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La sécurité alimentaire : dans le corollaire du savoir et de la gestion durable des ressources

par Abdelkader Khelil *

Dans mon article du 1er avril 2010 «l'Algérie, dans la conjoncture d'une crise alimentaire à l'échelle planétaire», paru sur les colonnes du Quotidien d'Oran, j'avais largement évoqué l'esprit de mobilisation qui anime certains pays et multi-nationales, dans leur quête de solutions à leurs problèmes alimentaires et énergétiques, tout en évitant de traumatiser nos concitoyens, déjà secoués dans leur quotidien par des inquiétudes et des angoisses de diverses natures, au point d'en rajouter «une couche» à leur désespoir.

Il s'agissait pour moi de dire que la question de la sécurité alimentaire est éminemment stratégique, au point où elle peut prendre des formes néocoloniales d'appropriation de potentialités agricoles extra-muros. Tel est le cas du continent africain, où l'on comptabilise déjà, une attribution de plus de 7,3 millions d'hectares, portant ainsi atteinte à la dignité des autochtones et à leurs droits à l'accès minimal à la nourriture. Mon propos était aussi de dire que si notre pays n'est pas démuni d'atouts pour n'avoir pas exploité de façon optimale toutes ses potentialités, il n'est pas pour autant à l'abri de difficultés à venir, s'il continue à ne considérer la formation des hommes, ressource stratégique de demain, que sous son aspect quantitatif. Dans ce cas, il est à craindre que nos centres du savoir ne soient en mesure de porter le rêve d'une nation ancrée dans son siècle, si la dynamique interne de notre société n'est pas inscrite dans l'évolution d'un monde ouvert sur le progrès. Cet objectif majeur sous-tend bien évidemment une vision et un cap à un horizon déterminé, autour de la question de la maîtrise des connaissances scientifiques et techniques et des savoir-faire dans tous les domaines et particulièrement celui de notre alimentation. Si notre jeunesse reste insuffisamment outillée face aux défis de son siècle, cela ne veut pas dire pour autant que rien n'a été fait pour la formation des hommes ! Bien au contraire, jamais pays n'aura autant investi que l'Algérie dans la réalisation d'infrastructures universitaires et tout particulièrement au cours de cette dernière décennie. De la sorte, l'on est arrivé à contenir les flux d'étudiants, mais sans pour autant garantir une formation de qualité, à hauteur des exigences et des standards internationaux. Cette situation trouve son explication dans le fait que l'université algérienne est restée longtemps «recroquevillée» sur elle-même, puisque faiblement ouverte sur son environnement socio-économique immédiat et sur l'international.

Il est vrai qu'à l'instar de bien d'autres institutions, l'université a connu des difficultés qui ont failli la marquer durablement, si ce n'était l'abnégation, le courage et la détermination d'un corps enseignant qui a continué à dispenser des cours, souvent au péril de sa vie, durant la décennie 90, où le savoir et la connaissance n'étaient pas tolérés par les hordes sauvages. Après cette parenthèse fermée de l'intégrisme qui a porté atteinte à l'image de notre pays et qui a forgé son isolement au plan international, notre survie en tant que nation dans l'ère de l'après-pétrole reste cette fois-ci intimement liée à notre capacité à maîtriser les process et les innovations technologiques et à développer des formes de créativité. Cela veut dire que la décennie à venir devrait être celle de la qualité et de la performance. Ce défi autour de la maîtrise du savoir est à notre portée, pour peu qu'on soit suffisamment habiles pour tirer profit de cette mondialisation qui nous offre aujourd'hui l'opportunité de disposer à l'échelle internationale d'un potentiel de scientifiques, d'ingénieurs et de techniciens marginalisés dans leurs pays d'origine, pour cause de délocalisation de leurs entreprises. Notre ouverture à l'universel, sans discrimination, ni a priori, devrait nous amener à inscrire la dynamique interne de notre société dans l'amorce d'une authentique coopération multisectorielle, si bénéfique à nos centres du savoir et à nos institutions. C'est là, un impératif et une urgence, eu égard au classement de notre pays qui occupe la 23ème place sur le top 100 africain et la 29ème place sur le top 100 arabe, selon le site Ranking web of word Universities. Le classement africain étant largement dominé par l'Afrique du Sud et celui arabe, par l'Arabie Saoudite. Au plan mondial, l'Arabie Saoudite 1ère dans le monde arabe se classe à la 197ème place et l'Afrique du Sud, 1ère en Afrique, à la 405ème place. L'Algérie n'est classée qu'à la 4.116ème place et le Maroc à la 3.653ème place.

