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Gouvernance et Affaires de l'Etat: Le départ de Laagab de la présidence officialisé

par Ghania Oukazi

La présidence de la République a fait publier dans le Journal officiel la mise de fin de fonction du Dr Mohamed Laagab, celui que le président de la République en avait fait un de ses chargés de mission le 6 janvier 2020.

Le décret présidentiel de cette mise de fin de fonction est daté du 3 janvier 2021. Une fonction qui a duré officiellement une année mais en pratique, elle n'a été exercée par le concerné que durant 6 mois seulement. Laagab a démissionné le 21 juin de la même année de sa nomination. Démission que nous avons rapportée dans ?Le Quotidien d'Oran' du 29 juillet 2020. Rappel des faits : nous écrivions à ce sujet que des sources de la présidence de la République nous avaient affirmé qu'au lendemain de son retour de Constantine où il avait animé une conférence sur le projet de révision de la Constitution, c'est-à-dire le 21 juin 2020, Laagab avait déposé sa démission parce qu'il se sentait quelque peu «ligoté » dans son travail. Le Secrétaire général de la présidence de la République lui avait cependant dit «démission refusée, le président ne veut pas la signer». L'on a rappelé que Dr Laagab a été détaché de son poste d'enseignant universitaire en communication à l'Université d'Alger pour être nommé Chargé de mission au palais d'El Mouradia après avoir mené une campagne électorale intense au profit du candidat Tebboune. Avant même l'élection présidentielle du 12 décembre 2019, Laagab éprouvait de grandes difficultés à s'entendre avec certains éléments du staff de campagne du candidat, en particulier ceux issus du secteur de la presse. Ce sont ceux-là que le Président Tebboune a tenu à nommer en tant que chargés de mission pour s'en entourer au palais d'El Mouradia. Il est très probable que cette «incompatibilité d'humeur» qui s'apparente à un conflit de compétence a pris de l'ampleur et a fortement déteint sur le travail de Laagab pour en diminuer l'importance. Autre rappel qui pourrait conforter le tout, le choix de Tebboune, dès son intronisation en tant que président, de le nommer directeur général de l'ANEP, une offre qu'il avait déclinée poliment. Laagab fût très étonné, voire très déçu d'une telle proposition loin de cadrer avec ses aptitudes d'analyste politique qui a défendu corps et âme le candidat face aux fortes tentatives d'alors de faire basculer la victoire de la présidentielle en faveur de Azzedine Mihoubi.

«J'ai senti que je n'étais pas le bienvenu à la présidence»

Pas seulement, Laagab avait le jeudi du vote, bataillé contre tous pour faire admettre que Tebboune avait gagné l'élection et qu'il ne pouvait, en aucun cas accepter de participer à un deuxième tour que Abdelkader Bengrina et son équipe voulaient imposer au pouvoir en place. La proposition de gérer l'ANEP lui avait fait déjà sentir qu'il ne lui était pas permis d'être dans l'entourage du nouveau président. L'on ne sait ce qui avait fait revenir Tebboune à de meilleurs sentiments à l'égard de Laagab mais non seulement il l'avait nommé chargé de mission le 6 janvier 2020 mais l'a surtout chargé plus tard d'animer des conférences pour expliquer l'esprit politique de son projet de révision de la Constitution. Laagab l'a alors fait à la Bibliothèque nationale du Hamma, puis à l'Université Alger 3, Ouargla, M'Sila, Médéa et sa dernière sortie fût Constantine le 20 juin 2020. Il avait ainsi collecté les propositions et avis des universitaires et des experts en Droit et en Droit constitutionnel. Il était, en outre, sur plusieurs plateaux audiovisuels et publié par la presse écrite pour enrichir le projet et convaincre de son objectif. «Bon ou mauvais, le projet de révision de la Constitution est une question de débat politique parce que c'est un projet politique», soutenait-il en substance. Ses appréciations, remarques ou analyses ne plaisaient pas aux «hauts fonctionnaires » de la présidence qui lui étaient pourtant très proches avant que Tebboune ne se présente comme candidat. Il est avancé que ses détracteurs n'ont pas surtout les capacités requises pour lui apporter la contradiction intellectuelle nécessaire à la mise en œuvre de l'agenda politique du président.

Les confinements contre la COVID-19 aidant, coïncidant avec des congés de maladie pour cause d'hernie discale qui lui donnait de fortes douleurs au dos, Laagab a alors décidé de rompre ses liens avec El Mouradia. Dès qu'il a déposé sa démission, il n'a plus remis les pieds à la présidence de la République.

Nous l'avons rencontré, mercredi en fin d'après-midi autour d'un bon café. «J'ai senti que je n'étais plus le bienvenu à la présidence de la République», nous a-t-il dit au sujet de sa démission.

