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Le député enquête

par Abdou B.

«Ce n'est pas les médecins qui nous manquent, mais la médecine.» Montesquieu

Gouverner, c'est prévoir ! Si l'adage vaut son pesant de pertinence, il n'est pas cependant valable tout le temps et partout. Les grands Etats, les plus modernes, qui concentrent le plus gros de l'expertise mondiale, les meilleurs instituts de prospective et universités, ceux qui maîtrisent toutes les sciences et les technologies les plus futuristes, n'ont pu éviter une terrible crise économique et financière qui malmène toute la planète. Il y a eu entre les gouvernants et l'économie réelle, entre les entreprises et les salaires, les requins et tous les prédateurs de la finance, de la spéculation immobilière et leur propre marché spécifique qui n'obéit qu'à la règle du gain facile et rapide. Ceci étant dit, gouverner, c'est toujours prévoir des choses contrôlables, mesurables, prévisibles pour des chercheurs, politiques et experts non impliqués dans la gestion directe des deniers publics et la conduite politique des affaires du pays. C'est le cas pour l'Algérie, plus ou moins préservée de la crise que connaissent les pays les plus avancés et les plus libéraux comme l'Amérique, les membres de l'UE qui essaient de garder le Portugal dans son giron.

 Il y a des voix nombreuses, crédibles, souvent désintéressées par rapport au marathon qui se joue lors des élections communales, législatives, pour les couches dirigeantes de l'UGTA et des partis qui sont au gouvernement. L'argent, la région et son dosage, la famille, le douar et les bonnes recommandations remplacent largement un libre choix éclairé, informé à partir d'idées, de programmes, d'un parcours indiscutable, d'un charisme hors du commun et d'un profil reconnu dans un domaine à l'échelle nationale et internationale.

 Un paysan, un pêcheur, un éleveur européens entendus à la TV parlent mieux de la mondialisation, de l'économie de leur pays, des tarifs douaniers liés à leur métier que le font des parlementaires algériens sur l'hôpital, l'éducation, l'investissement étranger, l'audiovisuel ou la publicité dans leur pays. Pourquoi ? Parce qu'ils ont le profil parfait pour voter la loi et vaquer à leurs affaires personnelles, en oubliant de rendre public leur patrimoine qui relèverait, selon eux, du domaine privé. Et ils ont raison de persévérer puisque ça marche et qu'ils n'ont de comptes à rendre à aucun électeur, même dans leur propre tribu. Une fois à l'APN, c'est le farniente rétribué.

 L'intérêt que doit porter le Parlement au système éducatif est aussi évident en Algérie que dans tous les grands pays leaders. Les commissions spécialisées d'un Parlement doivent connaître par cœur les programmes, les cursus exigés pour les enseignants, les salaires et primes, les conditions de travail, le confort des maîtres et des élèves à l'intérieur de l'établissement, la pratique sportive et artistique, le temps des loisirs et la qualité des vacances pour l'ensemble de la famille éducative? La mise à jour de l'état des connaissances du secteur et les propositions des élus sont régulièrement vérifiées publiquement dans les pays avancés par des émissions TV, des écrits de parlementaires (pouvoir/opposition), des sites Internet, des brochures partisanes ou des propositions de lois pour améliorer le système éducatif en fonction de la réalité du pays et des évolutions mondiales qui font de la science et des connaissances l'équivalent des grosses industries. La vitalité d'un Parlement (pouvoir/opposition) renseigne parfaitement sur les chemins que prend tel ou tel pays. Le système de santé, vital, stratégique, de sécurité nationale et de bien-être pour les populations, est-il étudié, maîtrisé, expertisé par des commissions d'élus aidées par des professionnels de la santé ? Non, alors que tous les textes fondamentaux, à commencer par la Constitution, les incitent à travailler, analyser et proposer publiquement, quelle que soit la filiation politique, sauf si cette dernière ne loue que les vertus thérapeutiques de la Roukia, l'indépassable élixir magique.

 Imaginons un groupe de députés (pouvoir et opposition) qui aurait à cœur d'aller, incognito bien entendu, passer quelques heures dans de grands hôpitaux de la capitale, pendant les heures de visite, de nuit, prétextant des urgences, s'introduire chez les malades avec les parents de ces derniers, pour observer, écouter les patients, les visiteurs, les médecins, les agents de sécurité fort nombreux, essayer les ascenseurs là où il y en a, et examiner le menu identique pour tous quelle que soit la maladie traitée, etc. Un malade hospitalisé après avis médical a besoin de subir des analyses pour établir le bon diagnostic et ensuite délivrer le traitement adéquat. C'est la démarche universelle décrite par les médecins du pays, qui sont généralement reconnus à l'étranger et qui font leur travail avec trop de malades dans des conditions qui datent, inimaginables et inacceptables en Europe ou au Japon. A l'hôpital, le parent doit aller trouver un laboratoire privé pour faire les analyses dans les délais commandés par le médecin et l'état du malade. Ce qui explique la présence de laboratoires pas loin de l'hôpital.

 Ces privés ont les réactifs qui n'existent pas à l'hôpital ; et ils doivent, devant l'afflux des demandeurs, faire vite. Les analyses faites en dehors de l'hôpital, dans la précipitation, sont-elles fiables ? Et si le privé n'a pas les réactifs, que le demandeur n'a pas de voiture, ne connaît pas bien Alger, comment va-t-il faire en stressant pour un enfant ou un parent hospitalisé ?

 Imaginons que les analyses sont faites, que le diagnostic définitif est fait par un médecin, gêné d'avoir envoyé la famille chercher un laboratoire. Le parent doit ensuite aller chercher en dehors de l'hôpital le ou les médicaments indispensables au traitement du malade. Une autre aventure commence pour le malade qui attend parce que le médicament n'existe pas là où il est hospitalisé ! Et ce traitement, il faudra le trouver dans la grande ville sans la fameuse feuille de remboursement, introuvable dans les circuits qui relèvent de la santé publique. C'est la pénurie de la feuille rose. Les parlementaires, toujours ou pas incognito, verraient que l'intérieur des hôpitaux ressemble à la grande poste ou à la place des Martyrs aux heures de pointe, tant la circulation est dense, intense. Des parkings sous terre, aux abords des grands hôpitaux du pays ? On a oublié d'en faire pour l'aéroport international de n'importe quelle ville. Le corps médical national est apte à lister les réactifs, les médicaments, les draps (à changer chaque jour) et tout ce qu'il faut à un malade sur la base d'une comptabilité basée sur une année écoulée, à dégager une moyenne et une marge de sécurité. Mais cela dépend de l'administration qui gouverne, pas du médecin qui galère pour améliorer le salaire. Les rapports établis par les parlementaires incognito sont aujourd'hui débattus à l'APN, devant les caméras et la presse écrite. Les médecins nationaux, forts compétents, reconnus par leurs pairs à l'étranger, se sentent soulagés. Ils ne diront plus aux malades que tel produit n'existe pas à l'hôpital, que les médicaments sont en rupture de stock, que la sonnette à la tête du lit ne marche pas depuis des décennies? Après le débat autour des conclusions des parlementaires, le ministre concerné s'est engagé publiquement à éradiquer tous les dysfonctionnements. Pendant ce temps, une autre commission de l'APN élabore un document top niveau sur la publicité dans les journaux et les médias lourds.