Notre position, d'un pays à la traîne, tient au fait qu'on ait perdu les bons réflexes des années 70, accumulant ainsi des retards dans bien des domaines, même par rapport à nos voisins immédiats, alors que l'Algérie a été pour eux et pour bien d'autres, le point de mire et dans bien des cas, une source d'inspiration. Malgré leurs positions également non enviables, ces pays ont su quand même inscrire leurs dynamiques de développement dans des cheminements productifs. Chez nous par contre, la rente pétrolière continue à inhiber notre pensée et à entretenir notre subconscient de «nation riche», au point où l'on s'est pris à rêver à notre sécurité alimentaire, sans trop d'efforts et sans maîtrise de savoir paysan, autre que celui américain, canadien, français, brésilien ou argentin, autrement dit, celui de nos principaux fournisseurs en denrées alimentaires. Dans tout cela, l'on aura oublié l'essentiel, à savoir que le travail est la seule vraie richesse pérenne et la seule alternative pour une société comme la nôtre, qui devra se défaire de ses attitudes prédatrices, en considérant définitivement les richesses de son territoire, dans ses dimensions sol et sous-sol, comme un emprunt aux générations futures et non comme une «rente viagère» qui gratifie notre paresse collective et attise les convoitises. Dans le monde d'aujourd'hui et plus de demain, l'on ne pourra se forger un destin de pays émergent, que si l'on aura compris que c'est dans la pérennité et la considération de la ressource humaine, que réside le secret de la réussite. En effet, pour avoir su tirer leurs forces de la mobilisation de leur intelligentsia et de la civilité qui régit les rapports, dans un même élan, qui est celui de l'intérêt national, des pays comme la Chine, l'Inde, le Brésil, la Corée du Sud et bien d'autres, nous indiquent aujourd'hui la voie à suivre.

 Avec sa ressource humaine lo- cale et celle d'outre-mer, l'Algérie a les moyens de ses ambitions et de sa modernité, pour peu que l'on puisse sortir des effets d'annonce et des shows médiatiques et évènementiels, sans lendemain, pour s'inscrire durablement dans une volonté nationale du compter sur soi, sans autre arrière-pensée que celle de la quête de la dignité retrouvée. Avec près de 400.000 cadres, dans différents secteurs économiques européens, selon le réseau des Algériens diplômés des grandes universités françaises, auxquels s'ajoutent ceux qui la servent au quotidien, l'Algérie n'est certainement pas démunie d'atouts pour jouer son destin à l'international. L'assistance de cette diaspora qui atteindra près d'un million de cadres en 2020, dont bon nombre sera compté parmi les décideurs des grandes institutions européennes, devrait lui permettre de relever le défi du millénaire et d'améliorer sa position dans le top 100 des universités, tout au moins des pays arabes et de l'Afrique. Dans cet objectif d'un meilleur classement, sa mise en réseau avec la ressource locale est, certainement, un acte bien inspiré de bonne gouvernance et un geste salutaire pour la réhabilitation de nos centres de savoir et de nos secteurs économiques. Encore faut-il préciser que cette action d'intégration n'a de chance d'aboutir, que si elle est convenablement encadrée au niveau national, afin d'éviter qu'elle ne soit soumise à l'appréciation individuelle des responsables d'institutions d'accueil, qui considèrent bien souvent cet apport extérieur comme une restriction de leur champ de compétence, ou comme une menace par rapport à des positions acquises. L'encadrement de cette opération par un dispositif d'observation continue est d'autant plus impératif qu'il s'agit de rattraper au plus vite le temps perdu, en faisant les bons choix et en émettant les bons signaux, donnant ainsi la possibilité à nos jeunes universitaires de s'adapter à l'évolution d'un monde en perpétuel mouvement. Cela requiert de la permanence dans la formation continue de nos enseignants et de nos chercheurs, le recyclage de nos ingénieurs et techniciens et leur mise à niveau, à hauteur des défis du millénaire. Cette manière de capitaliser le savoir-faire et la connaissance doit trouver son prolongement dans l'encadrement approprié de nos secteurs productifs et de nos exploitations agricoles.

