Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le repu et l'affamé

par Hamid Dahmani

Injuste est la vie sur cette terre pleine d'inégalités, qui favorise comme toujours les plus opulents et qui donne de la viande à chaque fois à ceux qui n'ont pas de dents. On rabâche que ce sont toujours les mêmes édentés qui profitent de la générosité de la vie pour s'en mettre plein la gueule dans les moments de maigre pitance pour les autres. Il y a ceux qui mangent et qui s'empiffrent de bonne chair et il y a ceux qui regardent et qui n'ont pas trouvé une datte sèche à se mettre sous la dent. «Edenia taati l'ham li maandouch lesnene». A chacun son destin, qu'il soit bon ou mauvais. Et ceux qui manquent de bol ont appris à s'y faire et surtout à ne pas se plaindre. C'est une drôle de vie pour les bernés de la vie. Les lève-tôt ne mangeront pas à leur faim ce soir. Et les lève-tard sont invités à une bombance comme chaque soir pour fêter la grande bouffe. Il n'y aura pas de fringale pour Les sous-alimentés de la vie.

De toutes les façons, on dit que «qui dort dîne», même si la faim tenaille l'estomac et qu'on mange seulement avec les yeux. Tout est bon quand on a faim. Quelle poisse ! Les boyaux gargouillent déjà et la faim est déjà là. Quoiqu'il arrive, toutes les faims ont une fin. Alors, tant mieux pour le creux. «On mange quoi ce soir, maman ?» «Des pâtes ! Du keskssou blech, sinon spaghetti baidha ou à défaut des macaronis bouillis et puis dodo au lit. Dans cette tourmente nourricière pénible, les gens ne mangent pas à leur faim, mais ils ne le montrent pas au grand jour. La turbulence économique, la cherté des produits de première nécessité, le manque de moyens financiers et la rareté des produits ont créé une crise spéculative inédite et c'est le pauvre consommateur qui le paye chèrement. Les ménages sont fragilisés et le bout du tunnel est encore loin pour les damnés qui résistent aux affameurs. Celui qui est repu ne s'intéresse pas à l'affamé. « Echebâne mahou dari beldjiâne », dit le sage proverbe populaire. La bonne table, ce n'est pas à la portée de tout le monde. Aujourd'hui, pour survivre aux aléas du temps, il faut bien manger, mais pas du n'importe quoi, parce que autrement, cela se répercutera sur notre pouvoir d'achat. Encore une fois, c'est la patate qui nous joue des tours. Adieu les frites, la purée de pomme de terre et «batata fel four».

Et ce n'est pas seulement la patate qui fait des siennes, la volaille a pris son envol et les viandes rouges coûtent très cher. Le poisson, alors là, n'en parlons pas. Depuis quelque temps, la vie a changé dans le mauvais sens. Hier, c'était la corne d'abondance et on ne se privait pas, les gens achetaient et dépensaient sans compter et les prix étaient très abordables et le manque de produits on ne connaissait pas. Les gens sont sidérés aujourd'hui lorsqu'ils se rendent aux marchés de proximité pour faire leurs courses. Le plaisir d'antan de vadrouiller entre les étals chargés de marchandises pour acheter et marchander quelques sous derrière quelques kilos de fruits ou de légumes comme hier, n'est plus qu'un vague souvenir du marché prospère de la belle époque qui nous manque tellement.