout cas toujours dommageable économiquement et socialement. Aux foules en colère (ou en «fête», car on ne sait plus faire la part des choses), on peut envoyer mille et un missi dominici, rien n?y fera. Même le sécuritaire ne fait plus peur. Quand on sait que des personnels en colère des Urs qui sont, un jour, «montés» jusqu'aux portes officielles du Palais d'El Mouradia, ont failli pénétrer dans le saint des saints... puis ont obtenu gain de cause !!!!

Tout cela en raison d'une absence de communication. Pis encore, d'une «mal-communication». Confuse, parcellaire, parfois fausse, précipitée, émanant d'une source peu fiable, même si c'est un «haut responsable» (c'est, peut-être, là, le nœud du problème)...

Tout cela en raison du mépris affiché à l'endroit de l'information publique... et à cause de l'inorganisation (ou de l'inexistence) de centres d'émission de l'information, connus et reconnus. Pour tous les problèmes, par tous les citoyens. On en est, toujours, dans «l'information maquisarde», toujours dans l'information centralisée ! Le mépris des capacités réflexives des «autres» ? La peur de la transparence ? La prise de risques minimisée, pour ne pas gâcher sa carrière ? La peur des émeutes ? La peur du Chef ? Dans l'attente de la «Voix de son maître » ?

Ce qui est certain, c'est que, de nos jours, les foules ont pris conscience de toutes ces angoisses et peurs de leurs dirigeants, élus, imposés ou désignés. Pour un oui, pour un non, elles se mettent à exprimer leurs sentiments, bien souvent sur des problèmes vrais... parfois, rien que pour «emm...» des décideurs, toujours taxés, à tort ou à raison, de menteurs ou de cachottiers. La vérité vient toujours en retard, trop tard, avec des coûts sur-multipliés. A ce stade-ci, la presse et tous les experts du monde ne peuvent plus rien «rattraper» et la thèse du «complot étranger» devient ridicule.

Le gaz de schiste sera, inéluctablement, exploité. Les dollars pleuvront une fois de plus et feront taire les «protestataires». Mais, tout cela, au prix de combien de «fractures» sociales et politiques ?... l'environnement étant, en réalité, la «dernière roue de la charrette» d'une société qui se soucie peu de l'hygiène de ses rues et de ses plages, de la richesse de ses terres agricoles et de la santé du voisinage. Et, salut aux vrais et gentils écolos !