L'on peut penser que cette nécessité d'un «ratissage» large et d'une mobilisation de la ressource humaine d'ici et d'ailleurs, ainsi que l'ouverture de nos institutions à la coopération, peut paraître démesurée ! Mais, l'est-elle réellement, quand il s'agit de notre sécurité alimentaire, autrement dit, d'une question déterminante pour notre souveraineté nationale ? Bien au contraire, l'erreur serait de continuer à percevoir la question alimentaire, comme relevant des prérogatives du seul secteur de l'agriculture. Elle fait plutôt appel à la synergie et à la convergence intersectorielle, dès lors qu'elle reste intimement liée à notre capacité à fournir l'eau nécessaire à l'irrigation, à produire des engrais et des produits phytosanitaires, de l'outillage et des machines agricoles, à réaliser des chaînes froid et à améliorer l'efficience du tissu d'unités de transformation agro-alimentaire. Elle est aussi affaire d'aménagement du territoire, dans la mesure où il y a autant de types d'agriculture que de terroirs. Elle fait également appel à la mobilisation du secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, dans la perspective de l'émergence des pôles d'excellence et de compétitivité, que sont les agropoles. C'est pourquoi, l'on est tenté de dire que cette question vitale pour le devenir de notre nation relève d'un caractère horizontal, de décisions et d'actions et mérite par conséquent d'être placée au cœur d'un dispositif de veille et d'observation, au plus haut niveau de l'Etat, comme le sont toutes les questions qui touchent à la souveraineté et à l'intégrité territoriale.

C'est là, me semble-t-il, le mode de gouvernance le mieux approprié pour l'encadrement de cette question prioritaire qui reste par ailleurs intimement conditionnée par la mobilisation de la ressource humaine à différents niveaux sectoriels et par une solidarité intersectorielle agissante, autour de programmes prioritaires de sécurité alimentaire en produits stratégiques de première nécessité. Cela a été fait par le Commissariat à la Recherche Scientifique et Technique en 1986 et on a même failli réussir, si ce n'était la dissolution prématurée de cette structure, sous tutelle du Premier ministère, une année à peine après sa création. L'on devrait concentrer nos moyens scientifiques et techniques sur les axes de nature à réduire notre vulnérabilité alimentaire en terme de couverture de nos besoins essentiels, eu égard au fait que l'Algérie reste parmi les 10 premiers pays importateurs de denrées alimentaires dans le monde et le premier en Afrique.

 Avec un ratio (superficie agricole utile par habitant) de 0.24, notre pays n'est pas moins loti que le Maroc (0.28) qui réalise pourtant de meilleures performances ou que la Syrie (0.27) qui arrive à s'autosuffire en céréales, tout en dégageant un excédent pour l'exportation. La Tunisie (0.48) qui couvre ses besoins en céréales à hauteur de 90% et la Libye (0.56) sont mieux nanties que nous, alors que l'Egypte qui ne dispose que d'un ratio de 0.05 s'oriente vers l'utilisation maximale des eaux du Nil pour l'irrigation et vers l'appropriation de nouvelles terres en Afrique (Ouganda, Soudan?). Si l'on considère que la satisfaction de nos besoins en fruits et légumes, en pomme de terre, en tomate industrielle et en viandes rouges, est satisfaisante, l'on doit porter nos efforts sur les céréales et dérivés, le lait et dérivés et les légumes secs pour lesquels notre dépendance est respectivement de 70%, 58% et 85%. Pour ce qui concerne le sucre, le thé et le café, notre dépendance est de 100% et elle continuera à l'être, dès lors que ces cultures ne sont pas pratiquées chez nous, au même titre d'ailleurs que pour les oléagineux. Il importe cependant de dire que nos espaces céréaliers ne sont nullement comparables à ceux de la Beauce, de la Picardie et encore moins du Canada et des Etats-Unis. Mais il n'y a pas de raison que l'on soit moins performants que la Syrie et la Tunisie, pays aux conditions pluviométriques généralement moins favorables. L'on devrait être capables de réaliser une performance à hauteur d'une meilleure couverture de nos besoins en céréales, pour peu que l'on considère que la question alimentaire relève d'un choix stratégique et d'une réelle volonté collective. Il faut faire remarquer qu'à la faveur des efforts colossaux déployés en matière d'investissements hydrauliques (25 milliards $ hors stations de dessalement), l'Algérie dispose dès à présent d'un parc de grands ouvrages composé de 72 barrages, soit une capacité de 7,4 milliards de m3. De même, le dessalement de l'eau de mer est pratiqué dans 23 stations auxquelles s'ajoutent 11 autres en cours de réalisation, soit une production évaluée à terme à 900 millions de m3/an. A noter aussi que la capacité d'épuration des eaux usées est estimée à 600 millions de m3/an et que les superficies irriguées atteindront 1,7 million d'hectares.

