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Un riche chiffonnier sentant sa mort?!

par Amara Khaldi

On l'appelle dans le langage courant «Souk Echiffoun», le marché du chiffon. Cet événement très populaire existe dans la plupart des agglomérations du pays. Il a curieusement l'art d'attirer la plus grande concentration de femmes et de jeunes venant de tous les horisons.Les hommes, moins nombreux, se montrent généralement plus discrets dans ces endroits.

Dés l'aube des centaines, voire des milliers de personnes de tout age et de toute condition affluent vers ce lieu où se tient le marché hebdomadaire de la friperie.

Les marchands,venus la veille des quatre coins du territoire s'arrangent pour installer avant le lever du soleil leurs tréteaux sur lesquels ils vont exposer des tonnes d'effets vestimentaires Chacun d'eux vise généralement les besoins et les goûts d'une catégorie bien déterminée qu'il essaie d'attirer par l'achalandage de son étal :il y a le spécialiste de l'enfant,celui de la femme,des vêtements de travail ou des fringues à la mode pour ado ;des chaussures ou des trainings pour sportifs,des effets de literie,des lots de ceintures et même de chapeaux aux formes et aux couleurs bizarroides.Les habitués des lieux savent où se procurer parfois des marques dégriffées avec un choix très vaste et des prix à la portée des petites bourses ;c'est-à-dire en premier lieu à celle de ce qui reste de la classe moyenne et même des plus pauvres.Certains petits malins leurs collent les étiquettes de grands couturiers et les remettent dans le circuit des boutiques de luxe pour les bagarras.

Dés que les différents moyens de transport commencent à déverser une foule bigarrée et festive chacun s'empresse de faire le tour des travées du marché à la recherche de la meilleure occasion à saisir. Pour les plus difficiles il est parfois nécessaire de faire plusieurs tournées pour fixer leur choix ou simplement pour satisfaire leur curiosité. Au milieu d'une cacophonie de criées amplifiées par les mégaphones annonçant le bradage de telle marchandise ou les mérites de tel autre produit on a de la peine à s'entendre. On rencontre au hasard de la randonnée des personnes qu'on ne pourrait jamais soupçonner de fréquenter ce genre de foire que certains ont injustement associé aux laissés pour compte.D'autres le considèrent tout bonnement comme le point de chute des épaves humaines, une illustration de la déchéance sociale.

L'ego de certains prend-il un coup en portant les vêtements déjà utilisés par quelqu'un d'autre ?

Parmi cette foule il y a ceux qui viennent faire leurs emplettes pour leurs propres besoins et il y a ceux qui achètent en gros par ballots entiers pour approvisionner leurs échoppes en ville.

Les veilles de fêtes et de la rentrée scolaire c'est carrément l'envahissement. Au delà des prix pratiqués c'est avant tout la fiabilité du produit qui est recherchée et la plupart du temps on trouve des vêtements neufs ou portés au plus une seule fois avant de passer à la blanchisserie et emballés.

Ce qui change des produits proposés par les grands magasins mais de piètre qualité malgré leurs prix prohibitifs.Ils sont surtout destinés pour ceux qui gagnent beaucoup sans trop transpirer.

Voyant que tout le monde commence à les déserter et à se rabattre sur la friperie pour les avantages qu'elle offre au consommateur, quelques gros bonnets de la confection, dérangés dans leur bizness, n'ont pas trouvé mieux que de l'accuser de véhiculer des maladies après l'avoir incriminé en vain de mettre en péril le secteur de l'habillement.Pour chatouiller la fibre nationaliste,ils nous enveloppent tout cela dans leur souci hautement patriotique de la salubrité publique et de l'intérêt de l'économie nationale .En réalité chacun peut facilement comprendre qu'au fond ce n'est qu'une vulgaire cabale visant à éliminer un sérieux concurrent qui menace dangereusement leur hégémonie sur ce créneau.

Sous la pression de ce puissant lobby et apparemment sans aucune étude sociologique préalable des habitudes de consommation de leurs concitoyens, les responsables du secteur ont vite adopté la thèse des commerçants et autres importateurs de la camelote taiwanaise.

Du jour au lendemain on jugea que ces produis étaient nocifs pour la santé de la population pour justifier l'arrêt de leur importation !

