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Quid de la domination/soumission ?

par Farouk Zahi

« C'est ainsi que sont charpentés les rapports homme/femme, parents/enfants, patrons/salariés? D'ailleurs, ce mode de fonctionnement est bien intériorisé, c'est-à-dire que les gens l'appliquent, sans même réfléchir, dans le même sens : la même personne qui est « dominante » pour les uns, accepte naturellement d'être « dominée » par d'autres. Regardez autour de vous et vous trouverez de multiples exemples ! » (Sofiane Djillali, ex-S.G. du PRA.)

Voilà dit en peu de mots, un état de fait que nulle législation ou ordonnance présidentielle ne pourra changer dans l'avenir proche. Le rapport homme/femme établi par la tradition, est construit autour de la dépendance économique sous tendue par le machisme sociétal nourri par de supposées vertus viriles. On le constate aisément, chez les familles à prédominance mâle ou à enfant unique masculin ou seul parmi une fratrie féminine. Dès sa prime jeunesse, le petit mâle bénéficiera de traitements de faveur qui le placeront au dessus de lot. Ainsi « anobli », il jouira de considérations sans rapport aucun avec son statut d'enfant ; il peut même, donner l'illusion de suppléer à l'absence momentanée ou prolongée du chef de famille. Pour se prémunir d'éventuels désagréments pendant leur sortie, beaucoup de mères se font accompagner volontiers par le garçonnet ; elles se placent, croient-elles et inconsciemment sous la protection d'un « homme ». La naissance du garçon est encore accompagnée de stridents youyous dans les maternités, la tradition aura encore de beaux jours devant elle. Les débats actuels sur la représentativité de la femme dans les institutions élues participent de complexes refoulés et dont la société n'arrive pas en s'en départir. Cette femme n'est-elle pas recteur d'université, pilote d'avions, chirurgienne, chercheur ? Lui a-t-on déjà réservé des quotas sur les bancs d'école ou dans les suffrages ? La problématique est, sans nul doute, dans l'esprit mais certainement pas dans la loi. L'Etat aura beau tenté de protéger les tranches supposées vulnérables, mais l'échec est au bout du parcours si ceux qui sont chargés de le représenter ne font pas cas des dispositions de l'arsenal juridique mis en branle. Il nous vient, à titre illustratif, à l'esprit cette répartie d'un responsable d'un service social d'une wilaya du Sud auquel on signalait l'errance d'une jeune fille qui se trouvait à la gare routière de l'agglomération : « Je ne peux rien pour elle?sauf si les services de police me la ramène ! ». Ce cas n'est, malheureusement, pas isolé ; il renseigne, un tant soi peu, sur l'immaturité des décisions conduisant le législateur à l'impasse juridique. Les meilleures intentions, ne feront pas dissoudre les innombrables fossilisations qui jalonnent l'esprit d'une société à la recherche de repères identitaires qu'elle croit avoir perdu, soit par le déni colonial, soit par l'autoritarisme sociétal ou encore politique et c'est ce dernier qui est généralement avancé pour avoir bonne conscience. Dans le pays profond, la femme est encore cette « chose » dont on a presque honte. Elle ne doit pas élever la voix en présence d'hommes ou palabrer. Discrète, elle doit immédiatement s'effacer après avoir déposé un baiser furtif sur le sommet du turban des anciens. On appelle çà : « taa' » (l'obéissance). Dissimulée derrière la porte, elle ne devra que chuchoter: « qui est là ? ». Dans certaines régions, elle ne doit répondre en aucun cas, elle se contentera de taper des mains en guise de questionnement.

La liste est malheureusement trop longue pour être, succinctement, énumérée L'enseignant est, malheureusement, ce rempart inexpugnable qui parfois s'oppose à la candeur enfantine. L'enfant est « mal vu » lorsqu'il se fait accompagner par sa mère. Le « cheikh » exigera souvent la présence du « ouali » (père) alors que ce vocable désigne sémantiquement le tuteur qui peut être dans certains cas la mère. L'enfant conditionné, ne s'offusque pas à l'énoncé d'une quelconque frasque de son père, mais il est épidermique à l'évocation de sa mère et quelqu'en soit le motif.

Cet élevage forcé du mâle à l'idée que le sexe opposé est générateur de déshonneur, est une invalidité à vie que la société trainera durablement et pendant de nombreuses générations. A moins que de nouvelles mœurs viennent bousculer les préjugés et autres tares psychologiques. Ces nouvelles mœurs peuvent être inaugurées par le législateur et le décideur eux-mêmes. L'exercice serait que les personnalités politiques du pays commencent par amener leurs épouses aux diners et banquets officiels. Que les responsables des formations politiques qui accordent une place de choix à la femme dans leur programme politique, invitent leurs épouses et leurs filles à participer à leur vie partisane à l'effet de donner l'exemple. La domination qui n'est, parfois, sans aucune emprise réelle, mais suggérée par le comportement du vis-à-vis en quête de protectionnisme, s'exercera toute voile déployée. Dans le registre opposé, que ce soit la femme ou même l'homme, la soumission est offerte à toute partie qui peut se prévaloir d'un statut social particulier, de moyens matériels spécifiques ou de tout autre avantage singulier. Aucune tentative d'émancipation ne pourra les extirper du carcan dominateur. Allez demander à un membre d'une confrérie religieuse de se rebiffer contre le vénérable cheikh de la zaouïa ; non seulement il vous traitera d'impie, mais risque de vous livrer aux pires gémonies. Tentez de libérer des esprits d'une prétendue domination, ne fera que susciter les contre coups, souvent fâcheux, d'une soumission volontairement consentie. N'a-t-on pas parlé d'un cortège ministériel lors d'une visite, qu'on appelle d'inspection et de travail, qui a fait le crochet pour honorer la waâda (offrande) de telle confrérie ? Aussi, sans vouloir occulter le mérite des uns et des autres dans les cirlocutions qui cogitent, en ce moment, dans les travées du parlement, la femme ne pourra se libérer que par elle-même et par son seul mérite. Sans assise légale et surtout sans tuteur, la femme algérienne connue mondialement comme « poseuse de bombes », a fait partie des premiers contingents estudiantins qui déclenchèrent la grève de mai 1956, des martyrs du 11 Décembre 60 et du 17 Octobre 61, elle a fait partie de la Constituante post indépendance? elle a été de tous les combats.

Que dire encore de ces rapports chef/subalternes, exécrables ? Fait de soumission, il n'y a pas d'autres mots plus explicites que celui-ci pour définir, cette relation entre « dominant » et « dominé ». Elle n'est pas faite de respect mutuel, mais d'allégeance au sommet de la hiérarchie non pas comme institution, mais le plus souvent comme personne. Dans une récente réunion d'une auguste assemblée de wilaya, un membre élu s'est vu vertement rappelé à l'ordre par le président pour avoir dit quelques vérités crues à l'endroit de ses collègues laudateurs qui excellent dans le discours dithyrambique.

La curée ne fera qu'une bouchée de ce « rebelle » dont les aspérités caractérielles ne répondent pas aux spécificités techniques de l'élu bien lissé.