 A cette mobilisation conséquente, s'ajouteront également dès le moyen terme des transferts sur les Hauts Plateaux à partir de la nappe albienne. Ceci pour dire qu'un appoint d'irrigation peut être apporté à l'échelle des espaces céréaliers du Sersou, du Titteri, du Hodna, du Constantinois, de Guelma, de Saïda et de bien d'autres régions. Cette technique conjuguée à la maîtrise des itinéraires techniques, à la fertilisation raisonnée, à la protection contre les mauvaises herbes, les maladies cryptogamiques et les ravageurs et à la réduction des pertes au champs durant la période des moissons, devrait améliorer considérablement les rendements et réduire de la sorte notre dépendance en céréales. Cette opération convenablement encadrée et soutenue par l'Etat est à orienter de façon prioritaire sur les moyennes exploitations agricoles (10 à 50 ha) qui disposent de 50% de la surface agricole utile et sur les grandes exploitations (plus de 50 ha) qui détiennent 23% de la S.A.U. C'est à ces deux niveaux que peut être pratiquée une agriculture moderne, qui devrait couvrir plus de 60% de nos besoins, sur la base d'un rendement moyen de 60 à 70 quintaux à l'hectare.

Le reste, soit 40% de nos besoins, devrait relever des petites exploitations familiales (0,1 à 10 ha) qui disposent de 25% de la S.A.U. Cet objectif modeste tient à l'archaïsme des pratiques agricoles de notre paysannerie, qui ne saurait relever par ses propres moyens le défi d'une agriculture moderne et dont la préoccupation première reste la subsistance, à défaut d'un encadrement approprié et d'une assistance modulée en fonction des caractéristiques de nos divers terroirs. Au chapitre de l'utilisation optimale du potentiel agricole, la résorption de la jachère (plus de 3 millions d'hectares) est aussi de nature à réduire considérablement notre dépendance en légumes secs et à accroître nos capacités fourragères en vue de la promotion de l'élevage bovin et de la production laitière.

Pour ce qui concerne cette filière de la production du lait cru et de ses dérivés, il convient de souligner l'excellente initiative de la laiterie Soummam, qui détient 45% des parts du marché, devant Danone, son concurrent direct.

 Ce leader national en pro-duits laitiers variés s'est at-taqué à la collecte du lait frais par la mise en place de son propre réseau, en «chassant» sur le domaine de la multinationale d'origine française. Mieux encore, cette firme algérienne exemplaire a lancé un ambitieux programme d'importation de mille génisses de race Holstein, au profit d'éleveurs, qui se sont distingués par leur professionnalisme. Ce type de partenariat «gagnant gagnant» est de nature à sortir notre pays de sa dépendance alimentaire, pour peu que cet exemple soit source de «contagion positive» auprès d'autres promoteurs nationaux. Cela souligne tout l'intérêt dans l'arrimage de la production agricole à l'industrie agroalimentaire. Si malgré tous les efforts de convergence et de synergie, conjugués à la mise en œuvre d'une ingénierie appropriée autour des productions stratégiques, l'on n'est pas en mesure de couvrir totalement nos besoins, on devrait compenser ce manque à gagner par l'exportation de certains produits agricoles. Dans ce système de balance alimentaire, notre pays a en ses alliés que sont le soleil et la spécificité de ses terroirs, deux atouts majeurs dont il peut se prévaloir, en tant qu'espace de productions agricoles labellisées. C'est là, deux éléments fondamentaux qui échappent au contrôle de ceux qui veulent régenter le monde ! Dieu merci ! Ce sont ces spécificités qu'on doit mettre en exergue pour reconquérir les vocations et les métiers de notre agriculture, en apprenant à devenir nous-mêmes, c'est-à-dire un peuple paysan, qui doit inclure dans son présent la mémoire de son passé, autrement dit, un peuple ouvert tout à la fois, à l'authenticité et à la technologie.

