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L'instit, l'obole et la révolution

par El-Houari Dilmi

Paroles d'enfant : «Je ne retournerai pas à l'école parce qu'à l'école, on m'apprend des choses que je ne sais pas» ! « Le bac algérien est l'équivalent de la première année secondaire dans le reste du monde », reconnaît, sans coup férir, l'Inspecteur général de la pédagogie au ministère de l'Education. Il s'agit là d'une fable -qui dit vrai-, à ne pas raconter la nuit aux cancres ni à ceux pour lesquels l'école reste le «lieu-dit» le plus reculé du pays. Avec le désespoir d'un condamné à l'échafaud, Larbi apostrophe le chroniqueur, l'air comme paumé : «Mais pourquoi notre instit ne revient plus occuper nos garnements du douar, leur bourrer le crâne de choses qui ne font plus nourrir nos vaches, ni cuire notre pain bénit»? C'est alors que Larbi décida de réunir les sages du douar pour juger, sans plus attendre, cet instit aux idées «rémunérées» par des sous faussement neufs, pour s'expliquer avec lui sur les vraies raisons de son «échec» annoncé... Et Larbi posa des questions qui veulent dire à peu près cela :

- Pourquoi, toi le mouaâlim, tu ne réussis plus à apprendre à nos mioches que «l'art» d'investir dans la rue pour divorcer d'avec une école qui n'apprend plus à vivre. Pourquoi as-tu abandonné d'échanger ta culture «lucrée» contre nos incultures tenaces. Ta lecture contre nos injustes conjectures. Ton écriture contre nos terres incultes. Et tes bâtons en plâtre moulés contre le tableau noir de nos vies délavées... ?

- C'est parce que je suis en grève Monsieur Larbi...

- Et ça veut dire quoi une grève, cette idée satanée, sortie tout droit de vos esprits enkystés ?

- Une grève, c'est une façon de s'arrêter pour mieux marcher Monsieur Larbi. Reculer pour mieux avancer. Baisser l'échine pour mieux muscler ses vertèbres fatiguées. Vous savez, M. Larbi, un instit, c'est un homme lui aussi. Son métier, c'est d'abord de servir de levure dopée à la dignité trop plate de l'autre. Lui apprendre la vie à l' (en) droit. Un instit, à part son souci de ne plus manger de pain noir, c'est aussi apprendre aux autres à mieux respecter son pain blanc. Un instit, ça peut même ouvrir les yeux, faire apprendre des «choses» qu'il ne faut pas... Avec le risque de vous faire casser le nez... et votre «grosse» gueule. Perdre votre job, aussi inutile qu'une fausse prière. Un instit, ça peut, aussi, faire monter très haut les autres, pour se retrouver, lui, au bas de l'échelle brisée. Apprendre aux autres à compter jusqu'à l'infini quand lui, il n'a jamais rien compté que des bûchettes cassées. Oui, un instit, ça peut vous donner un passeport pour traverser la terre et la mer, et même le ciel, pour se noyer, lui, dans son rêve confisqué et son métier rapetissé.

- Et que nous voulez-vous avec votre maudit métier ?

- Simplement, défendre une profession chèrement payée, mais pas bien rémunérée...

- Encore des sous, des sous et encore des sous ! Et ce n'est pas de la boulitique tout ça, avec vos têtes grosses comme nos brebis pleines et vos poches (dé) vidées comme nos espoirs trahis ?

- Non, non, rien de tout cela. Notre seul espoir, à nous autres, c'est de faire de l'Ecole une sorte d'hosto où ne rentrent que les gens qui ont du cran, pour en sortir comme des chiffes molles !...

- Taisez-vous ! Faites-moi sortir cet abusé SVP, tranche Larbi, incisif comme un canif. C'est vrai que j'ai oublié que l'obole a toujours retardé les révolutions !