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08 mai 1945: il y a 65 ans?le printemps sétifois

par El Yazid Dib

L'histoire de l'Algérie n'est qu'une longue marche. Les haltes y sont nombreuses. Celle « des massacres du 08 mai 45» est l'une des plus cruelles. 45 000 martyrs et des milliers de blessés se dressent encore contre les parois de l'oubli. Il y a longtemps, le printemps s'arrosa de sang et de fer.

L'épi connaît sa floraison au mois de mai. A Sétif ou ailleurs. La différence c'est que dans cette contrée où l'on compte plus de 832 chahids intra-muros, le Mai ne se compte plus comme une mensualité d'une éphéméride. Qu'il soit de calendrier grégorien ou hégirien. Ce n'est plus une chronologie, ni un repère temporel. C'est une éternité. Un arrêt mobile. Terrible et atroce, mais rédempteur.

 Le souvenir, paraît-il, ne serait créé que pour revivre l'émotion et y percevoir le sacrifice. Le 8 mai devrait ainsi être perçu par tous comme un crime atroce impardonnable tant la froideur du meurtre commis à grande échelle est restée là, simplement dans le discours. Justice doit être rendue. Il ne s'agit pas d'un banal homicide. Le temps y a consigné gravement un génocide interrégional. Sétif, Guelma, Kherrata, Constantine et autres bourgs sont en permanence dans un état de veille. Cette attente ne saura connaître son épilogue sans qu'il y ait un châtiment à juste valeur de la barbarie subie.

 L'histoire n'est pas simplement une affaire de coupe ramenée fièrement d'Alger pour la désaltérer en apothéose des cris de milliers de supporters. Elle est ici comme une hirondelle. Aux premiers bourgeons, le souvenir se lève pour venir pointer ses affres dans chaque cavité citoyenne. Il se réveille, en désobéissance à l'oubli et vient chaque année encore tarauder l'amnésie. Il le fait comme le fera un papillon raflant dans la stricte douceur le nectar vivifiant. Le printemps est le signe de la beauté et du merveilleux. Mais, Mai à Sétif est autre chose. Le Mai d'une année qui passe sera un autre mai pour une année qui se consomme.

Le dernier Mai, il y était question, toujours de souvenances mais aussi d'actions ruminantes événementielles. La salle des fêtes. Rénovée et égayée au bonheur de tous, elle annonçait le départ d'un renouveau culturel.    Cet endroit qui fut, un certain temps, le réceptacle de diverses activités, dont étaient privés les autochtones, ne fut en fait qu'une salle pour les fêtes des colons. Ils y jubilaient. Valsaient. Le décor est un peu tiré de ces années-là. L'assistance, progressivement nombreuse, comptait beaucoup plus d'officiels, de jeunes étudiants et curieux que de témoins ou porteurs de faits. Il y avait néanmoins des figures connues pour leur militantisme silencieux et loin des feux de la rampe.

 La ville avait voulu ouvrir les festivités par un colloque qui mériterait quand bien même d'être internationalisé. Se contentant d'intervention locale, la salle, captivée par l'orateur, semblait s'entendre se dire, par conviction, que le 08 Mai 1945 reste une date historique dans l'éveil des cœurs. Le sursaut national n'était en finalité que salutaire.

 Le 08 Mai est aussi une évocation, une perception et une autre première conscience. Itérative et recommençant le décompte du 8 jusqu'à l'infini. La narration de l'évolution historique des nations a été de tout temps empreinte de hauts faits et de mémorables moments. L'histoire de l'Algérie combattante demeure dans toute sa dimension, une leçon de bravoure, une démonstration de l'effort et un accord dans les énergies patriotiques variées.

 La science devait être pour nous source de pardon quand la divergence de la vie rend impossible la vie. La perception des préceptes religieux n'est pas une exclusivité propre à une caste ou un parking de savoir théologique, réservé uniquement aux détenteurs d'une quelconque autorisation de stationner. La diffusion de la science est d'abord un devoir d'Etat, il est général, la religion étant un devoir divin. Il est intime et personnel. Le droit, quant à l'acquisition de l'outil scientifique et instructif, s'allie étroitement à la qualité citoyenne.

En tout cas, cette journée devrait être un arrêt de bilan qui n'aurait pour résultat que de créditer davantage la lutte, sans merci, contre l'analphabétisme élémentaire, les pratiques obscurantistes et les déviations sociales. En plus de ces fléaux, d'autres maux plus complexes viennent imprudents et parfois grossiers, tels que la menace de l'union, le chantage à la démocratie et l'altération des mœurs, agrandir la blessure du corps national. Mai 45 deviendra ainsi une relance, nonobstant son annualité apte à hisser par rétrospective le sentiment à la hauteur du sentiment national.

 Les jeunes qui s'y trouvaient, filles et garçons venant droitement de l'Institut des sciences de la communication, apparaissaient se chuchoter que notre combat ira à l'endroit des formulations médiatiques, en vue d'y apporter un rôle socioéducatif national en s'inscrivant dans ce sens, en dehors de tout penchant politicien de quel bord que ce soit. Ils venaient pour la plupart de découvrir certains acteurs encore en vie, victimes ou témoins de ce mardi noir inoubliable.