 Au titre de ces métiers traditionnels, la viticulture est à inscrire au premier plan de la réhabilitation de notre agriculture. Cela nous offre une opportunité à des actions partenariales au sein d'agropoles. Cette auguste culture pérenne procure richesses, protection aux terres fortement soumises à l'érosion et emplois aux humbles de nos campagnes. Elle constitue un «avantage comparatif terroir» que l'Algérie peut faire valoir dans la division régionale et internationale du travail. La réhabilitation et l'extension de la viticulture constituent également la meilleure manière de restituer à plus long terme l'équilibre écologique tout particulièrement au niveau du bassin hydrographique de la région Ouest et de réunir les conditions pour le retour d'un cycle hydrique plus favorable, si nécessaire à notre agriculture et à notre survie en tant que Nation. L'autre créneau et non des moindres, est celui de la datte «Deglet Nour» qu'aucun terroir, autre que celui des Zibans, ne peut faire fructifier à hauteur des exigences de qualité. Encore faut-il que l'agriculture saharienne puisse s'engager de façon résolue dans l'option d'un développement durable, que seule l'extension des palmeraies peut garantir. C'est là, un vecteur important pour l'association des cultures maraîchères primeurs destinées à l'exportation et pour l'écotourisme qui valorise au mieux les espaces sahariens. Ce créneau peut s'élargir aux dattes molles de confiserie et à la degla beida fortement prisée en Afrique. L'olivier est aussi cette culture millénaire qui ouvre bien des perspectives pour la production de l'olive de table et de l'huile d'olive dans de très nombreuses régions de plaines et de montagnes.

 Ce sont là, deux produits où la compétition reste circonscrite à un nombre très limité de pays producteurs de la rive Sud de la Méditerranée et du Maghreb, même si l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Grèce, le Liban, le Maroc et la Tunisie ne sont pas de piètres concurrents. Mais il est bien heureux que l'Algérie ait à défendre ses couleurs au sein de cette compétition régionale qui augmente sa probabilité de conquête de marchés africains, arabes, nord-américains, voire asiatiques. Cela ne veut pas dire pour autant que c'est tout gagné ! Il y a des efforts colossaux à entreprendre dans le domaine des techniques culturales, de l'irrigation, de la régénération des oliveraies, de la modernisation des process technologiques de transformation et de conservation, du design et du marketing. Ceux sont là, des créneaux à ouvrir à l'investissement privé, aux sociétés par actions et au partenariat. Au même titre que la vigne, l'extension de la culture de l'olivier est un investissement approprié d'avenir, qui intègre la donnée du risque majeur que constituent la désertification et l'érosion des terres. Très tôt, les Romains et les Andalous de l'école d'Ibn El Awam, l'avaient compris ! C'est là, un volet important de la richesse de l'agriculture de l'Italie et de l'Espagne d'aujourd'hui. D'autres espèces fruitières rustiques, à l'exemple du figuier, de l'abricotier et de l'amandier, bien adaptés aux conditions du climat méditerranéen, peuvent également nous prévaloir une place de choix dans la compétition autour des fruits secs qui restent globalement limités au Maghreb, à l'Espagne, à la Turquie, au Moyen-Orient et à l'Iran. Nous devrions être en mesure de jouer à l'avenir un rôle dans cette catégorie qui reste à notre portée. Il en est de même du pistachier qui peut s'étendre à toute l'aire du barrage vert, en remplaçant avantageusement les espèces forestières pas toujours adaptées écologiquement. Le développement de ces cultures peu exigeantes en eau et en intrants, est une manière d'inscrire la production fruitière dans la durabilité, face au risque latent de la variabilité climatique.