Comme d'habitude nos députés ont, sans trop se fouler la rate, entérinés ces mesures sans aucune réserve.Il est vrais qu'un regard toujours rivé cupidement sur les cimes du pouvoir et de l'argent ne peut saisir le tempo de la plèbe ni ses problèmes, encore moins ses attentes. La logique aurait du recommander d'observer en premier lieu comment sont habillés la plupart de leurs électeurs et de tirer la conclusion à formaliser en connaissance de cause au lieu de se hâter de favoriser les objectifs des barons du domaine. Le fait même que la plus grande proportion de la clientèle soit composée par la gente féminine réputée pour son exigence et son sens des affaires renseigne à lui tout seul sur l'utilité et l'opportunité de ce genre de marché qui existe normalement sous d'autres latitudes sans soulever la moindre d'inquiétude. Que celui qui estime appartenir encore à ce peuple prenne la peine de consulter le peuple « brut à l'état massif » parce que plus spontané, donc plus représentatif de l'Algérie profonde !

A part quelques jeunes fortunés qui peuvent se permettre «elmarka » les autres, c'est-à-dire la frange de la jeunesse laborieuse et des petits salariés au pouvoir d'achat limité et surtout la nébuleuse des désoeuvrés constituent la clientèle assidue de ce type de marché. Au lieu de revoir leur stratégie de vente et éviter les erreurs qui ont conduit à la perte progressive de grands segments de leur clientèle, les commerçants du prêt à porter, contre toute logique, persistent à proposer dans les mêmes conditions des produits rebutés par la clientèle.

Pour expliquer et justifier leur difficultés à écouler leurs stocks ils n'ont pas trouvé meilleur bouc émissaire que la friperie qu'on a chargée de tous les maux de la société entre autres celui de colporter des germes de curieuses affections. Pourtant personne n'a entendu parlé d'une quelconque pathologie qu'on peu lui attribuer formellement et en toute bonne foi.

En contre partie nos illustres représentants, en épousant la thèse de l'interdiction d'importer ont malheureusement oublié de nous indiquer la moindre alternative c'est-à-dire : comment nous habiller même modestement avec la faiblesse de nos moyens financiers.Mais puisque c'est un problème qui ne les concerne plus directement?

Eux, ils peuvent se permettre de se payer des fringues à coup de millions sans aucun souci, quand la majorité de la population n'ose même pas faire du lèche vitrine là où ils sont exposés tellement ils sont hors de portée. S'ils nous privent encore de l'ultime recette qui reste au pauvre pour habiller sa marmaille grâce à la friperie comment allons-nous faire.

Du temps où il y avait une production nationale abordable donc capable de suppléer à cette formule qui peut évoquer pour les plus sensibles tout de même une forme de dégradation du statut social,la friperie n'avait pas sa raison d'exister.Elle était inutile et personne ne comprendrait l'idée d'encourager une concurrence à ses propres produits qui satisfaisaient amplement la majorité.

Mais comme, sous les injonctions perfides du Fmi, nos décideurs ont été forcés de se plier à ses conditionnalités parmi lesquelles la fermeture des unités industrielles de ce secteur, le démantèlement des barrières douanières et l'ouverture de notre marché devant tous les rebuts de la planète, laissez-nous au moins la possibilité de ne pas nous balader en tenue d'Adam et d'acheter au moins quelque chose de sûr.

Rappelons-nous combien ils avaient fière allure les copains à Beloumi, Madjer et consorts de la fameuse équipe de 82 avec leur éclatante tenue aux couleurs de l'emblème national, dessinée et fabriquée par nos tailleurs de la Sonitex.

Hormis quelques supputations personne n'a pu nous expliquer jusqu'à maintenant pour quelle raison on l'a tout de suite abandonnée définitivement pour lui substituer la tenue blanche genre sous vêtements ou encore l'affreuse tenue vert crapaud. A l'époque l'Algérien pouvait se payer facilement la belle chemise Redman, le blouson de cuir et les chaussures Sonipec, les costumes de Bejaia, et tout ce que fabriquaient nos usines ; tous des produits auxquels on pouvait faire confiance et d'une qualité appréciable comparés à ceux qui nous envahissent maintenant. Comme pour la pièce de rechange le consommateur évite ; comme la peste, celle dite de Taiwan et lui préfère la pièce d'origine même usagée parce qu'elle est plus fiable. A cause de la médiocrité et de la cherté des produits de gamme moyenne destinée en principe au grand public les gens sont obligés de se rabattre sur la friperie dont le rapport qualité/prix est de très loin plus avantageux. Dans la situation actuelle du pouvoir d'achat qu'y a-t-il de vraiment dégradant à fréquenter et à se vêtir à la friperie.De grands pans de la société se servent sans se cacher de cette possibilité encore à leur portée.

Nos spécialistes devraient nous expliquer un jour, comment les Algériens ont été amenés à y recourir pour se vêtir ?

Ce qui est honteux par contre c'est de plier trop complaisamment sous le dictat des barons de l'import import et de vouloir contraindre les gens à se saigner pour acheter de la m?