Ces rapports exécrables dans la haute administration

Il nous a précisé qu' «il m'était difficile de travailler dans des conditions que je considère de suspicion les uns vis-à-vis des autres, parce que j'ai senti qu'on exerçait sur ma personne des pressions d'ordre professionnel qui ne pouvaient que me décourager et me pousser à partir». Il a noté que le travail qu'il s'efforçait d'effectuer, dans pareilles conditions, a eu de mauvaises répercussions sur sa santé et sa famille. «Démissionner était devenu pour moi un point d'honneur notamment depuis que j'ai senti qu'à la présidence on ne voulait plus de moi», nous a-t-il affirmé. Sollicité à plusieurs reprises pour nous donner des précisions sur qui a exercé sur lui des pressions et pourquoi, il s'est refusé à toute autre déclaration. Il note qu'il continue à garder un profond respect pour Tebboune qu'il dit avoir travaillé avec lui «dans des moments difficiles pour l'Algérie». Un refus qui doit en dire long sur les rapports exécrables qu'entretiennent entre eux les hauts fonctionnaires de l'Etat.

En effet, le «cas» Laagab ne semble pas être «l'exception qui confirmerait éventuellement la règle» d'une discipline de «coordination et de concertation» que les hauts fonctionnaires de l'Etat se doivent de respecter. Le reproche officiel et public, fait jeudi dernier par le Premier ministre à ses ministres confirme, si besoin est, non seulement l'absence de discipline gouvernementale mais aussi entre les ministres et leurs subalternes. Abdelaziz Djerad et le reste de l'exécutif n'en finissent pas d'étonner par leur manque d'envergure et la légèreté avec laquelle ils traitent les affaires de l'Etat. Le Premierr ministre ne s'en cache plus et dénonce publiquement la défaillance des ministres qui lui ont transmis des textes juridiques et réglementaires qui manquent de «maturité et de coordination», a-t-il souligné dans sa note officielle Ainsi, vient-il par une remarque de démontrer que véritablement «El houkouma fiha ou aaliha» comme lâché par le président de la République, le 10 janvier dernier, jour de son retour à l'étranger pour soigner des complications de la COVID-19 qui l'a atteint en octobre dernier. Pendant plus d'une année depuis sa nomination, le gouvernement Djerad défraie la chronique par des bévues répétitives et intolérables pour un pays qui couve une crise politique complexe.

L'évidence d'un manque de «maturité et de coordination»

Friands de caméras et de microphones et craignant la plume, les ministres se bousculent pour faire des déclarations dont ils ne semblent même pas en mesurer les retombées. Dimanche dernier, le P-DG de Sonelgaz a fait savoir à la presse que «la récupération des créances se fera graduellement et en concertation, avec nos clients (?), pour ceux qui n'arrivent pas à honorer leurs dettes, le groupe Sonelgaz proposera un échéancier avec des facilités de payement». Traînant des factures impayées de plus de 160 milliards de DA, Sonelgaz semble s'être préparée selon son P-DG «à récupérer toutes les créances sans exceptions ». Deux jours après, son ministre de l'Energie le contredit en affirmant, publiquement, que «les citoyens démunis et les infrastructures fournissant un service public sont épargnés des coupures de l'alimentation en énergie (électricité et gaz) pour factures impayées, en raison des conséquences économiques de la pandémie du Coronavirus (Covid-19)». Bien que Abdelmadjid Attar ait tenu à préciser que ce qui est décidé a été discuté en concertation avec Sonelgaz, ses déclarations sont en nette décalage avec son P-DG. Le ministre de l'Industrie est cet autre responsable qui n'accorde aucun intérêt ni à la discipline gouvernementale encore moins à ne pas faire dans la pire des contradictions concernant entre autres le dossier des concessionnaires. Braham Ait Ali a bien refusé de dévoiler les noms des quatre heureux bénéficiaires d'une autorisation «provisoire» d'importation de véhicules neufs. Pourtant, la transparence dans la gestion des Affaires de l'Etat est exigée par les plus hautes instances du pouvoir. Elle doit l'être davantage quand il s'agit de donner de l'argent public à des hommes d'affaires qui acceptent de cacher leur identité avec la complicité d'un ministre.

Les exemples d'une indiscipline gouvernementale marquée de suffisance sont courants. Devient alors évident ce rejet par l'Exécutif d'une coordination, pourtant nécessaire, pour gérer les secteurs d'activités qui tous s'entremêlent à un point ou à un autre et notamment cette absence de maturité non seulement en matière de réglementation mais aussi de gestion, d'anticipation et de prise de décisions appropriées pour régler les nombreux problèmes.