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Une Amérique plus que jamais guerrière

par Paris : Akram Belkaïd

Les cérémonies de commémoration des attentats du 11 septembre 200 aux États-Unis ont été accompagnées par une production éditoriale plus importante que ces dernières années. La presse américaine a publié de nombreux reportages à hauteur d'homme et plusieurs éditorialistes ont dressé un bilan très mitigé de ces vingt dernières années. Ils ont notamment fait le lien avec le retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan. Impossible de ne pas y voir un symbole majeur. Il y a deux décennies, l'Amérique se vengeait - le verbe n'est pas trop fort - en menant une coalition militaire contre « l'émirat » et ses hôtes d'Al-Qaïda. Aujourd'hui, on dirait un retour un case départ ou presque.

Personne ne contestera que, sur le plan géopolitique, l'Afghanistan représente une défaite pour l'Amérique. Ceux qui, d'une manière ou d'une autre furent les complices, actifs ou passifs, de ce qui s'est passé à New York et Washington le 11 septembre 2001, sont de nouveau aux affaires. Certes, Oussama Ben Laden n'est plus et nombre de médias américains l'ont rappelé, comme s'ils essayaient de trouver des motifs de satisfaction concernant ces vingt années de « guerre contre le terrorisme ». Car pour le reste...

On dit souvent que ces attentats ont transformé l'Amérique en la conduisant notamment à rogner ses propres libertés et à agir de manière encore plus unilatérale dans le monde. En réalité, ce n'est pas d'une transformation dont il s'agit mais d'un renforcement des pires travers que connaît ce pays depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il y a, par exemple, le fait que le complexe militaro-industriel ne s'est jamais autant gavé. C'est simple, les chiffres concernant les guerres en Afghanistan et en Irak, toutes deux conséquences directes des attentats du 11 septembre 2001, donnent le tournis. Mille milliards de dollars selon les uns, deux mille milliards de dollars, selon les autres cela sans parler des programmes d'armement toujours en cours de développement. Le 17 janvier 1961, lors de son dernier discours à la nation, le président Dwight David Eisenhower, un militaire (!), avait mis en garde contre le poids démesuré de ce complexe. Il n'a pas été entendu. Aujourd'hui, la défense et l'industrie de la guerre constituent la partie la plus imposante de l'appareil étatique américain. Un socle immense autour duquel gravitent des milliers d'entreprises privées qui vont du fabricant d'avion de chasse à la compagnie de sécurité privée, comprendre entreprise de mercenaires.

Pour ce complexe militaro-industriel, le retour des Talibans au pouvoir est tout sauf une mauvaise nouvelle. Cela signifie une menace, ou supposée telle, contre les intérêts américains et donc plus de budgets et de crédits d'armement. Les attentats du 11 septembre 2001 ont donc achevé de militariser l'Etat américain. Certes, les généraux ne sont pas au pouvoir (apparent) et la kermesse électorale quadriennale donne l'illusion d'une démocratie civile. Mais relisons un passage du fameux discours d'Eisenhower : « Cette conjonction d'une immense institution militaire et d'une grande industrie de l'armement est nouvelle dans l'expérience américaine. Son influence totale, économique, politique, spirituelle même, est ressentie dans chaque ville, dans chaque Parlement d'État, dans chaque bureau du gouvernement fédéral. Nous reconnaissons le besoin impératif de ce développement. Mais nous ne devons pas manquer de comprendre ses graves implications. Notre labeur, nos ressources, nos gagne-pains... tous sont impliqués ; ainsi en va-t-il de la structure même de notre société. Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera. »

Cette militarisation ne concerne plus que le seul appareil d'Etat. Elle est dans tous les esprits, elle infuse dans la société. Pour qui voyage en Amérique, la prégnance d'hommes et de femmes en treillis ou en uniformes est assez frappante. Cela se voit dans les aéroports, les gares routières et ferroviaires mais aussi les centres commerciaux, les lieux de vie quotidienne. En clair, l'armée est partout. Elle est aussi dans les esprits. Souvenons de l'attaque grotesque contre le Congrès américain en janvier dernier. Dans la foule chauffée à blanc par Donald Trump, on comptait des militaires mais aussi des civils, hommes et femmes, habillés en uniformes, persuadés, eux-aussi, de « faire » leur guerre comme d'autres ont été en Irak ou Afghanistan.

C'est que la figure du soldat ou du vétéran a changé aux Etats-Unis. Après la guerre du Vietnam, elle était négative ou, du moins, peu reluisante. Aujourd'hui, avoir servi en Irak ou en Afghanistan est fièrement revendiqué et cela en impose quel que soit le milieu. Qu'importent les mensonges concernant l'Irak, la torture, Abou Ghraib, Guantanamo ou l'échec afghan : le soldat est un modèle. L'Amérique, qu'il s'agisse de l'intérieur ou de l'extérieur de ses frontières, est plus que jamais guerrière et cela concerne toute sa société et pas uniquement son armée et son complexe militaro-industriel.