 Ils devraient se dire que le combat ira tout aussi vers les minbars des mosquées où seule la parole de la vérité absolue devra prévaloir à toute autre considération de soutien à un régime ou à un autre. La science et l'histoire sont justement dans la sentence de ces « ahli el ilm ». C'est à eux qu'incombe la mission de réussir là où la loi humaine, incapable, enregistre l'échec de la résurgence sociale. Mais, l'imam n'est pas un appendice du système, encore loin d'un parti. Il devrait savamment ne point se limiter à l'explication du statut personnel ou à la vulgarisation des causes d'annulation des ablutions. Authentique, juste et véridique, il sera comme un chandelier dont la lumière n'évitera aucun coin ni recoin de l'espace à illuminer. Du présent ou de l'au-delà. Le mois de Mai qui a édifié le djihad et le refus du fait colonial a aussi ses grandeurs dans ces prêches.  

Sous peine d'explosion, l'union de la nation doit savoir comment négliger le goût volcanique, impropre et impur, qui remue l'esprit des prétendants au « trône » de l'histoire. Les péripéties douloureuses de l'histoire vont et s'étendent de l'occupation à l'indépendance. Rien ne différencie un fait d'un autre. Des événements génocidaires de 1945 à l'expérience chimique aux essais nucléaires de Reggane, passant par les enfumages de douars et de dechras, l'unité de la demande doit être unique et exclusive. La repentance, la reconnaissance et le dédommagement sont, par principe, une voix nationale vers la voie de la raison et de la justice universelle.

 Pour atteindre tous ces objectifs, il est du devoir de tous les actants agissant à tous les segments de savoir confondre un objectif même ayant multiples issues et différents accès et ses diverses approches. La scission d'abord dans la culture, ensuite dans la pensée et dans le projet de société, est à éviter par l'acceptation de la différence justement dans la vision et la divergence dans l'idée. La concertation qui est une convention morale entre la science et le bon sens de l'homme, demeure l'unique moyen de conserver encore la cohésion du pays.

 Se mettre en accord pour une équité historique. Le savoir est un comportement de tous les jours, une tolérance et une raison pour toujours. L'instruction conforte ses assises.

L'omission n'est qu'une tendance humaine. Quelle est donc la meilleure méditation que l'on puisse faire face à ces tragiques « incidents » ? Le 08 Mai, comme toutes les dates phares de l'histoire algérienne, doit servir, outre la commémoration, d'escales de recharge du sentiment national. Novembre 54 n'était-il pas déjà dans l'embryon de Mai 45 ? L'inversement de chiffres résulterait-il d'un oracle providentiel ?

 Rabâcher, radoter, venir et revenir, crier et gueuler, dire et redire : Ne pas oublier ! Se souvenir à satiété. En parler. Ecrire les récits dans leurs profonds détails. Conjoncter Coupe et Mai, Reproduire l'événement, reconstituer les faits? Pour ce faire, à mon tour de rabâcher, redire et resuggérer pour une énième fois :

1/ L'éternisation du souvenir, par la construction d'un grand complexe dominé par un monument gigantesque, où une zone de silence ou du chahid inconnu ferait office, d'un office de méditation et de prière. Cet espace portera le nom de Saal Bouzid, premier martyr de ces événements. Ainsi, son âme pourrait s'évader de ces arcades lugubres que constitue sa stèle murale.

 2/ Réfléchir à constituer sous une forme légale, associative ou organique un mouvement de souvenance à intituler à juste intitulé « M.A.I. 45 » (Mémoire, Action et Initiative)

 3/ L'institution à Sétif d'un colloque international relatif au « 08 mai 1945 ». A périodicité annuelle.

4/ Entreprendre, suite à ce qui est proposé ci haut, toute action pour replacer Sétif dans son véritable piédestal de Ville-martyre. Sétif sera ainsi connu et reconnu par son 08 mai 45 et non pas par son Entente sportive ou Ain Fouara. Car derrière cette date historique, se cachent dans nos mémoires 45 000 vies, plus importantes que les 07 encore que toutes les coupes.

Enfin, si l'oubli guette à chaque coin de l'histoire l'homme vivant, qu'en sera-t-il alors de la reconnaissance à rendre à titre posthume à ceux ou celles qui ont contribué à la lutte contre cet oubli ? Bachir Boumaaza, figure emblématique de tous nos combats, mériterait à cette occasion que son nom et son envergure soient rattachés à quelque chose qui se fait de grand à Sétif. Tout le monde garde de cet homme une image d'un Algérien jusqu'aux os.

 Fidèle à une ligne de conduite morale, il saura dans un cadre approprié le comment sauvegarder la mémoire. En créant la fondation du 08 Mai 1945, lui le natif de Kherrata, une arène de monstruosité à l'époque de ces événements, il aspirait à ramener la France colonialiste à faire son mea-culpa et partant hisser Sétif, Guelma et autres villes, au rang de grandes villes martyres. Dont acte.