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Les chouhada sont revenus ce vendredi

par El-Houari Dilmi

Les héros sont de retour : après donc moult péripéties, les restes mortuaires de 24 résistants algériens, séquestrés par la France pour y être exposés comme des trophées de guerre, depuis plus d'un siècle et demi, sont revenus dans leur mère-patrie qui célèbre le 58ème anniversaire de son indépendance. Retour du « beau temps » entre Alger et Paris ? La question n'est pas là.

Et si, par un pathétique fou rire de l'Histoire, les chouhada décidaient de revenir dans le froid giron de leurs survivants, juste pour voir si le pays, laissé derrière (ou devant !) eux il y a près de soixante ans de cela, se trouvait toujours à la même place, et s'il n'a pas été «détourné» ailleurs que là où ils l'ont laissé. Regroupés en un tribunal populaire grand comme la nature, les chouhada seront assis au milieu d'une immense place publique, avec pour box des accusés une arène grande comme la largeur du pays. Avant de revenir à leur juste sommeil, les chouhada auront à cœur de trouver réponse à leurs vieilles questions laissées en fermentation depuis leur départ, sacrifiés qu'ils ont été sur l'autel de la liberté recouvrée du pays. Des questions, ceux qui sont morts pour que les autres respirent la vie à pleins poumons sur une terre gavée de terreau rouge, ils en poseront une foultitude, mais sans forcément tomber sur la vérité qui soit bonne à dire...

Le pays retrouvé transformé en un gigantesque théâtre des paradoxes, les chouhada voudront savoir pourquoi les hommes nés libres se retrouvent aujourd'hui à courir à perdre haleine après un destin... hors de portée, qu'un limaçon gâcherait toute une vie à tenter de rattraper une gazelle, chevauchant le vent en plein désert ? Pourquoi alors ceux qui se sont «réveillés» de la longue nuit coloniale sont déprimés de voir la vie perdre de ses couleurs et les plus jeunes rêver, à l'état éveillé, d'une vie meilleure... mais ailleurs ? Les chouhada voudront surtout savoir comment a vécu le peuple entre le lever et le coucher du soleil de la liberté, puis survécu jusqu'à la mort de l'homme moustachu, avant de roupiller sur ses lauriers piégés jusqu'à la « longue nuit rouge », puis « l'éveil populaire » du 22 février, avant de rentrer les pieds devant dans un tunnel si noir que le faisceau de lumière paraît encore si loin devant.

Debout comme un I majuscule face au peuple pris d'une insatiable soif de vérité, ils demanderont à savoir pourquoi un pays qui engloutit chaque année la moitié de sa fortune nationale dans la «décérébration» de nos enfants, se retrouve, soixante ans plus tard, presque au point de départ ? Pourquoi notre dinar national lifté et relifté, symbole «surpassé» de la souveraineté chèrement payée du pays, n'a ni le même prix ni la même valeur aux yeux de ceux qui en usent et... en thésaurisent ? Pourquoi le peuple des petites gens a aujourd'hui cette grosse arête qui lui déchire la gorge : aimer la patrie jusqu'à se faire hara-kiri et continuer à la «jarnacquer» dans le dos, en enfouissant sa tête dans le sable mouvant de nos hypocrisies notoires ?

Par un terrible retour de manivelle de l'Histoire, et avant de partir rejoindre leurs paisibles demeures, les chouhada rendront leur verdict (juste et sans possibilité d'appel) en regardant sans sourciller le peuple droit dans les yeux. Accroupi face au soleil, le chef du tribunal des chouhada prononcera sa sentence, voulue comme la dernière prière des morts : «Nous les martyrs, devons choisir d'être oubliés, raillés ou utilisés. Quant à être compris, jamais !».