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Le retour du Président et les chantiers de 2021

par Ghania Oukazi

Le retour du président de la République au pays, s'il met mis fin à une multitude de supputations, ouvre la voie à des interrogations sur les moyens de gestion et de règlement des problèmes inhérents à la crise sanitaire et à l'impérative efficacité dont doivent faire preuve les responsables à tous les niveaux.

L'arrivée mardi dernier à Alger de Abdelmadjid Tebboune après deux longs mois d'absence rassure tous ceux qui s'inquiétaient du sort de l'Algérie après qu'elle eut difficilement réussi à faire admettre son élection à la présidence de la République. Son retour devra, en principe, éviter au pays des turbulences inutiles et lui permettre au moins de rester sur les rails d'une structuration constitutionnelle de ses différents pouvoirs et de leurs équilibres. Mais en avouant, dès les premiers instants de sa descente d'avion, qu'«être loin du pays est difficile et lorsque s'accumule la responsabilité est encore plus difficile», c'est que le président de la République ressent l'importance et la gravité des problèmes qui pèsent sur la mise en œuvre de son agenda politique. Il a dû se rendre compte de manquements aux instructions qu'il avait laissées en suspens avant même qu'il ne tombe malade. S'il a pris le soin d'être accueilli et de se faire entourer par l'ensemble des responsables civils et militaires des plus hautes institutions de l'Etat, c'est qu'il voulait faire taire ceux qui ont supputé pendant son absence sur d'éventuelles divergences entre lui et son 1er ministre ou son chef d'état-major. Certes, l'on a remarqué que lorsqu'il a fait diffuser son premier tweet de l'étranger, du lieu où il était en convalescence, le 13 décembre dernier, il avait placé en tête de ses priorités l'élaboration de la nouvelle loi électorale pour qu'il puisse décider de la tenue d'élections législatives et locales anticipées. Il avait en même temps appelé expressément son ministre de l'Intérieur et les walis pour, a-t-il dit, «prendre en charge les zones d'ombre et assurer notamment le transport scolaire et les repas chauds aux élèves». Il n'avait fait aucune référence à son 1er ministre qui, pourtant, a le rôle primordial de jauger et d'observer les actions des différents ministères. Les observateurs avaient relevé en plus que ni son chef d'état-major ni son 1er ministre n'avaient applaudi sa première apparition publique par vidéo sur son compte tweeter. Ce qui, selon eux, dénotait de malentendus entre eux.

La responsabilité entre la difficulté et le délire

Leur présence, mardi, en haie d'honneur pour l'accueillir à l'aéroport s'oppose en démenti à ce genre de rumeurs mais ne change rien à l'état du pays. Les quelques propos qu'il a tenus mardi laisse voir qu'il n'a pas changé grand-chose à son discours plutôt paternaliste, à la limite du populisme. Pourtant, en évoquant d'emblée la difficulté de la responsabilité qu'il a, c'est comme s'il a pointé du doigt les entraves qui l'empêcheraient de remettre les choses à leur place et de leur donner un nouvel élan. Ceci, même son retour ne renseigne pas sur son emploi du temps immédiat, encore moins sur son état de santé et le temps qu'il exige pour se remettre à point. En effet, à part ses «souhaits» pour son rétablissement total, de prime abord, ses propos ne clarifient pas ce qu'il pense mettre en avant pour amorcer le véritable changement de système politique que tout le monde attend. Il n'a pas pour autant donné de gages aux Algériens pour qu'ils ne soient plus ballottés entre des propos -les uns plus insipides que les autres- de responsables censés plutôt s'affirmer par l'action efficace pour la relance du pays. Son retour avant le 31 décembre lui permet juste de signer la loi de finances dans les délais requis par les usages. Il peut aussi promulguer la Constitution au moment qu'il choisira et en même temps décider de la suite à donner de la nouvelle loi électorale. Mais il doit savoir que 2021, à laquelle il ne reste que quelques heures pour débuter, pourrait être une année des plus difficiles pour remettre le pays au travail sur la base de programmes intelligents loin des supplications sur «les zones d'ombre». Si 2020 a été «une année blanche» pour tout ce qui est relance économique et production de richesses en raison de la pandémie du Covid-19, 2021 s'annonce aussi avec des difficultés nombreuses et lourdes avec ou sans le Covid-19. Si à l'instar du monde, l'Algérie pense dompter la pandémie à coups de vaccins, elle aura tout autant que le reste des pays à devoir faire face aux conséquences désastreuses d'une année de maladie et de confinement. Les dégâts sont énormes sur tous les plans, humains et matériels. Le pays ne peut plus se contenter de prières. Encore moins de responsables qui délirent. La crise politique a pris de l'épaisseur sous-tendue qu'elle a été par la longue absence du président de la République et «le confinement» de la classe politique.

Le choix des hommes, l'impérative tâche du Président

Ne reste sur le terrain que le gouvernement Djerad dont les activités sont ponctuées par des envolées maladroites et gauches de ses membres. Un gouvernement qui a surtout laissé le dinar tomber au plus bas de sa valeur. Les spécialistes de la finance annoncent une baisse de la monnaie nationale qui frôle les 50%. L'effet d'avalanche sur le reste des indicateurs financiers et économiques est indéniable. Calculée loin des élucubrations et de la mythomanie gouvernementales, l'inflation s'afficherait sans conteste à deux dangereux chiffres, les réserves de change reculeront à leur plus bas niveau, la fiscalité s'amoindrira au regard des soubresauts incertains du prix du baril de pétrole. A moins -et prions pour que ça soit ainsi- que la pandémie disparaisse et que l'économie mondiale reprenne du souffle. Toutes les machines se remettront alors en marche et pousseront le pétrole à remonter en valeur financière. Parce qu'elle ne produit toujours rien, l'Algérie n'a pour l'instant que cette planche de salut, à contrario, la planche à billets. Le tout impose à ses gouvernants de se remettre en cause pour sauter le pas du changement. Au moins convoquer la compétence et l'efficacité pour la sauvegarde de ce qui peut l'être pour la construction d'un Etat de droit et de devoirs. Exiger du système de se débarrasser de «fakhamatouh» s'accorde à débarrasser le pays de pratiques d'allégeance d'un autre temps. Hier, les télévisions nationales commentaient la liesse que les habitants de Ouargla ont exprimée dans la rue pour fêter le retour du Président, en parallèle des messages du 1er ministre, de quelques ministres et de responsables de partis politiques. Des commentaires qu'un Etat moderne devrait bannir pour pouvoir s'affranchir de la médiocrité. En l'espace de quelques jours, l'Algérie a été mise face à des responsabilités géopolitiques de premier ordre alors que les propos des plus hautes autorités de l'Etat demeurent sans envergure et sans teneur stratégique. Le ministre des Affaires étrangères en a donné mardi une preuve supplémentaire en prononçant un discours lors de l'inauguration... du Salon des produits artisanaux. Les défis et les enjeux qui s'amoncèlent aux frontières nécessitent plus de clairvoyance, d'esprit critique et d'envergure digne d'un Etat qui veut se construire. Le président de la République a l'impérative tâche de revoir ses approches en matière de gouvernance et de choix des hommes qui sont appelés à le seconder dans ces moments difficiles.