 De même, la viande ovine peut nous valoir une place de leader en terme de qualité que symbolise si admirablement la race «Ouled Djellal» qui confère au produit des caractéristiques organoleptiques exceptionnelles. En France, le marché du «halal», évalué à 5 millions d'euros, est une aubaine pour nous, si l'on est suffisamment habiles pour conquérir notre population émigrée et la communauté musulmane. Cela pourrait s'élargir également, aux Emirats arabes, à l'Arabie Saoudite, voire aux pays du Maghreb. C'est l'un des créneaux des plus porteurs pour la mobilisation de l'épargne de notre immigration, qui peut s'investir dans la réalisation d'une chaîne froid, d'unités de transformation et de conditionnement. Ce domaine particulier peut leur faire jouer un rôle utile pour le développement du pays, pour peu qu'on sache imaginer les dispositifs adéquats qui puissent la mettre en confiance et la soulager des carcans administratifs qui gèlent son initiative. Elle peut constituer un poste avancé pour les produits algériens qui font référence aux spécificités culturelles et aux identités du terroir. Cela pourrait donner lieu à la création d'une banque de développement et, pourquoi pas, d'une chaîne de magasins «Rihet el bled», autrement dit, de véritables centres de ressourcement, pour une population émigrée, attachée à ses racines. Nos possibilités ne sont pas pour autant épuisées, pour peu qu'on soit déterminés à rompre avec notre attitude fataliste et qu'on soit résolus à vouloir jouer un rôle utile, à hauteur de nos ambitions géostratégiques et des espérances qu'autorise notre climat méditerranéen, qui compense quelque peu le retard que nous avons pris sur les autres. L'ardeur et la générosité de notre soleil font aussi des cerises de Oued Chouly, de Miliana et de Larbaa Naït Irathen, des produits largement concurrentiels en terme de qualité. Il en est de même des fraises de Jijel et de Skikda, que seules leurs «consoeurs» marocaine et espagnole peuvent prétendre à concurrencer. L'artichaut est aussi une autre culture qui pourrait largement valoriser les périmètres irrigués des wilayas de Mascara et de Relizane (Habra, Sig et bas Chelif), largement entamés par la salinisation des sols.

 C'est dans la logique des complémentarités des échanges qui caractérisent le monde d'aujourd'hui, autrement dit, dans la recherche et la pertinence d'une meilleure adéquation exportations/importations, que notre pays trouvera les réponses appropriées à l'équilibre de sa balance alimentaire et sa place dans le concert des nations éligibles à la prospérité. Encore faut-il préciser que cette agriculture intelligente, qui tend à assurer notre plus large sécurité alimentaire, selon de nouveaux cheminements et mécanismes, ne peut s'accommoder des attitudes persistantes et des tabous qui se rattachent à la question du foncier agricole. L'agriculture moderne ne peut en aucune manière s'accommoder de l'émiettement des exploitations et des attitudes rentières qui n'autorisent ni investissements, ni mécanisation et encore moins l'appel au savoir de ces milliers d'ingénieurs agronomes, hydrauliciens, machinistes, économistes, sociologues?, formés au prix d'un lourd sacrifice de la collectivité nationale et que les archaïsmes des uns et les tergiversations des autres ont marginalisé et voué au chômage. L'insertion des diplômés pour l'encadrement des petites et moyennes exploitations agricoles, à travers la création d'entreprises agricoles, de sociétés par actions et de coopératives, doit être nécessairement accompagnée par une formation conséquente d'ouvriers agricoles, en tant qu'éléments actifs, d'optimisation des facteurs de production, d'économie de l'eau et d'utilisation appropriée de la mécanisation. Cette formation s'avère indispensable pour la réalisation de gains de productivité. Elle est l'atout maître d'une agriculture moderne, totalement inscrite dans le savoir et la gestion durable des ressources.

* Professeur en Sciences agronomiques.