Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'ivrogne, ce que dit le cœur et ce que dit la bouche

par Amine Bouali

On raconte que lors d'un vendredi que Dieu fait, un personnage haut en couleur comme on en rencontre parfois dans notre pays, osa franchir le seuil de la mosquée de son village alors qu'il était très éméché. Il fit d'abord un peu de scandale, puis très impressionné par le sermon de l'imam et trouvant ses paroles pleines de sagesse, de bonté et d'amour, il versa spontanément beaucoup de larmes, puis s'écria à la cantonade : «Vive Dieu !»

Cette anecdote un peu loufoque qu'on dit véridique peut faire sourire les uns et offusquer les autres : tout dépend du sens de l'humour de chacun, de son ouverture d'esprit, de la texture de sa personnalité et de sa foi. Nous laissons chacun libre d'en tirer la morale qu'il souhaite (ou qui lui ressemble), de se demander si en toutes choses, il s'attarde davantage sur le fond que sur la forme, de s'interroger si dans la vie, il est plus enclin à pardonner qu'à sévir, si en toutes circonstances, il écoute d'abord ce que dit le cœur plutôt que ce que dit la bouche. Des dizaines et des dizaines d'années plus tard, lorsqu'ils se croisent au sortir de la mosquée, les habitants les plus âgés du village se remémorent encore cette anecdote. Ils le font moins pour rire que pour méditer. Ils le font pour ne pas offenser leur Seigneur en croyant Le servir. Ils le font pour ne pas oublier que chaque instant qui passe est en même temps une chance et un risque, pour se souvenir que rien n'est jamais acquis ou perdu définitivement. Ils le font pour rester humbles, conscients de ce qu'ils ne savent pas et de leurs limites.

«L'humilité consiste aussi à reconnaître que n'importe quelle créature dans l'univers est susceptible de nous enseigner ce que nous ignorons» (Djalâl-Eddine Rumi).